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Liban

13 avril 1975 : le devoir de mémoire

Si on demande à des jeunes ce que signifie pour eux la date du 13 avril 1975, ils évoqueraient sans doute l'autobus (la « bosta ») sans que cela ne représente grand-chose à leurs yeux. Mais pour les générations de Libanais âgés de 45 ans et plus, cette date mythique est chargée de messages, d'images douloureuses, de 15 années de guerre et d'une succession d'espoirs et de désillusions.
C'était un dimanche qui aurait pu être semblable à tant d'autres. Au réveil, nul ne pouvait se douter qu'avec l'incident du bus de Aïn el-Remmaneh, le Liban allait progressivement basculer dans un univers infernal. Évidemment, la guerre qui a meurtri le pays du Cèdre n'a pas commencé ce jour-là. Le 13 avril 1975 ne fut que l'étincelle qui a mis le feu aux poudres ou qui a permis aux plans machiavéliques de projeter le pays dans cet engrenage destructeur. Engrenage qui a pris ses racines bien des années auparavant, notamment avec la défaite des Arabes face à Israël lors de la guerre des Six-Jours de juin 1967, avec l'implantation des fedayin au Liban qui ont formé un État dans l'État, affirmant que la route de Jérusalem passe par Jounieh, avec les visées syriennes sur le Liban, avec le jeu machiavélique des Israéliens, la visite de Sadate à Jérusalem, et sur le plan interne du fait d'une structure libanaise dite conviviale dont on s'enorgueillit mais qui n'avait pas encore eu le temps de mûrir – ce qui est le cas jusqu'à nos jours, d'ailleurs.
Rédactrice à La Revue du Liban, chaque fois que j'ai tenu à évoquer cette date, certains me disaient : « Tu veux toujours ressasser le passé, à quoi bon ! » Et ma réponse a toujours été : il ne s'agit pas de ressasser ou de se lamenter, mais il y a dans l'évocation de cette date du 13 avril 1975, dans l'analyse des facteurs qui l'ont enclenchée et de ses résidus dramatiques qui ont tout balayé sur leur passage, un devoir de mémoire. Un devoir de mémoire à l'égard des générations futures pour en tirer les leçons afin de ne pas retomber dans les erreurs du passé, à l'égard des 200 mille morts, des milliers d'handicapés, des disparus, des expatriés, y compris à l'intérieur même de leur patrie. Un devoir de mémoire sur lequel devraient plancher les communautés, la société civile, les partis et hommes politiques, les dirigeants, les autorités religieuses, si l'on désire réellement construire l'avenir sur des bases solides.
Nul ne prétend pouvoir effacer le passé qui restera vivant, incrusté dans l'inconscient collectif de la nation, mais il s'agit aujourd'hui plus que jamais d'en tirer les leçons pour l'avenir. Il est temps de comprendre que le Liban ne saurait être à la merci d'une communauté, ou d'une vision monochrome, qu'il nous faut apprendre à s'accepter mutuellement, à respecter le droit à la différence.
Édifier le Liban de demain non pas sur deux négations, comme l'avait relevé Georges Naccache dans son fameux article « Deux négations ne font pas une nation » en allusion au pacte de 43 entre le président maronite Béchara el-Khoury et son Premier ministre sunnite Riad el-Solh, disant non à l'Occident et non au monde arabe ; mais l'édifier conformément aux paroles de Jean-Paul II : « Le Liban est plus qu'une patrie, il est un message », et en vertu des propos du président Charles Hélou : « Le Liban ne peut vivre que s'il est le lieu de rencontre des cultes et des cultures. » Passer du négatif au positif.
Tout cela est beau à dire à l'heure et l'on est loin encore d'être sorti du bourbier. Au demi-million de réfugiés palestiniens armés sur le sol libanais, s'ajoute désormais plus d'un million et demi de réfugiés syriens, et l'afflux se poursuit. Ce petit pays de 10 452 km2, aux racines millénaires, ce Liban que Dieu a doté d'une belle nature, mais qu'on n'a fait que défigurer, continue à vivre dans un climat d'incertitude totale du lendemain. Les citoyens se débattent dans des conditions de vie déplorables, la fuite des cerveaux se poursuit, alors que la corruption, le clientélisme, le népotisme étendent partout leurs tentacules. Comment, dès lors, placer le pays sur les rails de la résurrection ? Et s'engager dans un processus de véritable reconstruction nationale, dans le respect des valeurs démocratiques et des libertés ?
J'aimerais m'arrêter sur deux propositions majeures formulées par le chef de l'État, le général Michel Sleiman. En premier, « la déclaration de Baabda » qui a été adoptée à la fin des travaux du dialogue national en juin 2012, même si le Hezbollah cherche à s'en défaire. « La déclaration de Baabda relève de nos constantes nationales et a atteint le niveau du pacte national », ne cesse d'affirmer le président sortant, appelant toutes les parties à s'y attacher. Cette déclaration a été applaudie par la communauté internationale et au sein de la Ligue arabe. Elle prône notamment le principe de la neutralité du Liban eu égard aux conflits régionaux et internationaux. Une option impérative si l'on souhaite réellement une véritable renaissance du pays du Cèdre.
En second lieu, il est grand temps de s'engager sur le chemin de la décentralisation administrative, autre cheval de bataille du président, et qui placerait le Liban sur la voie de la modernité.
Tout cela est une vue de l'esprit, diriez-vous, un idéal quasi impossible à réaliser, une image mythique. Pourtant, il faut y croire, pour construire l'avenir dans le respect des valeurs suprêmes et démocratiques, et faire en sorte que les Libanais de tous bords, de toutes confessions et régions, admettent en priorité que le Liban est leur patrie définitive, une entité souveraine et indépendante.

Nelly HÉLOU
Journaliste

Si on demande à des jeunes ce que signifie pour eux la date du 13 avril 1975, ils évoqueraient sans doute l'autobus (la « bosta ») sans que cela ne représente grand-chose à leurs yeux. Mais pour les générations de Libanais âgés de 45 ans et plus, cette date mythique est chargée de messages, d'images douloureuses, de 15 années de guerre et d'une succession d'espoirs et de...

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