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« Nous avons assisté à un grand jour pour la démocratie en Afghanistan » - Ici et maintenant

Hunger Games

Elle est sacrée. Elle est jubilatoire. Elle est impériale. Elle est immarcescible. Elle est bandante. Mais elle est tout autant perverse. Retorse, et gueuse et putain. D'une fragilité immense : son ostéogénèse est terriblement imparfaite. Un rien la salit. Depuis la première Boulè, tout le monde le sait : la démocratie est une urgence et une vue de l'esprit. Roland Barthes répétait à l'envi que le hasard peut engendrer des monstres. La démocratie aussi : mettre le droit de vote dans toutes les mains a souvent provoqué des apocalypses, plus ou moins mignonnes, plus ou moins gérables. Il n'empêche : aucun geste au monde n'est aussi fondamental, aussi industriel que celui de glisser un bulletin dans une urne. Proprement. Sans assistance. Sans tricherie. Aucun geste pourtant n'a jamais été aussi risqué – à tel point que parfois, doucement, certains se mettent à fantasmer, à rêver de retours tonitruants de despotes éclairés, de résurrections, de Catherine II qui se réveille(nt). En attendant, il reste le regard des Afghanes, rallumé comme des soleils, après être sorties des bureaux de vote : ce week-end, c'est comme si on leur avait offert la lune, ou un an de salaire. Ce Je veux foutre une claque à la gueule des talibans est une loya jirga à elle toute seule, une déclaration de foi et d'amour pour la vie et, surtout, la politique. Dans son sens le plus noble, le plus oublié – c'est tout ce que les Syriens espèrent : claquer un jour, vite, les Assad et les islamistes d'une même main. Aujourd'hui en Afghanistan, mais aussi en Hongrie : en pleine Europe, dans cette Europe pas originelle, certes, mais aux origines de cette politique-là, on vote massivement pour un fascisme pastel, pour un Capitol orbanisé jusqu'à la moelle, sans qu'aucune des Katniss Everdeen en puissance n'ait la moindre chance de renverser le sale cours des choses. Mais aussi au Costa Rica, où les électeurs, s'ils veulent le changement, c'est inouï, n'ont plus le choix : Luis Guillermo Solis est seul en lice. On vote tout le temps et partout. Hier, c'était en Turquie, où l'ultraparanoïde Erdogan s'est retrouvé conforté, tellement, dans ses délires. Hier, c'était en Égypte, où Sissi, futur empereur-pharaon, était pratiquement élu, jeté dans le palais présidentiel avec l'eau de la nouvelle Constitution. Hier, c'était en France, où le bilan jour après jour d'un maire n'avait presque plus aucune importance, où le fascisme, dédiabolisé à outrance, prenait visage féminin, yeux verts, cheveux blonds. Demain, ce sera en Inde, avec des législatives gargantuesques, les plus importantes jamais organisées dans le monde : 814 millions de personnes seront appelées aux urnes pour un marathon en neuf phases. Huit cent quatorze millions : rien qu'à l'énoncé, Xi Jinping en ferait une jaunisse. Et demain, ce sera aussi au Liban. Où le peuple n'en a quasiment plus rien à cirer, de son droit de vote. Et qui se demande d'ailleurs, mi-figue, mi-raisin, s'il revotera un jour : ses députés, les plus paresseux de la planète, sont les rois de l'autoprorogation.

Elle est sacrée. Elle est jubilatoire. Elle est impériale. Elle est immarcescible. Elle est bandante. Mais elle est tout autant perverse. Retorse, et gueuse et putain. D'une fragilité immense : son ostéogénèse est terriblement imparfaite. Un rien la salit. Depuis la première Boulè, tout le monde le sait : la démocratie est une urgence et une vue de l'esprit. Roland Barthes répétait...