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« Je rêve d’un tribunal qui n’aura plus rien à faire... » - Conférence

« Je rêve d’un tribunal qui n’aura plus rien à faire... »

L'apport des tribunaux pénaux internationaux, un événement organisé à Nuremberg à l'initiative de Wayamo Communication Foundation, avec le soutien du ministère allemand des Affaires étrangères.

Un panel auquel ont pris part, de gauche à droite, Ekkhard Withopf (TSL), James Stewart (CPI), Hassan Jalow (TPIR), Jennifer Trahan (Université de New York) et Serge Brammerz (TPIY).

« Vous pouvez montrer l'exemple et donner les moyens pour renforcer des capacités locales mais vous ne pouvez pas créer la volonté et forcer la détermination des États à en tirer les leçons pertinentes pour en faire un bon usage. »


Ce constat, formulé par une diplomate allemande, est probablement l'un des enseignements majeurs que l'on retiendra d'une conférence magistrale sur l'apport des tribunaux pénaux internationaux, un événement organisé à Nuremberg à l'initiative de Wayamo Communication Foundation, avec le soutien du ministère allemand des Affaires étrangères. Le choix du mot brésilien de « Wayomo », qui signifie « un processus initiatique », devait annoncer on ne peut mieux la réflexion que sous-tendait cette rencontre placée sous le thème du « legs de la justice internationale », 70 ans après le début des procès des responsables nazis à Nuremberg.


L'entreprise était imposante, non seulement par l'envergure des intervenants présents, mais surtout par la qualité et la pertinence des échanges où les tabous n'avaient pas leur place. Le choix de la localité de la conférence est d'un symbolisme flagrant : c'est à Nuremberg, haut lieu de la tenue des congrès nazis et des ostentations publiques de ce parti, là même où se sont déroulés les procès publics pour juger les crimes contre l'humanité perpétrés par la nomenclature du Troisième Reich. Le berceau enfin du droit international dont les jalons devaient progressivement se préciser au lendemain de la guerre froide pour donner naissance à la nouvelle génération de tribunaux internationaux : la Cour pénale internationale et la série des tribunaux ad hoc, dont le Tribunal spécial pour le Liban.

 

Quelles leçons retenir depuis ?
Après deux décennies de pratique judiciaire au plan international, comment évaluer son impact, en termes de justice rendue, de lutte contre l'impunité, de transfert d'expertise mais aussi de réconciliation nationale escomptée au lendemain des procès ?
À l'heure où le Liban s'apprête à affronter sa première épreuve en la matière, à quelques semaines du début du procès international dans l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri, les problématiques soulevées lors de ce rassemblement à Nuremberg ont permis d'apporter une ébauche de réponse aux interrogations qu'il est aujourd'hui légitime de formuler : les expériences apportées à ce jour et les effets, immédiats et à long terme, des tribunaux de l'ex-Yougoslavie, du Cambodge, du Rwanda, du Sierra Leone, mais aussi de la CPI ont-ils contribué à enrichir et à faire évoluer un peu plus la pratique judiciaire internationale ?
Ont-ils réussi à optimiser les résultats en termes de complémentarité avec les juridictions nationales ? Enfin, qu'en est-il du processus de réconciliation et de pacification des sociétés concernées ayant témoigné de violences monstrueuses ? Qu'en est-il également de la prévention pour l'avenir des crimes contre l'humanité qui observe aujourd'hui, impuissante, les massacres les plus effroyables du siècle présent commis en Syrie ?

 

Impunité et règle de droit
Si l'on convient que les procès de Nuremberg avaient pour but non seulement de punir les coupables, mais aussi de rendre publique et de dénoncer, aux yeux des Allemands et du monde entier, la criminalité des nazis pour prévenir la réédition de telles horreurs, peut-on dire pour autant que les jugements rendus par la suite contre une pléthore de hauts commandants, voire des chefs d'État ont eu un effet dissuasif dans le temps ?
Autant de pistes de réflexion qui n'impliquent pas toujours des réponses toutes faites dès que l'on prend conscience qu'il s'agit d'un terrain polyvalent, complexe, où l'humanitaire, le judiciaire et le politique se côtoient de manière subtile. Elles ont cependant l'avantage de mettre en exergue les difficultés de la mission et de définir les fondements d'un enseignement futur, dans l'optique de faire évoluer le droit pénal international, un secteur en pleine mutation devant servir à son tour comme modèle pour inspirer les juridictions nationales.


C'est ce qui ressort en substance de trois jours de brainstorming qui ont vu défiler – au tribunal même de Nuremberg, symbolisme oblige –, procureurs, avocats de défense, experts, professeurs, diplomates, défenseurs des droits de l'homme, une centaine de personnalités représentant notamment l'Allemagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Liberia, l'Afrique du Sud, la Gambie, le Kenya, la Bosnie, la Serbie, le Cambodge, le Sierra Leone et le Liban. Des intervenants qui ont apporté, chacun à tour de rôle, leur pierre à l'édifice, dans une tentative de fonder pour l'avenir. La justice internationale étant entendue comme tribune pour la lutte contre l'impunité, mais aussi comme moyen ultime pour transmettre ses enseignements, son expertise et ses outils au niveau local, dans le cadre d'un partenariat constructif entre les juridictions nationales et internationales.

 

Définir la complémentarité...
Les tribunaux doivent laisser quelque chose derrière eux. Cette affirmation du grand juge Antonio Cassese sera reprise comme un leitmotiv pour guider la discussion.
Qui dit partenariat, transfert d'expérience et de culture judiciaire suppose la présence d'un gouvernement volontairement coopératif d'une motivation et d'une mobilisation politique, à défaut de pressions internationales préconisées par quelques intervenants. Mais encore, « qui détermine de quel legs il s'agit », s'interroge le procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), Hassan Jallow, pour qui l'évaluation de ce legs – « un processus continu et non ponctuel » – ne devrait pas être de la seule responsabilité des tribunaux internationaux.
Pour le patron de l'ICTJ (Centre international de justice transitionnelle), David Tolbert, la transmission d'un tel patrimoine est un « processus aux multiples facettes » qui suppose la mise en contribution d'acteurs-clés : victimes, société civile, journalistes, autorités publiques, mais aussi, bailleurs de fonds, la contribution de la Banque mondiale étant fondamentale, selon lui. « Les historiens, les victimes, les survivants font également partie de cette mission », renchérit le juge Jallow, rappelant comment les procureurs rwandais ont compilé les meilleures pratiques en les consignant dans des ouvrages, « contribuant partiellement à l'écriture de l'histoire ».


Un patrimoine « écrit » également transmis par le Tribunal pénal international de l'Ex-Yougoslavie (TPIY), avec près de 200 000 pages de procédures désormais disponibles auprès des systèmes judiciaires locaux qui ont relayé la justice internationale dans plusieurs dossiers qu'ils instruisent eux-mêmes aujourd'hui. Il faudrait également mettre au crédit du TPIR le développement d'une jurisprudence des plus riches en matière de génocide, « engendrant des résultats tout aussi positifs sur le plan national » : amélioration des conditions de détention, abolition de la peine de mort et essor de l'économie nationale dus notamment à l'efficacité acquise par le système judicaire national. Nécessité de complémentarité certes, mais en ayant présent à l'esprit que celle-ci comprend deux aspects, fera remarquer Alex Whiting, professeur à l'université de Harvard. L'un négatif – « la limitation des pouvoirs de la Cour, un compromis trouvé entre le Statut de Rome et la souveraineté de l'État », l'autre positif, « le renforcement des techniques d'investigation au niveau local, un accroissement de la crédibilité des juridictions nationales et une justice de plus en plus proche des victimes ».
En définitive, tout le monde y gagne et les apports successifs des deux parties sont interdépendants : « Le tribunal marquera des succès en cas de complémentarité réussie et la justice nationale aussi. » « A win-win situation » conditionnée toutefois par la présence d'un mécanisme de coordination des efforts en vue notamment de développer et de stimuler les capacités et les efforts au niveau local, ce qui fait encore défaut, devait encore constater le professeur. Sa suggestion : mettre en place une structure relevant des Nations unies pour organiser le processus et accroître les effets.

 

... et les moyens
Si l'une des missions de la justice internationale est de promouvoir une réaction nationale aux crimes internationaux, encore faut-il lui en donner les moyens.
Député adjoint à la Cour pénale internationale, James Stewart rappelle à ce propos le préambule de la CPI prévoyant cette complémentarité qui reste toutefois limitée par les pouvoirs octroyés à la Cour. « La CPI a beaucoup de responsabilités mais peu de pouvoirs », note le magistrat. D'où le besoin impérieux de développer tout un réseau relationnel avec les acteurs locaux, une tâche qu'il faut envisager dans le long terme. « Il faut des décennies pour pouvoir développer les systèmes locaux », relève, avec réalisme, M. Whiting.
Réaliste aussi, le procureur de la CPIY, Serge Brammertz, qui reste convaincu qu'il n'existe pas de recette toute faite et qu'en définitive, « chaque pays doit trouver son propre cheminement, apporter sa propre réponse ».

 

Le paradoxe de la promiscuité
Ce n'est pas qu'au Liban que le débat entre l'influence de la politique sur la justice internationale (ou le mouvement inverse) fait rage. Cette discussion sempiternelle a longtemps nourri la polémique. Depuis le fameux label de « justice des vainqueurs » associé aux procès de Nuremberg, jusqu'à la création des tribunaux adhoc en passant par les dossiers instruits par la CPI, l'accusation est la même : la justice internationale ne saurait s'affranchir des considérations politiques et ne fait que refléter les rapports de force en présence.


Si d'emblée, les participants ont convenu que la genèse des tribunaux internationaux, créés sur décision du Conseil de sécurité, peut être indiscutablement liée à des considérations politiques – la sélectivité des dossiers à instruire devant les cours internationales étant en elle-même un élément d'injustice en soi – la réponse à cette problématique est plus nuancée dès qu'elle est abordée sous l'angle des rouages des juridictions internationales et à la lumière de leurs décisions tout au long de la chaîne : les relations avec les autorités locales, les techniques d'investigation, les moyens mis à contribution, le choix des victimes, les sentences rendues, etc.
La réponse est en outre rendue d'autant plus complexe qu'elle est non seulement liée au fonctionnement de ces juridictions, mais reste indissociable des attentes et de la perception qu'en ont les populations locales concernées. Celle-ci est souvent en déphasage avec les objectifs des acteurs juridiques au sein des institutions judiciaires internationales et les moyens mis à leur disposition pour les atteindre.
Si l'on convient avec Serge Brammertz que « la justice évolue dans certains contextes biens précis », que la justice pénale internationale est exclusivement concernée par des crimes de nature politique, et qu'en définitive, nous vivons dans un monde éminemment politique, l'on saisirait peut-être la justification qu'en donnent à tour de rôle les procureurs en présence. « Si l'on se place à un niveau politique pour juger les auteurs d'un massacre, ce n'est absolument pas une décision politique, mais plutôt la nature de l'identité du criminel », répercute un autre magistrat.


Commentant l'arrestation du président Charles Taylor, premier chef d'État dans l'histoire à être déféré devant la justice internationale, Desmond de Silva (avocat britannique et ancien responsable onusien) et David Crane (ancien procureur du Tribunal spécial pour le Sierra Leone) le diront, chacun dans ses propres termes mais de manière on ne peut plus crue : la justice doit s'enraciner dans le politique (mais non pas dans la politique politicienne).
Pour James Stewart, toute décision judiciaire quelle qu'elle soit a des implications politiques certaines. « Vous êtes condamnés si vous en prenez une, condamnés également si vous n'en prenez pas », résume-t-il. La solution à ce dilemme est comprise dans une réponse lapidaire : « On  le fait ou on ne le fait pas », dit-il.

 

La perception des populations
Réagissant aux critiques formulées notamment par les journalistes kenyans présents qui notaient la baisse de la crédibilité, aux yeux de la population, de la CPI qui instruit le dossier kenyan, le magistrat affirme que le changement de perception parmi la population est une question « complexe », rectifiant toutefois l'impression de pessimisme reflétée par les journalistes.
Le procureur de la TPIY reconnaîtra également l'existence d'un « fossé » entre La Haye et la perception de la justice internationale au niveau local, avant de trancher, mettant en avance le principe selon lequel les jugements parlent pour eux-mêmes.
« Je prends mes décisions uniquement sur base de l'intention criminelle », assure M. Brammertz.
C'est probablement la formule employée par Philippe Ambach, assistant spécial du président de la CPI, qui exprimera le mieux cette problématique : « La dimension politique existe non pas parce que la justice est politisée mais tout simplement parce que ce sont des outils politiques qui ont servi à commettre les crimes. »
Une chose est certaine pour le procureur adjoint pour les Chambres extraordinaires du Cambodge, William Smith, qui rejoint plusieurs avis allant dans le même sens : « Il est absolument nécessaire pour les cours internationales de pouvoir bénéficier du soutien des sociétés concernées. »

 

Réhabiliter le contrat social
Les instances judiciaires ont souvent traduit ce besoin d'un soutien necessaire par la mise en place de bureaux chargés de la sensibilisation et d'un travail de proximité, une tâche qui ne doit pas se faire à sens unique, la sensibilisation devant toucher inversement les acteurs mêmes du tribunal : procureurs, enquêteurs, conseils de défense, administrateurs, etc.
David Crane exprimera ce besoin impérieux « de se rendre sur place, de parler aux populations, de sentir les relents des horreurs qu'elles ont subies », avant de souligner l'importance pour elles « de voir sur place les gens du tribunal ». Il sera également question lors de ces débats de la sélectivité des criminels pour des raisons de prérogatives et de règle de saisine notamment – le cas de la Syrie reviendra sur toutes les lèvres – la sélectivité des victimes aussi, les moyens logistiques et les mandats confiés aux tribunaux internationaux n'étant pas toujours suffisants.
Les critiques cibleront également la lourdeur et la redondance des procédures qui parfois se reflètent négativement sur les résultats, les coûts faramineux de ces institutions judiciaires budgétivores, les techniques de protection des témoins et le rôle et les moyens alloués à la défense, cette dernière étant d'ailleurs le parent pauvre par excellence du système, se plaint Xavier-Jean Keïta, avocat de défense à la CPI. L'on évoquera enfin l'objectif escompté de la réconciliation ou ce que David Tolbert appellera l'effort « de réhabiliter le contrat social brisé entre la population civile et l'État ». Un devoir qui ne dépend pas de la seule ambition exprimée par les juridictions internationales et de leurs efforts respectifs, mais aussi, pour ne pas dire surtout, des dynamiques locales et de « l'habilité à pardonner », comme en témoigne la journaliste sierra-
léonaise des droits de l'homme, Yeama Thompson.
En dépit de ses insuffisances et des erreurs commises en cours de route, il n'en reste pas moins qu'une justice lacunaire voire même sélective est à préférer à pas de justice du tout, s'accordent à dire en chœur les participants. « Ce n'est pas un système parfait, mais certainement un système qui, on l'espère, conduira le monde vers de meilleurs horizons », conclut David Crane qui venait de rappeler un chiffre effroyable : 225 millions de morts, le bilan des massacres, génocides et conflits armés pour le XXe siècle.
Il faut répéter, à la manière d'un mantra, ce credo fondamental, dira David Crane : « Personne n'est au-dessus de la règle de droit qui est plus puissante que la règle des armes. »

« Vous pouvez montrer l'exemple et donner les moyens pour renforcer des capacités locales mais vous ne pouvez pas créer la volonté et forcer la détermination des États à en tirer les leçons pertinentes pour en faire un bon usage. »
Ce constat, formulé par une diplomate allemande, est probablement l'un des enseignements majeurs que l'on retiendra d'une conférence magistrale sur...