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L’aridité galopante au Liban, un phénomène irréversible ?

Baisse des précipitations et augmentation des pertes dues à l’évapotranspiration

Un spectacle qu’on n’est pas près de voir de sitôt. Photo Amer Zeineddine

La diminution du manteau neigeux, la pression anthropique qui va en augmentant et la sécheresse estivale sont autant de facteurs qui conditionnent la pénurie hydrique de la ville de Beyrouth. Pollution par les déchets solides et les effluents liquides, manque d'installations de stockage des eaux en surface et réseaux d'adduction déficients : les contraintes sont nombreuses. À cela s'ajoutent des quantités considérables d'eau se déversant dans la mer sans avoir été utilisées et des conditions géopolitiques difficiles, qui font que les ressources hydriques exploitables au Liban sont bien inférieures aux 2,7 millions de mètres cubes (Mm3) par an dont le pays pourrait théoriquement disposer, comme le souligne Fadi Georges Comair, président honoraire du Réseau méditerranéen des organismes de bassin (Hamdan, 2012).
Par ailleurs, aux difficultés structurelles du secteur vient s'ajouter l'évolution actuelle du climat, qui affecte directement la disponibilité de l'eau : « ... la situation devrait même empirer dans les années à venir », prévient Fadi Comair. « La balance hydraulique du pays (écart entre les besoins et les ressources renouvelables) pourrait atteindre les 1,7 milliard de mètres cubes par an à l'horizon 2040, contre 300 millions aujourd'hui, si une gestion intégrée des ressources et des investissements n'était pas mise en œuvre. » En effet, les simulations réalisées pour la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ont souligné pour les périodes 2025-2044 et 2080-2099, par rapport aux années 1961-2000, le risque d'une baisse des précipitations et d'une augmentation des pertes dues à l'évapotranspiration. Malgré toutes les incertitudes qui s'y attachent, les modèles ont montré que si la température s'élevait de 1°C, les ressources totales en eau, actuellement estimées entre 2 800 et 4 700 Mm3, s'appauvriraient de 250 Mm3. La diminution atteindrait 450 Mm3 en présence d'une hausse thermique de 2°C. L'effet d'un tel réchauffement sur la neige, vitale pour les ressources en eau du Liban, serait accablant : les simulations révèlent qu'avec un réchauffement de 2°C, la couverture nivale diminuerait de 50 % dans la région montagneuse située au-dessus du fleuve Nahr Ibrahim. Les débits fluviaux seraient alors considérablement touchés, les débits de pointe étant enregistrés plus tôt dans la saison, vers la fin février au lieu de la fin avril actuellement – ce qui allongerait la période d'étiage (MOE-UNDP, 2011).

La consommation d'eau
En dehors de l'influence du climat, bien établie pour la période actuelle mais entachée d'inconnues considérables pour le futur, on ne peut négliger la part anthropique dans la crise hydrique aiguë que connaît Beyrouth. En moyenne pondérée, la consommation d'eau varie pour l'année 2000 entre 181 et 215 litres par habitant et par jour. Les besoins annuels s'établissent donc approximativement à 415 Mm3 ; ceux qui correspondent à la période sèche juin-octobre sont de l'ordre de 176 Mm3, soit 46 % des besoins annuels (Catafago et Jaber, 2001). Or, à l'heure actuelle, il n'existe quasiment pas de système de mesure de la consommation d'eau. La distribution au compteur ne concerne que 2 % environ du total des abonnés. Les offices des eaux facturent en général une somme forfaitaire de 220 000 livres libanaises (soit environ 110 euros) par an. Les quantités ainsi allouées ne correspondent pas tout à fait à la réalité, en présence d'un rationnement assez sévère, en raison du tarissement de certaines sources, du faible rendement des réseaux (de l'ordre de 50 %) et d'une ressource qui demande à être mieux gérée.
Dans ce contexte, les Beyrouthins se trouvent de plus en plus confrontés à un rationnement hydrique qui se fait cruellement sentir en fin d'été. Pour remédier à ce manque d'eau drastique, dû en partie à la pénurie « naturelle » et en partie aux insuffisances du dispositif d'adduction, les habitants ont dû s'équiper en réservoirs d'eau utilisés durant les coupures. Parfois même, certains quartiers de la capitale ne sont plus alimentés durant plusieurs semaines, ce qui force la population à acheter de l'eau domestique, parfois de mauvaise qualité, à des sociétés privées ; il en résulte dans certains cas des maladies hydriques. Une enquête a établi que les familles de cinq personnes achetaient ainsi, en moyenne, un complément de 100 m3/an (Catafago et Jaber, 2001).
L'eau a donc un coût certain, lourd à supporter humainement puisque chaque foyer doit gérer la ressource domestique (gestion du temps en fonction des heures de distribution, habitudes strictes d'économie...), et plus lourd encore à supporter financièrement (Chelala, 2002).
Pour d'autres, cette sécheresse estivale incite au forage de puits individuels, souvent illégaux, qui pompent l'eau de l'aquifère de la capitale. D'après un rapport sur l'état de l'environnement au Liban (MOE-UNDP, 2011), plus de 3 180 puits, autorisés ou non, ont été recensés à Beyrouth (tableau 1). La pression exercée sur la ressource souterraine va en augmentant. Parfois très proches les uns des autres, les forages sont de plus en plus profonds, en raison non seulement d'une pluviométrie de plus en plus déficitaire, mais aussi d'une sollicitation incontrôlée de la nappe, qui abaisse inexorablement le niveau piézométrique.

Le problème des barrages
Encore la ressource en eau n'est-elle pas seulement menacée quantitativement, elle l'est aussi qualitativement. Du fait de la forte pression anthropique dans les régions côtières, les nappes littorales surexploitées sont devenues vulnérables aux intrusions d'eau marine. De plus, le Liban ne dispose pas encore d'un nombre suffisant de stations d'épuration opérationnelles. Par conséquent, les effluents urbains se déversent dans le milieu naturel sans aucun traitement préalable : durant la saison estivale, un cours d'eau comme Nahr Beyrouth n'est plus alimenté par l'écoulement naturel, mais plutôt par les égouts (Adjizian-Gérard et al., 2006)... Aussi peut-on craindre que le problème ne trouve pas de solutions efficaces à court ou moyen terme. Compte tenu du développement de l'urbanisation, de la prolifération des puits privés et, éventuellement, de projections climatiques alarmantes, la population beyrouthine devra-t-elle payer les conséquences de ce laisser-aller ?
Pour tenter d'améliorer la situation, le ministère de l'Énergie et de l'Eau (MEE) a mis au point, vers la fin des années 1990, une stratégie décennale reposant sur la construction de barrages et de retenues : 17 barrages devaient ajouter environ 650 Mm3/an au stock disponible des ressources renouvelables en eau douce (Comair, 2010 cité par MOE/PNUD, 2011). Les ouvrages envisagés concernaient principalement l'eau potable et, à un moindre degré, l'eau d'irrigation. Il était prévu que ce plan soit achevé en 2010. Mais, à ce jour, seul a été terminé le barrage de Chabrouh, dans le Haut-Kesrouan. Selon Sélim Catafago, expert en matière de ressources hydrauliques, la construction des barrages prévus se heurtait à une épineuse question de faisabilité économique et technique. « Dans certaines régions, la nature même du sol ne permet pas la construction de ces barrages », explique Wajdi Najem, directeur du Creen, le Centre régional de l'eau et de l'environnement (Hamdan, 2012).

La diminution du manteau neigeux, la pression anthropique qui va en augmentant et la sécheresse estivale sont autant de facteurs qui conditionnent la pénurie hydrique de la ville de Beyrouth. Pollution par les déchets solides et les effluents liquides, manque d'installations de stockage des eaux en surface et réseaux d'adduction déficients : les contraintes sont nombreuses. À cela...