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Liban - Réfugiés

Crise syrienne : classer les réfugiés pour mieux les aider ?

L'alourdissement du bilan humanitaire au Liban souligne la nécessité d'établir des priorités au moment de répartir l'aide internationale.

Parmi les intervenants étaient présents (de droite à gauche) Rochelle Davis, professeure à l’université de Georgetown, Dina Kiwan, professeure au département de sociologie de l’AUB, Fouad Fouad, professeur en épidémiologie à l’AUB, et Senay Ozden, chercheuse au Syrian Cultural House à Istanbul.

Trois ans ont suffi à la crise humanitaire syrienne pour atteindre un point où des centaines de millions de dollars de dons ne représentent que quelques grains de sable. Selon les derniers chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), sur un milliard et demi de dollars nécessaires pour répondre aux besoins des réfugiés au Liban, le soutien financier international n'en est qu'à 14 %, c'est-à-dire à 240 millions de dollars.
Les termes exacts sont « critères de vulnérabilité ». Ils ont été amplement abordés lors de la récente conférence « Syrians in their neighbourhood » (« Les Syriens dans leur voisinage »), organisée par l'institut Issam Farès de l'AUB. Concrètement, il s'agit de définir et mettre en place des catégories d'identification pour que la réception des dons soit proportionnelle à la fragilité des familles. Les réfugiés en provenance de Syrie, qu'ils soient syriens ou palestiniens, sont ainsi classés en fonction de critères, comme par exemple le nombre d'enfants à charge, la présence d'un membre handicapé au sein du foyer, ou le fait d'avoir été victime de tortures.
Le poids de la crise humanitaire sur les infrastructures et les finances publiques des pays d'accueil est largement pris en considération. « Le fait que les États qui accueillent des réfugiés cherchent à limiter et réguler le nombre d'arrivants n'est un secret pour personne, explique Rochelle Davis, professeure à l'université de Georgetown et modératrice de la conférence. En ce sens, classer et ficher les réfugiés peut s'avérer défavorable à ces derniers. Mais la réalité est telle que les budgets de l'aide internationale sont très restreints et définir des critères de sélection apparaît comme une preuve de responsabilité. »
Logistique humanitaire oblige, l'essentiel de l'aide internationale est coordonné et mené par le Haut-Commissariat. Pour que les organisations humanitaires, les États et les associations locales puissent intervenir de manière cohérente, les réfugiés doivent s'enregistrer dès leur arrivée sur le territoire libanais auprès de l'agence onusienne. On estime que ce n'est pas le cas au Liban pour 50 000 d'entre eux.

Des critères communs
Pour les autres 910 000, une première étape a lieu lors de l'enregistrement. Un entretien avec chaque famille et une consultation médicale de leurs membres permettent de catégoriser les nouveaux arrivants selon une grille de lecture. Celle-ci englobe une multitude de thématiques, telles que l'âge, le sexe, la santé, l'accès à l'éducation et aux ressources alimentaires, médicales et sanitaires, les ressources financières ainsi que les dettes, mais surtout le vécu. Chaque catégorie est divisée en degrés de fragilité et accorde un certain nombre de points.
Plus un foyer accumule des points, plus il est considéré comme vulnérable et plus il reçoit de l'assistance. D'où l'importance de mettre au point des critères de fragilité objectifs. La politique relative aux services de santé du Haut-Commissariat prévoit par exemple que les frais médicaux des victimes de viol ou de tortures physiques soient subventionnés dans leur intégralité.
L'objectivité est également la raison pour laquelle la plupart des organisations partagent leurs critères de base avec ceux de l'agence onusienne : le handicap physique et mental ou les cas de ménages où les chefs de famille sont des femmes sont considérés comme des situations de vulnérabilité autant par le Haut-Commissariat que par Acted, Medair, le Danish Refugee Council, CARE International et Oxfam, des ONG actives dans le domaine.
Le dernier mot revient pourtant aux bailleurs de fonds, parmi lesquels figurent notamment les États ou les institutions internationales telles que la Commission européenne. Ce sont eux qui décident dans quelles catégories investir le plus. « Notre travail consiste d'une part à trouver des donateurs ayant les mêmes critères de vulnérabilité que nous et d'autre part à conseiller les bailleurs de fonds dans leur définition de ces classements, afin qu'ils puissent financer nos programmes, explique Tara Hermez, porte-parole du Syria Crisis Response de l'ONG britannique Oxfam. Nous avons contribué à établir les critères officiels du Haut-Commissariat et maintenant nous les mettons en pratique. »

Objectivité oui, mais ciblage aussi
Rares sont les organisations qui ne se spécialisent pas dans un domaine ou qui ne développent pas des programmes d'action ciblés. « Chaque ONG définit les critères selon ce qui correspond à ses intérêts spécifiques. Par exemple, certaines ne se concentrent que sur les victimes de torture, d'autres sur les maladies graves, d'autres encore sur les personnes handicapées », rappelle l'intervenante de l'université de Georgetown. L'objectif est, en effet, de couvrir le plus de terrain possible.
En revanche, de l'autre côté de la balance se trouvent les associations caritatives à fondement confessionnel ou ethnique. Dans ces contextes, les critères de ciblage sont complètement arbitraires et subordonnent le soutien matériel et pédagogique à l'identité communautaire et religieuse. À ce sujet, les intervenants de la conférence ont été unanimes : ces fondations et ONG privées sont un facteur de discrimination au sein de communautés de réfugiés faisant souvent déjà l'objet de discriminations au quotidien. « Il existe beaucoup d'organisations à caractère confessionnel et celles-ci interviennent directement auprès des réfugiés, sans passer par des intermédiaires comme le Haut-Commissariat, souligne Rabih Shibli, directeur associé des projets de développement de l'AUB. Il faut reconfigurer les mécanismes en place afin de limiter leur portée. »
Même si la plupart des réfugiés ne sont pas classés selon ce type de critères, la catégorisation ne demeure pas une solution dénuée d'une certaine froideur. « Lorsque l'on place les gens dans des cases fixes, la plupart du temps cela contribue à rendre visible la réalité de leur fragilité. Mais parfois, pour certains, cela peut l'effacer. Une mère célibataire avec quatre enfants devient automatiquement vulnérable aux yeux des organisations, parce qu'il n'y a pas la figure de l'homme, mais on oublie que ces gens-là ne sont pas uniquement des corps qui ont besoin de nourriture et de vêtements, ils sont aussi des personnes avec une identité et des convictions qui leur sont propres », conclut Rochelle Davis.

Trois ans ont suffi à la crise humanitaire syrienne pour atteindre un point où des centaines de millions de dollars de dons ne représentent que quelques grains de sable. Selon les derniers chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), sur un milliard et demi de dollars nécessaires pour répondre aux besoins des réfugiés au Liban, le soutien financier...

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