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Liban - L’analyse

Objectif : montée aux extrêmes...

L'assassinat vendredi dernier en plein cœur de la ville de Beyrouth de l'ancien ministre des Finances Mohammad Chatah, l'un des cerveaux du 14 Mars et l'un des esprits les plus remarquables de la scène politique et diplomatique libanaise, dans un attentat à la voiture piégée qui a coûté la vie à sept autres personnes, s'inscrit dans le cadre d'une logique implacable.
Une double grille de lecture est nécessaire pour comprendre pourquoi c'est Mohammad Chatah, un homme ouvert, raffiné, instruit, archétype indiscutable du consultant politique et du serviteur de la chose publique, qui a été pris pour cible. L'homme n'était pas une grande gueule de la politique, mais, au contraire, un véritable gentleman. Certes, il n'était pas une colombe ou un « homme de compromis », comme les médias de l'axe syro-iranien cherchent à le présenter dans une vaine tentative de récupération, mais un homme de principes, inébranlable, inflexible. Il n'empêche qu'il ne faisait pas partie des matamores de sa communauté, sunnite. Au contraire : il s'agissait d'un médiateur, d'un bâtisseur de ponts, ouvert sur l'Occident, caractéristique du cosmopolitisme libanais, un véritable fils des grandes cités urbaines de la Méditerranée.

 

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À l'évidence, les analystes chercheront d'abord les causes immédiates qui auront poussé l'axe syro-iranien à liquider un tel homme. Il est clair que le bras de fer actuel entre l'Iran et l'Arabie saoudite, qui se refuse jusqu'à présent à tout dialogue avec Téhéran, est le cadre adéquat dans lequel l'attentat pourrait être replacé. Entre les raids à coups de barils de l'aviation d'Assad sur Alep, en Syrie, et l'assaut de Nouri al-Maliki contre la province sunnite d'al-Anbar en Irak – les deux grandes arènes de la confrontation actuelle entre les gardiens de la révolution iranienne et Riyad – Mohammad Chatah a été tué. Son premier « crime » est d'avoir œuvré à contrecarrer la mainmise des gardiens de la révolution et du Hezbollah sur la décision libanaise en replaçant la question libanaise au cœur des préoccupations des grandes capitales – et en essayant de recréer un filet de protection internationale pour le Liban, similaire à celui qui s'était mis en place à partir de 2004 avec la résolution 1559 – qui plus est dans un contexte international de désengagement américain de la région, tombée depuis sous les appétits impériaux des gardiens de la révolution. Mais son deuxième « crime » est plus grave : dans un contexte de lutte interne entre les gardiens de la révolution et les réformateurs à Téhéran, il a conseillé aux ténors du 14 Mars d'adresser une lettre ouverte au président iranien réformateur Hassan Rohani, dans un geste d'ouverture très significatif dans sa symbolique. C'est dire si le représentant local des gardiens de la révolution, le Hezbollah, a dû apprécier le geste...
En tout cas, l'assassinat de Mohammad Chatah est loin de représenter un signe de confiance en soi de la part du criminel, quoique ce dernier ait frappé méthodiquement, en groupe, et sous les regards de multiples caméras de contrôle, preuve que, lorsqu'il s'agit de tuer, il le fait professionnellement, en prenant toutes ses aises, en toute impunité.

 

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Mais cette lecture à chaud n'est pas suffisante pour expliquer pourquoi un Mohammad Chatah, symbole d'un sunnisme modéré et converti au libanisme, doit être liquidé de l'équation. Car il suffit d'un autre niveau de lecture, portant sur la stratégie actuelle de l'axe syro-iranien en Syrie, pour comprendre que ce qui était visé, à travers Mohammad Chatah, c'est le sunnisme modéré incarné par le courant du Futur, et l'option libaniste qu'il défend au sein de l'alliance du 14 Mars.
Depuis 2011, si Bachar el-Assad a pu se maintenir au pouvoir avec l'aide des gardiens de la révolution, c'est en défendant, aux yeux d'un Occident aveuglé par une pulsion sunnitophobe héritée des attentats du 11 septembre 2001, l'idée qu'il incarnait un pouvoir laïque et protecteur des minorités. C'est ainsi que, dès le début de la révolution syrienne, le régime Assad a prétendu faire face à des hordes de takfiristes, qui étaient en fait, durant les six premiers mois de la révolution, des militants pacifistes et en grande majorité démocrates, similaires à ceux qui ont avaient été les fers de lance de la chute de Ben Ali et Moubarak. Il a fallu, pour justifier aux yeux de la communauté internationale le maintien du régime, diviser l'opposition sur le plan sectaire, radicaliser la communauté sunnite par une montée crescendo du degré de violence, puis amnistier des figures islamistes. Ces dernières, avec l'aide de réseaux financiers et militaires islamistes du Golfe et d'ailleurs, ont contribué à former une nébuleuse jihadiste dont l'allégeance reste suspecte, tant ses actes desservent l'opposition et font l'affaire du régime, permettant enfin à Assad de se poser, par ce stratagème diabolique, en protecteur indispensable des minorités, en défenseur héroïque des chrétiens et, partant, en une sorte de Charles Martel défendant les frontières de l'Europe de l'extrémisme sunnite.
Ce stratagème syro-iranien d'infiltrer et de manipuler l'extrémisme sunnite n'est pas nouveau. Le Liban a déjà été témoin à plusieurs reprises de ce genre de fabrications. L'observateur avisé de la situation libanaise n'a pas oublié les manipulations de groupes takfiristes par le régime syrien à Denniyé en janvier 2000 pour légitimer, sur le plan chrétien, un président fantoche ; ni l'affaire montée de toutes pièces par Damas à Majdel Anjar en septembre 2004 afin que le régime syrien puisse faire preuve d'empathie bien calculée dans la lutte contre le terrorisme avec des États-Unis traumatisés par le 11-Septembre ; ni les hordes de Fateh el-Islam, envoyées par Damas pour déstabiliser le Liban-Nord et massacrer l'armée libanaise en 2007, et recrutées sur les restes d'une officine palestinienne du régime syrien, le Fateh-Intifada, dans le camp de Nahr el-Bared – Fateh el-Islam que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait voulu protéger en décrétant l'existence de « lignes rouges » contre toute intervention de l'armée libanaise dans le camp contre le groupuscule ; nul n'a oublié, non plus, la libération, sur requête personnelle de Hassan Nasrallah, du prédicateur salafiste Omar Bakri (chassé de Londres à la suite des attentats de juillet 2005), pourtant arrêté en novembre 2010 par le chef des FSI, Achraf Rifi, sur injonction du tribunal militaire et avec la bénédiction du cabinet présidé par Saad Hariri. Le Hezbollah avait même mis l'un de ses députés, l'avocat Nawwar Sahili, à la disposition de Omar Bakri pour le défendre... Sans oublier enfin le fait que les institutions sécuritaires concernées aient curieusement laissé filer à l'anglaise, tour à tour, le chef de file de Fateh el-Islam, Chaker el-Absi, ou encore celui dont la mission à Saïda était de radicaliser la communauté sunnite aux dépens du courant du Futur, Ahmad el-Assir...

 

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Ce n'est qu'à la lumière de cette vaste manipulation qu'il est possible de comprendre pourquoi Mohammad Chatah est tombé et pourquoi d'autres modérés sunnites risquent encore de tomber sous les coups de l'axe syro-iranien, si la machine à tuer n'est pas arrêtée.
Depuis 2006, le Hezbollah œuvre inlassablement, comme Assad l'a fait chez lui depuis le début de la révolution syrienne, à affaiblir le courant du Futur de Saad Hariri, à soutenir et renforcer les extrémistes sunnites et à polariser et milicianiser la vie politique. L'assassinat de Mohammad Chatah risque bien de marquer un tournant à ce niveau. Un essoufflement du courant du Futur, et plus globalement du 14 Mars, réduits à l'impuissance face aux tueurs et à la violence, aurait probablement pour effet de provoquer un débordement au niveau de la rue sunnite à moyen terme, ouvrant la voie à ce que recherche le Hezbollah : le renforcement des jihadistes sunnites. Car, ce faisant, le Hezbollah pourra ainsi asseoir confortablement ses armes et le maintien de sa açabiya communautaire. Le discours du Hezbollah n'est-il pas axé aujourd'hui sur la lutte contre les takfiristes pour justifier son intervention militaire en Syrie ? Pourquoi n'œuvrerait-il pas, comme Assad, afin de justifier une mainmise totale sur l'État libanais, à faciliter l'arrivée des jihadistes au Liban, qu'il aura lui-même contribué à renforcer, comme c'est le cas notamment à Tripoli ? Surtout s'il est un jour acculé à disparaître du fait des mutations en cours à Téhéran. En aidant à créer ce monstre tentaculaire, le Hezbollah pourra également s'assurer la sympathie de toutes les institutions étatiques et d'une frange non négligeable de la population libanaise, toutes communautés confondues. Du rang de milice échappant au contrôle de l'État et d'accusé du meurtre de Rafic Hariri devant le Tribunal spécial pour le Liban, le Hezbollah espérerait ainsi acquérir une sorte d'apparât de résistance, similaire à celle d'Assad, qui le rendrait incontournable, ou tout simplement « pas si mauvais que cela », aux yeux de la communauté internationale. Tout au plus sera-t-il un extrémisme combattant un autre extrémisme beaucoup moins organisé, habile, séduisant et pernicieux que lui, ce qui lui assurera un soutien incontestable de sa communauté.
Tels sont, en partie, les enjeux politiques et sociologiques en cours au Liban aujourd'hui et qui expliquent l'assassinat de Chatah. Loin d'être un mouvement politique exemplaire ou puissant, le 14 Mars reste cependant une digue, qui empêche encore, tant qu'il existe, un effondrement total de l'État libanais dans ce que certains en Iran – et en Israël – souhaitent qu'il soit : une arène de confrontation entre deux extrémismes qui se nourrissent l'un l'autre, le Hezbollah et les takfiristes.

L'assassinat vendredi dernier en plein cœur de la ville de Beyrouth de l'ancien ministre des Finances Mohammad Chatah, l'un des cerveaux du 14 Mars et l'un des esprits les plus remarquables de la scène politique et diplomatique libanaise, dans un attentat à la voiture piégée qui a coûté la vie à sept autres personnes, s'inscrit dans le cadre d'une logique implacable.Une double grille de...

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CEUX QUI PRÊCHENT DES COUPS DE FORCE DEVRAIENT SAVOIR QUE POUR LES ENTREPRENDRE ON DEVRAIT ÊTRE LE PLUS FORT ET NON PAS LE PLUS FAIBLE. DANS CE DERNIER CAS, LE SEUL COUP DE FORCE SERAIT : LE DROIT, LA VOLONTÉ, LA FERMETÉ, LA PERSÉVÉRANCE ET LA PATIENCE... TOUTES CES QUALITÉS DANS LE CADRE D'UN DIALOGUE QU'IL NE FAUT POINT REFUSER MAIS RECHERCHER !

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 28, le 30 décembre 2013

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Commentaires (5)

  • CEUX QUI PRÊCHENT DES COUPS DE FORCE DEVRAIENT SAVOIR QUE POUR LES ENTREPRENDRE ON DEVRAIT ÊTRE LE PLUS FORT ET NON PAS LE PLUS FAIBLE. DANS CE DERNIER CAS, LE SEUL COUP DE FORCE SERAIT : LE DROIT, LA VOLONTÉ, LA FERMETÉ, LA PERSÉVÉRANCE ET LA PATIENCE... TOUTES CES QUALITÉS DANS LE CADRE D'UN DIALOGUE QU'IL NE FAUT POINT REFUSER MAIS RECHERCHER !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 28, le 30 décembre 2013

  • Effectivement c'est avec grande perplexité que l'on voit les hauts responsables du Hezbollah faire absolument tout pour affaiblir, exténuer même le sunnisme modéré au Liban et faire émerger, à sa place, l'intégrisme et l'extrémisme sunnites. Dans les cas de Fateh el-Islam et d'Omar Bakri, leur zèle flagrant en faveur de ces deux phénomènes est encore motif de plus de perplexité. On attribue toujours ce comportement des ténors du Hezbollah à leur "aveuglement" (je le faisais encore hier), mais au fond on a un doute et on se dit : est-il possible qu'ils soient tellement aveugles ? L'analyse ci-dessus de M Hajji Georgiou dit clairement qu'il ne s'agit point d'aveuglement, mais d'un machiavélisme parallèle à celui du régime de Damas. De ce dernier, le célèbre opposant Michel Kilo disait hier : "DAECH n'est que des groupes que ce régime a envoyés en Irak et qu'il a rappelés en Syrie, pour se présenter comme meilleure alternative". Le bras des Gardiens de la révolution iranienne au Liban, sous l'orientation de ses chefs à Téhéran, oeuvre à "créer un monstre tentaculaire", pour s'affirmer localement, régionalement et internationalement comme grand résistant et meilleure alternative à ce monstre. C'est bien plausible. Pour le succès du machiavélisme de la dictature de Damas, le prix est la destruction totale de la Syrie et le martyre du peuple syrien. Il en sera de même au Liban pour le succès du machiavélisme du Hezbollah.

    Halim Abou Chacra

    09 h 30, le 30 décembre 2013

  • L'AVOCAT DU DIABLE : C'EST LA THÈSE DU SIMPLE CALCUL ET DE LA SIMPLE LOGIQUE ! QU'EN EST-IL D'AUTRES CALCULS ET DE L'AUSSI SIMPLE ANTITHÈSE LAQUELLE, DÉTAILLÉE, DEVIENDRAIT ELLE LA THÈSE ? SANS PREUVES TANGIBLES LES ACCUSATIONS PAR SUPPOSITIONS NE MÈNERAIENT QU'AU DIVORCE TOTAL DANS LE PAYS, ET PARTANT PEUT-ÊTRE À UNE GUERRE CIVILE CATASTROPHIQUE TANT SOUHAITÉE PAR : L'ANTITHÈSE !!! LA LOGIQUE DIT QUE, PLUS QUE TOUJOURS, LE DIALOGUE ET L'ENTENTE, LA FORMATION D'UN GOUVERNEMENT D'UNION NATIONALE ET L'ÉLECTION EN SON TEMPS D'UN NOUVEAU CHEF DE L'ETAT SONT DEVENUS UNE NÉCESSITÉ URGENTE, SINON LES DEUX FORMATIONS ANTAGONISTES ENSEMBLE SERAIENT LES FOSSOYEURS DE CE PAUVRE PAYS ET DE SON PEUPLE MARTYRISÉ ! QUE LA LOGIQUE DE LA SAUVEGARDE DU PAYS PRÉVALENT ENFIN !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 33, le 30 décembre 2013

  • De même qu'au vieux et qu’à l’ancien Panthéon romain l'on trouvait les dieux de toutes les nations, on trouvera dans ce Grand-Liban post-Franc tous les péchés de toutes les formes d'État. Cet éclectisme atteint une hauteur insoupçonnée jusqu'ici ; yîîîh ! On en a la parfaite garantie, notamment dans la gourmandise politico-archaïque d'un fakkîh reclus, cloîtré et Noirci qui pense jouer tous les rôles de sa wilâïyâh Per(s)cée dans ce pays : De la wilâïyâh féodale ou bureaucratique, de la wilâïyâh absolue ou constitutionnelle, de la wilâïyâh autocratique ou Pseudo-démocratique. Même si ce n'est pas par l'intermédiaire de la peuplade, du moins en "propre" personne. Si ce n'est pour cette peuplade, du moins pour lui-même et sa "propre" personne. Ce Grand-Liban ainsi Perc(s)é, en tant que personnification du vice absolu de ce présent politique, ne pourra démolir ce genre de barrières spécifiquement libanaises mais malheureusement Malsaines car fakkîhàRiennes, sans démolir la barrière générale de son présent politique -ci si triste et si pathétique.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 00, le 30 décembre 2013

  • çà se tient...mais est ce que parce que çà se tient ,c'est vrai? la question est là...dans le bordel généralisé actuel,avec les partis,les officines,les sous officines,pas facile d'y voir clair.Mais M. Hajji Georgiou fait bien de rappeler l'attitude des plus ambigüe du Hezb en ce qui concerne les mouvements supposés takfiristes que ce soit à Nahr el Bared,ou à Saïda,ou dans le feuilleton tragi-comique des libérations et "évasions" des leaders islamistes emprisonnés.Parce que çà,ce sont des réalités incontestables,et pour le moment sans explications.

    GEDEON Christian

    03 h 58, le 30 décembre 2013

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