Un cas d'école est parfois plus instructif que la plus belle des proses ou que moult analyses pertinentes. Cela s'applique, entre autres, aux résultats enregistrés jusqu'à présent par le plan de sécurité exécuté à Tripoli et dans certaines régions de la Békaa. C'est grâce à la ferme détermination du président Michel Sleiman, du Premier ministre Tammam Salam, ainsi que des ministres de la Justice, Achraf Rifi, et de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, que l'opération a été mise sur les rails, en dépit des réserves et des appréhensions exprimées par certains hauts responsables sécuritaires. Le résultat est là : après 20 rounds d'affrontements meurtriers étalés sur plusieurs mois, la troupe a réussi à pacifier la capitale du Nord et à investir les deux quartiers rivaux de Bab el-Tebbané et Baal Mohsen, mettant fin aux débordements miliciens, détruisant les barricades, plaçant aux arrêts certains caïds qui semaient la terreur, tandis que le Parquet engageait des poursuites contre d'autres caïds et contre les deux leaders alaouites en fuite. Une opération similaire était lancée quelques jours plus tard dans la Békaa, notamment dans la localité de Brital qui, depuis l'époque du président Fouad Chéhab déjà, a constamment été un repaire de hors-la-loi.
Si ce plan de sécurité a été un succès, ne fut-ce que partiel, c'est parce qu'une volonté politique ferme s'est manifestée à cet égard dans les plus hautes sphères du pouvoir exécutif. L'ambassadeur des États-Unis, David Hale, l'a d'ailleurs relevé, fort à propos, mercredi, en soulignant, à Tripoli même, que « lorsque la volonté politique existe, les services de sécurité montrent qu'ils ont les moyens de restaurer la stabilité ».
Cela nous amène – d'aucuns l'auront sans doute deviné – au problème de l'élection d'un nouveau président de la République. Sans vouloir verser dans le manichéisme primaire, force est de relever que les Libanais se trouvent aujourd'hui plus que jamais, de façon on ne peut plus claire et simple, face au choix suivant : accepter l'idée, ressassée à chaque échéance, de la désignation d'un président « consensuel », « modéré », « agréé par toutes les parties » ; ou élire un chef d'État qui ait la ferme détermination de restaurer l'autorité et le prestige de l'État, sur base d'une vision claire et lucide des défis présents.
Contrairement à ce que certains tentent de faire croire à l'opinion publique, la première éventualité n'est nullement source de stabilité. Bien au contraire... L'accession à la magistrature suprême d'une personnalité « souple », « qui ne fâche pas », « qui n'est pas trop tranchante dans ses prises de position » est le plus court chemin vers non pas la perpétuation, mais plutôt vers l'accélération de l'effondrement généralisé dont le pays est le théâtre sur les plans politique, institutionnel, économique, financier, social, sécuritaire et même moral. Un président consensuel ou de compromis est, d'entrée de jeu, otage du Hezbollah car, par définition, un consensus se fait entre des factions entretenant des rapports plus ou moins équilibrés et normaux. Lorsque l'une de ces factions bénéficie d'un large éventail de moyens lui permettant d'imposer son diktat aux autres et de se livrer à toutes sortes de manœuvres d'intimidation, on ne saurait parler alors de consensus. On verse carrément dans la soumission. Or la soumission est source de profonds ressentiments, de frustration et donc de rancune. Autant de sentiments qui nourrissent l'extrémisme, la radicalisation, l'émergence de courants fondamentalistes, le repli communautaire...
Plus encore, un président « consensuel » et « souple » est en outre otage des « fromagistes », pour reprendre le terme du président Fouad Chéhab, véritable initiateur de l'État moderne au Liban, dans les années 60. Ces fromagistes ont tout intérêt – à l'instar du Hezbollah – à placer à Baabda un président malléable car pour eux, l'État n'est qu'un espace commun leur permettant – et permettant aux chefs de clan – de rester maîtres du jeu, et donc de se partager le gâteau, au risque même de se quereller de temps à autre.
Sauf qu'un tel cas de figure – celui d'un locataire de Baabda soumis au diktat du Hezbollah et otage des fromagistes – rend le pays ingouvernable du fait du noyautage et de la paralysie des institutions étatiques diverses, comme l'a prouvé l'expérience de ces dernières années, marquée par la soumission à la logique du Hezbollah qui se résume par la formule « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est d'abord à moi, et un peu à toi » ! Est-il nécessaire de réitérer qu'un pays ingouvernable accentue le marasme économique et accroît, à une vitesse exponentielle, les tensions politiques, sociales et sécuritaires ? Et l'instabilité chronique qui en découle finit, tôt ou tard, par induire un effet boomerang en se répercutant dangereusement sur ceux-là mêmes qui auront contribué à entretenir la paralysie de l'État.
L'autre choix qui s'offre aujourd'hui aux Libanais est plus audacieux : l'élection d'un président qui ait manifesté une constance dans ses positions de principe, qui fasse preuve d'une ferme détermination et qui ait une vision claire et lucide dans son projet de rétablissement de l'autorité de l'État, sans louvoyer, sans hésiter, sans fléchir face aux pressions et aux manœuvres d'intimidation. À charge pour un tel chef de l'État de se comporter en véritable président de toutes les composantes libanaises, loin de tout sectarisme ou esprit partisan et clanique. C'est ce profil de président qui serait susceptible de rétablir un équilibre politique dans le pays et qui pourrait, par le fait même, résorber le grave ressentiment, la frustration et la rancune, ressentis par de larges pans de la population.
Il ne s'agit nullement d'engager une confrontation frontale avec le Hezbollah. L'objectif, au contraire, est d'établir un nouvel équilibre au niveau du pouvoir, permettant d'aboutir à des rapports plus harmonieux avec le Hezbollah et créer une situation susceptible de redonner à l'État la place qui lui est due. C'est la seule option possible pour stopper l'effondrement généralisé et replacer le pays sur la voie de la stabilité durable et du redressement socio-économique.
Le leader du PSP Walid Joumblatt souligne que « dans l'échéance actuelle, le facteur interne est prédominant ». Lui-même et le chef du courant du Futur, Saad Hariri, assument donc une lourde responsabilité, réellement historique : maintenir et accélérer l'effondrement du pays, en laissant le champ libre aux fromagistes ; ou faire face aux fromagistes et initier, enfin, un processus de redressement et de stabilisation.
Le résultat n'est certes pas garanti. Mais pour la population libanaise, l'enjeu en vaut la peine. Walid Joumblatt et Saad Hariri ont à choisir aujourd'hui entre : un scénario difficile et incertain, certes, mais avec un espoir de stabilité et de redressement ; ou le chaos garanti, l'instabilité rampante et la montée des mouvances extrémistes. Face à une telle alternative, les calculs partisans et réducteurs ne sont pas permis. L'histoire et la jeunesse de ce pays jugeront Saad Hariri et Walid Joumblatt pour leur choix. Irrémédiablement ... Puisque « le facteur interne est cette fois-ci prédominant »...
Que l'ambassadeur David Hale nous permette à cet égard de reprendre à leur intention la célèbre expression du président Barack Obama : « Yes, we can... »
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commentaires (6)
CORRECTION ! Merci : ".... on peut parler six languages". Puis, ".... munis de several visas".
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 28, le 19 avril 2014