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L’aridité galopante au Liban, un phénomène irréversible ?

Les réponses face aux contraintes

La neige tombée cette année a à peine recouvert les cimes, comme ici à Dahr el-Baïdar. Photo Saïd Maalaoui

Les freins à la mise en place d'une réponse aux défis environnementaux de plus en plus aigus sont multiples et se déclinent à toutes les échelles.
Malgré l'élaboration d'un code de l'environnement et d'un certain nombre de dispositions législatives, il existe des obstacles qui retardent l'adoption de mesures efficaces (Bakhache, 2010)7. Des lois obsolètes encore en vigueur, des contradictions dans les textes et la difficulté d'évaluer les impacts du cadre réglementaire sont autant de preuves démontrant que l'efficacité environnementale n'est que très rarement recherchée. Sans passer en revue toute la réglementation libanaise, nous nous baserons sur quelques cas représentatifs de cette problématique. (...)

Aspects institutionnels
Un obstacle majeur pour entamer, dès aujourd'hui, la prise en main des problèmes environnementaux de Beyrouth réside dans l'absence d'un relais institutionnel clair permettant d'envisager le projet dans son ensemble. Le flou en matière de prérogatives des diverses institutions existantes, qui s'occupent plus ou moins de la pollution atmosphérique ou de la gestion de l'eau, interdit de s'attaquer efficacement au problème. À cela s'ajoute l'opacité de fonctionnement des institutions libanaises.
En présence d'un environnement dégradé, l'eau est devenue une ressource rare et une entrave au développement. Il serait donc indispensable d'améliorer fortement la qualité des services des établissements des eaux et de réformer les institutions de ce secteur pour assurer une bonne GIRE (Gestion intégrée de la ressource en eau). Une gouvernance judicieuse devrait, en ce domaine, reposer sur trois principes : (i) décentralisation de la gestion avec participation des usagers ; (ii) gestion intégrée ; (iii) tarification à coût complet et plus largement marchandisation, voire privatisation de la gestion (Ghiotti, 2004 ; Allès, 2010). La réforme votée au Liban en 2000 reprend globalement ces trois principes. Alors que la gestion de l'eau était auparavant en même temps centralisée et fragmentée entre plusieurs acteurs d'échelons central, régional et local, l'objectif de cette réforme est de la rationaliser en regroupant les compétences en matière d'eau potable, d'irrigation et d'assainissement sous la coupe de quatre établissements régionaux. Par ailleurs, un transfert de compétences est opéré du MEE vers ces établissements. Ceux-ci sont chargés des études, de l'exécution, de l'exploitation, de l'entretien et du renouvellement des équipements, alors que le MEE n'a plus que la responsabilité de la planification et de la régulation au niveau national. Cette réforme combine ainsi décentralisation vers les établissements de compétences auparavant étatiques et recentralisation, pour certaines fonctions jusque-là assumées par les offices de l'eau à l'échelle des caza8 ou par les municipalités (Ghiotti, 2004 ; Féré, 2006 ; Féré, 2007 ; Allès, 2010). Les établissements doivent être financièrement autonomes et, donc, parvenir à recouvrer les coûts de fonctionnement et d'investissement. À cette fin, l'application de différents principes est préconisée : la tarification à coût complet, l'organisation des établissements sur des bases commerciales avec réalisation d'un plan d'affaire, la participation du secteur privé (Catafago et Jaber, 2001).
Mais la réalité sur le terrain est tout autre. La seule initiative politique claire à ce jour, soutenue par des lois et des règlements, a été celle de la loi 221/2000 et de ses dérivés (MOE-UNDP, 2011). Cette loi traite de la structure institutionnelle du secteur, mais son impact ne s'est pas encore fait sentir à cause, notamment, du flou institutionnel qui recouvre le partage des responsabilités entre les différents acteurs et décideurs, ou encore parce que le cadre réglementaire visant à rétablir l'ordre et à imposer des normes ou des repères, techniquement, financièrement et écologiquement, est soit inexistant, soit inefficace. Le chaos dans lequel se débattaient les municipalités libanaises, qui n'arrivaient pas à identifier les autorités réelles en matière de gestion de l'eau et qui exigeaient que leur rôle soit mieux précisé, a abouti à la publication par le MEE, le 17 septembre 2010, du carnet 16 432... qui nie l'existence du moindre flou dans la répartition des compétences entre les différents décideurs, mais qui ne fixe en rien cette répartition9 !...
La situation est actuellement inchangée. Les conflits d'autorité, le manque de clarté en ce qui concerne le rôle des municipalités et l'extraction incontrôlée des eaux souterraines qui se poursuit sans relâche, ont toujours des effets négatifs sur la gestion de l'eau10. On pourrait en conclure qu'aucun pouvoir en matière d'élaboration et de formulation de politiques n'a été explicitement conféré au ministère de l'Énergie et de l'Eau , ou à tout autre organisme public ou institution. Le secteur est depuis des décennies en proie à l'absence d'une politique gouvernementale officielle, susceptible de le régir (MOE-UNDP, 2011).
La problématique de la qualité de l'air est un autre exemple des difficultés institutionnelles dans lesquelles se débat le Liban. La question est approchée à la fois par la municipalité de Beyrouth, par le ministère de l'Environnement, par le Conseil du développement et de la reconstruction, et par nombre d'organismes de coopération, sans compter au moins deux ministères dont l'autorité recouvre en partie les secteurs concernés : celui de l'Intérieur et celui des Transports. Aussi, la volonté d'action se heurte-t-elle en permanence à la dilution des compétences et au chevauchement des prérogatives entre institutions gouvernementales et locales.
À tout cela s'ajoute l'absence de financement pour engager de vraies politiques : le ministère de l'Environnement ne dispose que de 0,03 % du budget de l'État libanais. Dans ces conditions, entreprendre de grands travaux d'infrastructure, ou accorder des subventions suffisantes pour mettre en œuvre les mesures qui s'imposent, est inenvisageable. Ce manque de ressources témoigne de l'état d'endettement du pays, mais aussi des orientations autres qui, comme nous l'avons vu, desservent parfois la cause environnementale. On pourrait envisager un financement par l'aide internationale, mais il faudrait monter un projet clair, global et cohérent de gestion des risques ; on en est encore loin. (...)

Conclusion
Beyrouth se situe dans un contexte plutôt défavorable. Les perspectives sont sombres quant au devenir de la qualité de l'air et des ressources hydriques. Ce dernier point, en particulier, peut paraître paradoxal dans un pays considéré comme le deuxième château d'eau du Moyen-Orient, après la Turquie. Certes, l'État libanais, conscient du problème, a lancé de grands projets d'aménagements hydrauliques : retenues artificielles, malgré le milieu karstique infiltrant et les risques sismiques, captage total de grosses émergences karstiques, voire exploitation de lacs souterrains... Malheureusement, ces projets ne se réalisent qu'au coup par coup, en réponse immédiate à un problème, sans s'accompagner d'un plan rationnel de gestion de la ressource. Le retentissement sociétal, qui se fait d'ores et déjà sentir avec beaucoup d'acuité (rationnement en eau, asphyxie de la ville par la pollution atmosphérique...), risque de devenir de plus en plus aigu dans le futur, si la tendance observée actuellement se confirme et perdure. La localisation de Beyrouth à la lisière des domaines aride et semi-aride, de même que l'évolution actuelle du climat, sont des aspects contraignants qui influencent la qualité de l'air de la capitale et sa ressource en eau, déjà fortement dégradées du fait des activités anthropiques. Face à une telle crise environnementale, il est urgent d'agir. Mais reconnaître l'existence de cette crise est une chose, prévoir sa gestion en temps réel en est une autre. Quelle sera, dans ces conditions, la réponse de Beyrouth face à l'aridification du climat ? Malheureusement, les premiers résultats de notre analyse ne peuvent que laisser sceptique : les contextes humain, étatique, législatif et institutionnel sont des obstacles non négligeables à la mise en place d'un dispositif de gestion environnementale juste et efficace.

Les freins à la mise en place d'une réponse aux défis environnementaux de plus en plus aigus sont multiples et se déclinent à toutes les échelles.Malgré l'élaboration d'un code de l'environnement et d'un certain nombre de dispositions législatives, il existe des obstacles qui retardent l'adoption de mesures efficaces (Bakhache, 2010)7. Des lois obsolètes encore en vigueur, des...