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Liban - Séminaire

Déjà fragilisée, Beyrouth s’enfonce, plombée par la crise syrienne

Dans le cadre de la clôture du projet Cèdre franco-libanais sur la mondialisation et la métropolisation de Beyrouth, le département de géographie de l’Université Saint-Joseph a organisé un séminaire sur le thème « Beyrouth, entre mondialisation et crise syrienne ».

Difficile aujourd’hui de parler de Beyrouth, de son développement, de son processus d’intégration dans la mondialisation, sans prendre en considération les répercussions de la crise syrienne sur la capitale libanaise. Des répercussions tant sur l’économie libanaise, que sur le tourisme et sur la place qu’occupe Beyrouth dans le Proche-Orient.


La crise syrienne révèle les faiblesses de Beyrouth et par le fait même, celles du système économique libanais qui n’a pas su profiter des avantages de la mondialisation : Fabrice Balanche, enseignant chercheur à Lyon 2 et spécialiste du Proche-Orient, évoque les conséquences néfastes pour le pays du Cèdre du conflit syrien et du flux des réfugiés. Des conséquences d’autant plus lourdes que Beyrouth a perdu sa place de centre de distribution à l’échelle du Moyen-Orient au profit du Golfe, car « elle n’a pas su profiter des erreurs de ses voisins ».


La métropole libanaise compte sur les investissements arabes, principalement immobiliers, et son économie est basée sur les services. Ce qui la rend « plus vulnérable face à la crise syrienne », car elle ne peut compter ni sur son industrie, ni sur son agriculture, ni sur ses têtes pensantes qui émigrent. « Les risques de déstabilisation du pays, déjà fragilisé, pèsent donc sur les investissements étrangers » en nette décroissance. Le scénario dépeint par le chercheur n’a rien d’optimiste. Le Liban est situé dans une zone de conflits durables. « Dans le meilleur des cas, les combats en Syrie et le flux de réfugiés ne s’arrêteront pas avant deux ans, estime-t-il. Quant au conflit israélo-palestinien, il n’est pas près d’être réglé. »

 


Manque de confiance, absence de réformes
Le conflit syrien a certes accéléré la récession au Liban, mais il est loin d’être à l’origine de la crise de l’économie et du tourisme, affirme de son côté l’économiste Nassib Ghobril. Car l’économie est basée sur la confiance du consommateur et des investisseurs. « Or le déclin et la perte de confiance ont été perceptibles à partir de 2010, bien avant le conflit syrien, et la récession se poursuit », assure-t-il. Après un indice de 9,5 % en 2009, la croissance a commencé son repli en 2010 (7,1 %) pour plonger à 1,7 % en 2011. Pour l’année 2013, elle est quasiment nulle.


M. Ghobril met en cause « l’immobilisme de la classe politique libanaise et son manque de volonté pour enclencher les réformes structurelles ». Or l’économie libanaise est l’une des moins compétitives du monde arabe. « Les crises arabes étaient pourtant une occasion en or pour le Liban », plus vieux marché libre du monde arabe. « Mais le pays du Cèdre a raté le coche », déplore l’économiste. Il n’a pas su attirer les investissements des multinationales qui ont préféré les marchés de l’Europe et des États-Unis. Et ce, « à cause de son instabilité et de son infrastructure catastrophique », sans parler de l’indice de perception de la corruption. Ces problèmes, qui existent depuis plus d’une quinzaine d’années et qui ne peuvent être balayés que par des réformes, sont « les raisons essentielles pour lesquelles le pays est tellement touché par la crise syrienne », conclut Nassib Ghobril.


Face à cette réalité, Dominique Tohmé, représentant du Haut-Comité pour les réfugiés (HCR), brosse un tableau de la présence des réfugiés syriens au Liban et des programmes d’assistance mis en place par l’ONU, au niveau de la santé, de l’éducation, de l’alimentation, du logement et de la protection. « À l’heure actuelle, 795 984 réfugiés sont enregistrés ou en cours d’enregistrement auprès du HCR », précise-t-il. Mais d’ici à la fin de l’année, le chiffre atteindra un million de personnes, selon les estimations. « Une présence qui a certes un impact négatif sur le pays, mais également des répercussions positives », note M. Tohmé.


À titre d’exemple, « de nombreux réfugiés paient des loyers aux Libanais, grâce à l’aide financière que leur fournit le HCR », assure-t-il. Une grande partie d’entre eux est hébergée chez des proches. Mais « les communautés qui les hébergent sont fatiguées », principalement au Hermel, au Akkar ou à Wadi Khaled. C’est la raison pour laquelle « nombre de programmes d’assistance aux réfugiés sont aussi adressés aux communautés locales ». Selon la Banque mondiale, plus de 170 000 Libanais vivent désormais en-dessous du seuil de pauvreté. Si l’accueil par les familles libanaises de réfugiés syriens est jugé « idéal » par le HCR, M. Tohmé préconise « l’installation de camps, si le nombre de réfugiés venait à augmenter ». Et de souligner que le pays a aujourd’hui besoin de 2,5 milliards de dollars pour se stabiliser économiquement comme il l’était avant la crise syrienne.

 


Le tourisme en chute libre
Après avoir reçu plus de deux millions de touristes en 2010, le Liban subit de plein fouet les retombées du conflit syrien, mais aussi du printemps arabe. « La régression a débuté en 2011. Elle a chuté de 17,5 % en 2012 », affirme Liliane Buccianti-Barakat, coordinatrice à la commission scientifique de la recherche au sein du département de géographie de l’USJ. Selon les estimations, « le nombre de touristes ne devrait pas dépasser 1 150 000 pour l’année 2013 », assure la professeure. Non seulement les accrochages et les enlèvements découragent les visiteurs, mais « depuis 2012, les pays du Golfe interdisent à leurs ressortissants de se rendre au Liban ». Mme Barakat ne manque pas d’évoquer l’intervention du Hezbollah dans le conflit syrien, de même que les menaces par les pays arabes de sanctionner les expatriés libanais dans le Golfe. « Le coup de grâce est venu des attentats, en août dernier, suivis des menaces de frappes aériennes sur la Syrie », rappelle-t-elle.

 

(Pour mémoire : BM : L’économie libanaise gravement affectée par la crise syrienne)


Déjà fragilisé, le secteur du tourisme vit mal aujourd’hui les annulations en série, les licenciements et le chômage, à l’heure où le gouvernement démissionnaire est incapable de lancer les réformes, ou même de prendre la moindre décision. À titre d’exemple, « en trois ans, le taux de fréquentation des hôtels a accusé une baisse de 35 % à Beyrouth » et de 66 % dans les autres régions. « Les quatre derniers mois, une centaine de restaurants ont mis la clé sous la porte ». Ce secteur emploie pourtant 150 000 personnes. Mme Barakat tient pourtant à faire preuve d’optimisme : 2013 était bien la pire année pour le tourisme au Liban, mais cela n’empêche pas de nouvelles enseignes hôtelières de se préparer à s’implanter au Liban et de parier sur l’essor du pays du Cèdre.

 

 

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