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Culture - Exposition

Akram Zaatari, de l’image à la rumeur et... vice versa

Fouiller les images, les documents, les artefacts, jusqu'aux... rumeurs du passé. Saisir leur portée à la lumière du présent, pour mieux comprendre le déroulement de l'histoire. Voilà en somme ce à quoi s'attelle Akram Zaatari à travers l'ensemble de ses projets artistiques.

Pour l’exposition « This Day @ Ten », Akram Zaatari a reconstitué une salle de cinéma au sein de la galerie Sfeir-Semler.

Faire, en quelque sorte, œuvre d'archéologue, de collecteur de petites histoires, personnelles, individuelles ou même collectives, enfouies dans les replis de l'histoire contemporaine du Liban et de la région. Puis, à partir de là, se transformer en chroniqueur visuel qui reconstituerait le passé, remettrait les événements dans leur contexte. Et en proposerait une relecture nouvelle, délestée des tabous et autres faux clichés. Toute l'œuvre artistique d'Akram Zaatari (photographe, vidéaste, installationniste et initiateur de la Fondation arabe pour l'image) s'articule autour de son obsession à creuser, fouiller, exhumer les liens entre le révélé et le dissimulé des choses. Sous une forme conceptuelle, forcément complexe. Et qui nécessite donc de la part de celui qui aborde son œuvre la curiosité patiente d'un archéologue des images !


Car il faut libérer au minimum deux bonnes heures pour appréhender en profondeur l'exposition, « This Day @ Ten », que lui consacre la galerie Sfeir-Semler de Beyrouth*. Laquelle revisite, au moyen de films et d'installations, les grandes lignes de son travail depuis This Day (86min ; 2003) jusqu'au fameux Letter To A Refusing Pilot (35min ; 2013) présenté cette année dans le premier pavillon libanais de la Biennale de Venise.
Scindée en deux parties, « This Day @ Ten » présente ainsi, d'une part, une salle de cinéma reconstituée, avec ses fauteuils rouges fixés au sol, permettant au public de visionner, à la manière classique, trois des films essentiels d'Akram Zaatari. D'autre part, des installations complètent l'immersion du visiteur dans l'univers, entre réalité et fiction, vérité cachée et secrets déterrés de cet artiste, qui à partir de fils déroulés des trames d'anciennes histoires tisse les étoffes que revêtira l'histoire en devenir...

 

Dix ans plus tard...la Biennale
Dix ans plus tard, This Day (dont l'exposition reprend partiellement le titre) apparaît donc comme « le » film fondateur dans le parcours de ce vidéaste plasticien. Articulé autour de notes et d'images qu'il a lui-même prises à 16 ans durant l'offensive israélienne en 1982 – auxquelles il a ajouté des images de Bédouins filmés dans les années 50 par l'historien syrien Gebraiel Jabbour et d'autres séquences prises en Jordanie –, This Day marquera ainsi de son empreinte la thématique artistique de Zaatari. Dans ses œuvres suivantes l'artiste abordera constamment ses questionnements d'identité, de pouvoir, de nationalisme, de justice sociale ou encore de rébellion sur une toile de fond faisant référence à l'antagonisme israélo-régional.


« Qu'est ce qui nous fait soudainement éprouver le besoin de filmer, de noter, d'enregistrer quelque chose ? Un conflit ? Sans doute. Mais peut-être, plus encore, une menace sourde, l'impression que les choses nous échappent... », s'interroge Akram Zaatari. Qui tente donc dans cette œuvre d'explorer « le seuil déclencheur d'un acte aussi énigmatique », dit-il. Tout en offrant à travers ses images « une relecture de l'histoire à la lumière de ce qui se passe au temps présent ».
Si toute l'œuvre de Zaatari est dominée par l'idée d'excavation, le recours au même geste (celui de creuser) tant pour enfouir que pour déterrer lui a inspiré le 3e film de cette exposition, In This House (30min), ainsi que la sculpture-installation Time Capsule qu'il a réalisée pour la Documenta de Kassel 2012. Et dont il présente, ici, une sorte de duplicata. Il s'agit d'une colonne de fondation inachevée, en béton et tiges de fer, inspirée du « geste » du Musée national de Beyrouth consistant à emmurer et enterrer certaines pièces d'antiquités difficiles à transporter pour les préserver des effets de la guerre.

 

« Lettre à un pilote qui a désobéi »
Mais le clou de l'exposition reste, incontestablement, cette Lettre à un pilote qui a désobéi, une vidéo-installation développée autour d'un étrange événement survenu, encore et toujours, en pleine guerre israélo-libanaise. Quand l'un des avions de chasse israéliens qui bombardaient la ville de Saïda le 6 juin 1982 fit brusquement demi-tour, alors qu'il survolait l'école publique de Taamir (conçue par Écochard) pour aller lâcher ses projectiles au-dessus de la mer !


Cet épisode avait donné lieu, à l'époque, aux racontars les plus fous sur de possibles origines libanaises du pilote israélien. Et avait nourri chez Akram Zaatari – originaire de Saïda et dont le propre père était le directeur de cet établissement alors miraculeusement épargné – le profond désir d'explorer la part de vérité et de fantasme de cette histoire. Des années plus tard, ses recherches et documentations aboutiront à cette Letter To A Refusing Pilot. Inspiré de la fameuse Lettre à un ami allemand d'Albert Camus, ce film, soutenu par une installation photo complémentaire, remet dans le domaine du visible un fait dont la réalité s'était effacée sous la rumeur...
Jusqu'au 22 mars 2014.

*La Quarantaine, imm. Tannous pour les métaux, 4e étage. Horaires d'ouverture : du mardi au samedi, de 11h à 18h. Tél. 01-566550.

 

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