Par Gareth EVANS
Selon moi, si votre diplomatie est critiquée de toutes parts, par les colombes comme par les aigles, par les internationalistes comme par les isolationnistes, c’est que vous devez être dans le vrai. Dans l’avalanche de commentaires concernant l’accord américano-russe sur les armes chimiques en Syrie, peu en qualifient l’issue de « gagnante-gagnante-gagnante » pour les États-Unis, la Russie et le peuple syrien. Mais c’est pourtant bien le cas, du moins jusqu’à présent. Le président Barack Obama et son équipe, en dépit de certaines maladresses, ont une grande part de ce mérite.
La liste des griefs contre Obama par rapport à la Syrie est longue. On reproche aux États-Unis de n’avoir entrepris aucune action décisive tandis que 100 000 Syriens mouraient, et de n’avoir aucune stratégie pour mettre fin au conflit. Obama avait créé des attentes dans l’hypothèse où des armes chimiques seraient utilisées, mais n’a rien fait le moment venu. Puis, lorsqu’une réponse s’est avérée impérative, il a menacé d’entreprendre une action militaire à la fois trop forte et trop faible. Il a d’abord accordé trop peu d’attention puis une attention excessive à ses opposants à l’intervention aux États-Unis. Et surtout, il a permis à un Kremlin toujours aussi cynique de prendre diplomatiquement le pas sur lui.
Mais penchons-nous sur les contraintes. Jusqu’à ce que survienne la question des armes chimiques, à aucun moment dans cette crise l’intervention militaire américaine sous quelque forme que ce soit n’a paru pouvoir sauver plus de vies qu’elle en aurait coûtées. L’influence croissante des jihadistes dans le rang des rebelles a rendu indéfendable un soutien pour une victoire catégorique de l’opposition. Il n’y avait tout simplement pas de preuves suffisamment tangibles de l’utilisation d’armes chimiques par le président syrien Bachar el-Assad, du moins avant le massacre de Ghouta en août dernier, pour faire pression sur la Russie, que ce soit au Conseil de sécurité de l’ONU ou dans l’opinion publique globale, afin qu’elle reconsidère son soutien réflexe au régime.
De plus, l’administration Obama reste déterminée à préserver la prééminence américaine en matière de réponse, avec force lorsque nécessaire, aux atrocités de masse (ordre du jour global de la responsabilité de protéger, « responsibility to protect »), mais après dix années de combats en Irak et en Afghanistan, la guerre est devenue un sujet sensible pour les Américains. C’est aussi généralement le cas en Europe, comme le montre le vote parlementaire britannique contre une participation à l’intervention. Pour une grande majorité de personnes, depuis George W. Bush et son sens de la « détermination », l’hésitation est de mise.
Considérons la réussite d’Obama dans un tel contexte. Une descente dans l’enfer des armes chimiques a été évitée, presque certainement de manière définitive : le régime Assad sait qu’il n’aurait plus aucun ami ni protecteur s’il décidait de passer à nouveau cette ligne jaune. Une intervention militaire, avec tous les problèmes qu’elle entraîne, a été évitée pour l’instant ; mais Assad sait que les États-Unis n’auraient d’autre option que d’attaquer, avec ou sans résolution explicite du Conseil de sécurité ou du Congrès, s’il devait encore perpétrer de telles atrocités.
Mais surtout, la coopération diplomatique sur les armes chimiques a enfin permis d’ouvrir la porte à un accord négocié du conflit sous-jacent en Syrie. Et l’ONU est revenue au centre de la scène ainsi que l’exige un ordre international fondé sur des règles sur de telles questions, un ordre dans lequel ses inspecteurs et son conseil de sécurité sont au cœur des développements futurs.
Oui, certaines choses auraient pu et auraient dû être menées différemment. C’est toujours ainsi. Si l’intervention justifiée des Américains, des Britanniques et de la France en Libye n’avait pas été menée dans une indifférence totale pour les considérations russes, chinoises et des pays en développement sur la portée du mandat, le Conseil de sécurité serait parvenu à une plus grande unité en 2011, lorsqu’un message univoque aurait pu stopper net Assad.
Se tourner vers le Congrès pour obtenir son aval allait toujours comporter plus de risques que d’avantages. Mais le fait que le secrétaire d’État John Kerry déclare que la réponse militaire américaine au massacre de Ghouta serait probablement « incroyablement petite » a presque totalement annihilé l’utilité de la menace américaine aux yeux des responsables syriens et russes. Et l’administration se serait facilité la tâche en expliquant mieux qu’une réponse collective à l’utilisation d’armes chimiques par le régime Assad était depuis longtemps sur la table, et n’était pas le seul fruit d’une adroite manœuvre diplomatique russe en réponse à la bourde de Kerry.
Ce qui a entraîné ces maladresses et permis aux uns et aux autres de se focaliser sur les opportunités plutôt que sur les excuses est le fait que tant les États-Unis que la Russie comprennent maintenant qu’ils ont des intérêts communs en Syrie. Les deux côtés veulent non seulement interdire au régime de Assad de réutiliser des armes chimiques, mais aussi trouver la voie d’une paix durable en Syrie, et rétablir l’autorité et l’utilité de l’ONU dans ce genre de situation.
Bien sûr, tout optimisme doit être tempéré. Il peut encore se passer bien des choses dans les semaines à venir. Un Assad se sentant cerné ou une opposition de plus en plus désespérée pourraient détruire cet accord sur le terrain. Il se peut que le fragile rapprochement entre les États-Unis et la Russie ne tienne pas, particulièrement si les Américains exigent encore – rompant ainsi avec leur récent silence – qu’Assad n’ait pas sa place autour de la table des négociations.
Mais lorsque les principales puissances coopèrent pour une juste cause, le monde en ressort plus sûr et plus sain. Et c’est ce que veulent les États-Unis, la Russie et, sur cette question, la Chine aussi. Si la prudence et la flexibilité d’Obama ont constitué la clé de cette question, alors il faut lui rendre cet hommage.
Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats
©Project Syndicate, 2013.
Moyen Orient et Monde
Un chemin vers le succès semé d’embûches pour Obama
OLJ / le 03 octobre 2013 à 00h00
commentaires (2)
Le seul sujet de désespoir en ce moment serait que le nobel soit livré à Poutine de toutes les russies. Une décision pareille finirait d'achever les va t'en guerre salafosionisés . Les 3 premières lignes de cet article qui donne raison à Obama, on pourrait les appliquer à nos vaillants résistants , si tout est contre vous dans votre résistance , c'est que vous êtes dans le vrai . Voilà !
Jaber Kamel
17 h 13, le 03 octobre 2013