Qu'est-ce qui manque, désormais ?
Les frontières Nord et Est? Depuis que le Hezbollah s'est anamorphosé de milice en entreprise de mercenariat aux côtés des Assad, ce sont de vraies passoires, meurtries, par des bombardements et des raids d'avions syriens incessants, et meurtrières surtout, puisque tout et tout le monde la traverse. Jamais la crise des réfugiés syriens n'a été aussi aiguë, aussi désespérante, pour eux comme pour les Libanais ; jamais le risque de nouveaux attentats-suicide n'a été aussi prégnant, à tel point qu'en interview, même le vaillant ministre de l'Intérieur l'évoque sans s'étrangler, et le risque d'irakisation aussi insupportable ; jamais la haine sectaire n'a été aussi infernale ; jamais le nouveau choc des cultures, croissant chiite vs fondamentalistes sunnites, n'a été aussi ravageur, faisant passer tous les Huntington de la planète pour de gentils Tournesol... Jamais.
Les frontières internes ? Depuis que le Hezbollah et ses alliés-liges, CPL en tête, ont décidé de paralyser la vie constitutionnelle et institutionnelle, avortant toute ébauche d'élection présidentielle, dynamitant tout espoir de législatives : cette Chambre-Cour des miracles a toutes les chances de se retrouver dès l'édition 2016 au cœur du livre des records, ces lignes de démarcation de moins en moins virtuelles sont de vraies murailles de Chine. Hermétiques. Les deux (au moins) camps adverses ne s'écoutent plus, ne s'entendent plus, ne se regardent plus et ne se voient plus. Ou alors, étrangement, ils ne font plus qu'un. Bâtard et monstrueux et cannibale. Bientôt, même les écoles risquent d'imploser. Sans oublier, bien sûr, cette fédéralisation rampante et honteuse : à Tripoli, on interdit le manger et le boire durant le jeûne de ramadan ; à Lassa, on anschlusse des terrains ; à Sassine, on érige, ou presque, des statues à la gloire de la Mannschaft et d'Angela Merkel, quand ce n'est pas la noyade dans l'immonde et les photos de Hitler et de sa croix gammée sur les vitres arrière de quelque Range Rover brune...
La frontière Sud ? Dans son ADN, elle est létale. Les ayatollahs de Téhéran sont loin d'être bêtes, mais rien ne les empêche de demander au Hezbollah, encore lui, à n'importe quelle veille de Mondial ou pas, d'être à la fois au moulin syrien, au four irakien et à la boulangerie israélienne. Jusqu'à nouvel ordre, Hassan Nasrallah, qui entend s'exprimer à de nombreuses reprises, dit-on, durant ce mois de juillet, ne semble pas vouloir, tout comme ses cousins ennemis de Daech, s'en aller aider les Palestiniens de Gaza – et que ce soit, jusqu'à nouvel ordre, un cheikh fondamentaliste sunnite qui ait tiré les roquettes du Liban-Sud contre Israël arrange tout le monde. Il n'empêche : dans son timing incongru, dans son être-au-monde, dans ses gènes et dans son évolution, l'opération Protective Edge, lancée en ce 08 juillet 2014 et devenue une parfaite leçon de barbarisme, de démesure et de disproportion, risque fort de ne pas laisser le Liban, c'est un understatement, tranquille.
Qu'est-ce qui manque, désormais, dans cet embrasement micro et macro, dans cet encerclement presque parfait, dans cette réécriture équation à cent et une inconnues de toute une région ?
La frontière maritime ? Une invasion de la marine chypriote, maltaise, sicilienne? Un tsunami comme à Fukushima ? Un blocus ? Un nouvel exode par aéroglisseurs ? Jamais, effectivement, les Libanais n'ont été aussi inquiets. Avant, nous avions une excuse, en or : c'était la guerre des autres. Aujourd'hui, ce ne sera (ce n'est ? ) que la nôtre.
Être aujourd'hui Tammam Salam n'a (plus) rien d'enviable.
Liban - En dents de scie
Fahrenheit 08/07
OLJ / Par Ziyad MAKHOUL, le 12 juillet 2014 à 00h00
Tammam Salam n'a rien d'enviable et désormais le pays sera guidé par l'ironie du destin .
18 h 44, le 12 juillet 2014