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Culture - Vient de paraître

Liberté et guerre des sexes avec Joumana Haddad

Pour son dernier opus dramaturgique « Kafass »* (Cage), éditions Naufal, 126 pages, Joumana Haddad bouscule conventions et traditions.*

Une plume sulfureuse, un nom au halo à scandale, une battante qui ne badine pas avec la liberté, l'auteure du Retour de Lilith ne taille pas dans la dentelle. Le combat pour la libération, en passant par le sexe, est plus virulent que jamais.

Amusante, intempestive ou provocatrice cette œuvre qui lève le rideau sur une brochette de femmes frustrées, émancipées, (dé)complexées, insatisfaites, insatiables, hurlantes ? Ou un homme bourreau, brute arrogante, lavette, émasculé, dévirilisé, réduit à une image de pantin, victime, telle une femme exploitée? Caricatural, excessif, tendancieux, sectaire ou hargneux cet ouvrage aux répliques sans fards? Peut-être, mais il faut une mise à nu pour toucher le cœur des mensonges et des hypocrisies. Quitte à frôler l'impensable de toute utopie.

De toute évidence, la guerre des sexes, sous la plume de l'auteure de Superman est arabe et fondatrice de la revue Jasad, est au rouge incandescent. Le haro sur le machisme aveugle est ici synonyme de révolte, de ras-le-bol et de carnage. Pour une humanité plus humaine et moins compassée!
Ces pages sont débordantes, en termes verts et sans ménagements pour l'oreille et les personnes bien pensantes (ou du moins qui le croient!) de toutes les fureurs de l'insubordination, l'insoumission, la jactance sociales, religieuses, économiques, culturelles.
Cette écriture nerveuse, colérique, systématiquement furetant en comptable scrupuleux dans ce qui brime, bride et réduit, est une invite non seulement au militantisme féministe, mais aussi à une prise de conscience, une tentative de libération. Libération des contraintes et des remparts que la société érige en valeurs sacrées et intouchables.

Alors s'ouvre, en orgues tonnantes, un monologue choral où sont exposés, sans vergogne et en toute insolente impudeur, comme un état des lieux clinique, tous les griefs et les revendications des femmes. Pour leur intimité avec leur propre corps et le rapport qu'elles en ont avec autrui. Hommes et femmes.
De la maternité comme accomplissement de la féminité au droit à la jouissance (en hétéro ou homo), voilà un plaidoyer audacieux et truculent dans ses détails, pour l'émancipation. Jamais femme arabe n'a encore formulé en ces vocables lance-flammes des siècles d'écrasement, d'assujettissement, de domination et d'ignorance. Avec la véhémence et l'obsession rapaces et rosses d'une harpie. Bien loin sont Colette Khoury, Ghada el-Samman, Hanane el-Sheikh ou Leila Baalbacki.

Joumana Haddad n'a pas froid aux yeux et encore moins aux doigts qui tiennent son stylo ou tapent sur son clavier. C'est cru et acide. Sans sucrerie ou lénifiant. De toute façon, sur la couverture du texte de la pièce il est mentionné «pour adultes» seulement. Et encore, pas pour adultes pudibonds, bigots, intellectuels régressifs ou aux neurones desséchés.

Sous les feux des sunlights, chacune dans sa cage, comme dans un cirque, avant que le fouet ne claque: Abir, Hiba, Lama, Yara, Zeina. Et au cœur de cette kyrielle de femmes de tous crins, un homme. Comme un dompteur manipulant ses fauves, ses chattes ou un condamné dans un puits sans fond... Discours pluriel corsé. Un lamento, un «j'accuse», un credo du vagin. Pour des lendemains meilleurs. De toute urgence et en tout besoin. En dénonçant le moment présent avec ses injustices, ses noirceurs, son oppression et ses dérives.

Second tableau, une famille. Un père déparé presque de ses vertus masculines qui fait la popote et est rabroué pas sa bobonne hommasse. Sa fille et sa copine sortent comme le font les mauvais garçons. En conquérantes des beaux gars à ramasser et consommer comme du kleenex! Image renversée de l'univers qui va ainsi vers une incroyable mutation... Mais tranquillisez-vous, le mec retrouve ses facultés et, d'un coup de revolver, tue sa conjointe jouant les viragos sans freins. Égalité des violences et résurgence d'un mal atavique et immémorial! On ne fait pas table rase impunément...

En langue arabe courante et littéraire (la version châtiée est transcrite par Raouf Kobeissi) reproduit les deux scènes comme un perpétuel recommencement et un partage des rôles de la parité. Des êtres qui sont emprisonnés dans leurs cages dont ils n'arrivent pas à forcer les barreaux. Et pourtant l'idée de l'auteure de J'ai tué Shéhérazade, par-delà tout ce raffut et ces grincements de dents, est simple: sortez donc de vos cages. Et arrêtez cet enfermement.

En post-scriptum, comme si c'étaient les coins d'ombre et de lumière des coulisses, car c'est là où se prépare tout jeu, un poème. Un poème, comme une marge de rêve, aux rimes et à la cadence libres et azurées. Il clôt en une musicalité râpeuse ce duel des sexes, essence de l'humanité. Un bref extrait: «Je suis un projet avorté pour un grain de sable sur une plage abandonnée, devenu par erreur humain.»
Par-delà les cris, les récriminations, les anathèmes, les apostrophes, les admonestations, les injonctions, les déchirures, les avanies et les déballages qu'on voudrait taire et enfouir sous terre, à 44 ans, Joumana Haddad, louve et chasseresse du plaisir, de l'épanouissement et du meilleur de soi, captive par un parfum intense et pénétrant. Celui de son écriture rythmée et insidieuse. Par des mots imbibés de fiel, de poisse, de purin, de transparence choquante (pour les pharisiens!) avec cette impression parfois de fleurer un jasmin sur un dépotoir. C'est le baiser ardent d'une fleur carnivore à une société momifiée...

* « Kafass » de Joumana Haddad (126 pages, Naufal, Hachette Antoine) est pressenti pour être mis en scène par Lina Khoury en mars prochain au Madina.

 

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Une plume sulfureuse, un nom au halo à scandale, une battante qui ne badine pas avec la liberté, l'auteure du Retour de Lilith ne taille pas dans la dentelle. Le combat pour la libération, en passant par le sexe, est plus virulent que jamais.Amusante, intempestive ou provocatrice cette œuvre qui lève le rideau sur une brochette de femmes frustrées, émancipées, (dé)complexées,...

commentaires (2)

HIER LES GUERRES DES TÊTES CHAUDES... AUJOURD'HUI LES GUERRES FANATIQUES DE RELIGION... DEMAIN LA GUERRE DES SEXES ! ET APRÈS ? À QUAND LA GUERRE CONTRE L'ABRUTISSEMENT INNÉ ???

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 20, le 26 juin 2014

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Commentaires (2)

  • HIER LES GUERRES DES TÊTES CHAUDES... AUJOURD'HUI LES GUERRES FANATIQUES DE RELIGION... DEMAIN LA GUERRE DES SEXES ! ET APRÈS ? À QUAND LA GUERRE CONTRE L'ABRUTISSEMENT INNÉ ???

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 20, le 26 juin 2014

  • j'ai beaucoup aimé "Et encore, pas pour adultes pudibonds, bigots, intellectuels régressifs ou aux neurones desséchés."

    Bahijeh Akoury

    14 h 16, le 26 juin 2014

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