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À La Une - Disparition

Antoine Achkar, sous le signe des traits d’union

Le vice-président du PSP avec Walid Joumblatt.

Il s’appelait Antoine Achkar, et il aimait plus que tout la vie; pas le feu des projecteurs ou les démagogues en tout genre ; encore moins les idées reçues, les catégories surfaites, les labels et les alignements réducteurs ; et certainement pas la rancœur, la haine et la violence. C’est pourquoi, toute sa vie, notamment durant les sombres années de la guerre incivile, à l’heure où d’autres s’acharnaient à jouer les boutefeux, l’homme privilégiait le dialogue, toujours ; cherchait des brèches pour laisser la lumière pénétrer, le calme se glisser, furtivement, paisiblement. Animé, infatigable, par un dévouement sans pareil au schème des traits d’union au pays des divorces passionnels, Antoine Achkar était au cœur de toutes les missions d’ouverture et de rapprochement, même les plus improbables, surtout auprès de son ami Walid Joumblatt.


Né en 1936 à Dick el-Mehdi, dans le Metn, dans un village (et une famille) où il fait traditionnellement bon être membre du Parti syrien national social, c’est pourtant le Parti socialiste progressiste (PSP) de Kamal Joumblatt qu’il choisit pour militer, très jeune, à 14 ans à peine, encore élève du Collège de La Sagesse. Un parti qu’il ne quittera jamais plus, quand bien même il ne vivra jamais son appartenance partisane sous le signe du cloisonnement idéologique aveugle. Qu’à cela ne tienne, le jeune Achkar est particulièrement fier d’appartenir à cette grande famille locale. Aussi ne ratera-t-il jamais l’occasion de raconter, avec force détails et une truculence caractéristique des bons viveurs, l’accueil historique réservé par son père, cheikh Zeayter Achkar, au patriarche Arida lors d’une tournée de ce dernier à Dick el-Mehdi...


Symboliquement, en 1970, à la mort de Maurice Gemayel, il s’affiche en candidat du PSP au siège maronite du Metn face à Amine Gemayel et Fouad Lahoud. Son score face aux deux grands candidats rivaux – moins de 2 000 voix – n’est guère impressionnant, certes, mais l’objecteur de conscience atteint néanmoins son objectif : jouer quelque peu aux trouble-fêtes dans des contrées acquises au parti Kataëb de cheikh Pierre Gemayel.


Cependant, en 1975, lorsqu’il ne fait vraiment plus bon être membre du Mouvement national au Metn, Antoine Achkar est victime d’une tentative de meurtre dans son village d’origine. Un coup de hache sur le front, une manœuvre du camp adverse qui veut vraisemblablement en finir avec cet intrus politique dans une région de plus en plus homogénéisée par les affrontements intercommunautaires. Achkar s’exile à Aix-en-Provence pendant quelques années, avant de retourner vivre à Beyrouth. Il faudra une intervention d’Amine Gemayel lui-même, en 1981, pour qu’il puisse à nouveau poser les pieds dans son village et assister à l’enterrement de sa mère. Le député l’y accompagne lui-même, dans sa voiture. Antoine Achkar était, par sa verve et sa bonne humeur, après tout, une invitation au dialogue en lui-même ; et, à l’époque, même au plus fort de la guerre, l’effondrement moral n’était pas ce qu’il était aujourd’hui ; on n’insultait pas les morts et leurs proches. Le code d’honneur fonctionnait, inébranlable, malgré l’horreur ; et c’est même dans cela que l’humanité continuait de prévaloir...


Au sein du parti, dès la deuxième moitié des années 1980, Antoine Achkar intègre le bureau politique, au côté de son ami Walid Joumblatt, et devient vice-président de la formation, puis son secrétaire général dans les années 1990. En 1988, Joumblatt le plébiscite symboliquement comme candidat du PSP pour l’élection présidentielle, prévue en principe cette année-là. Achkar constitue en quelque sorte le visage chrétien du chef du PSP à l’époque. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il mènera, en 1990, diverses médiations, comme d’habitude discrètement, entre le chef du gouvernement militaire de transition Michel Aoun et Walid Joumblatt, débouchant pendant un moment sur une détente entre les deux hommes, et même un acheminement d’aides. De même, c’est notamment grâce à ses efforts qu’au lendemain du 13 octobre 1990, un groupe de cadres proches de Aoun, notamment des anciens de la formation du Tanzim (reconvertie à l’époque en Bureau central de coordination nationale), pourront se réfugier dans le Chouf pour fuir les persécutions syriennes...


Plus d’un demi-siècle au service du PSP lui avait valu de se voir remettre, en décembre 2009, la médaille Kamal Joumblatt en hommage à son parcours politique et partisan, dans le cadre des célébrations de l’anniversaire de la naissance de Kamal Joumblatt. C’était Walid Joumblatt lui-même qui lui avait remis cette distinction, rendant cet homme de l’ombre, ce véritable Bon Samaritain de l’action politique, incomparablement heureux et fier... Malgré ses quelques soucis de santé, au fil des ans, et le pourrissement insupportable de ce pays qu’il aimait tant, Antoine Achkar était resté optimiste ; un optimisme quand bien même écorné par une profonde déception devant l’étendue de la médiocrité actuelle.


Il y a à peine quelques jours, lors d’une rencontre avec l’ancien député Ghassan Achkar, Antoine Achkar se confie à lui, pudiquement. « J’ai la forte impression qu’il s’agit là de notre dernière rencontre », confie-t-il à son parent, qui s’étonne du ton grave de ses propos, objectivement infondés... Pourtant, samedi, à 77 ans, après un dernier déjeuner en famille, Antoine Achkar ressent un malaise cardiaque. Malgré son hospitalisation rapide, il est foudroyé par un infarctus, pratiquement dix ans, à un mois près, de la disparition de son neveu, notre collaborateur Rami Azzam, lui aussi foudroyé par une crise cardiaque à 23 ans, en octobre 2003.


Durant son « exil » à Beyrouth-Ouest, Antoine Achkar, déprimé d’avoir dû quitter son fief metniote sous la contrainte, avait fait ce rêve déroutant, une nuit. Sainte Rita, qu’il vénérait particulièrement, lui était apparue, et lui avait dit sur un ton rassérénant : « N’aie pas peur. Tu vas dépasser cette crise et tout va aller pour le mieux. Tu vas même être candidat à l’élection présidentielle. » Achkar s’était éveillé en sursaut, avait raconté l’histoire à son épouse – disparue tragiquement d’un cancer en 1992 – interloquée et sceptique...


Mais voilà que le lendemain du départ de Rami Azzam, qui avait hérité de son oncle adoré sa jovialité, son côté gouailleur et sa propension à créer coûte que coûte des « actes de dialogue », Antoine Achkar avait vu le jeune leader estudiantin lui apparaître en rêve alors qu’il dormait sous le toit des Azzam, au salon. Tenant par la main une Bédouine à l’apparence plutôt négligée, la silhouette du jeune homme s’était dirigée lentement vers lui, du balcon. L’oncle avait regardé le neveu, surpris : « Rami ! Tu aimes généralement les belles femmes ! Que fais-tu avec cette Bédouine ? » Son index sur la bouche, le neveu avait commandé à son oncle de se taire. « Je t’ai ramené sainte Rita », s’était-il contenté de dire...
Les voilà à présent tous les deux, l’oncle et le neveu, bras dessus bras dessous, désormais à l’abri, pour l’éternité, sous le manteau des pauvres de la petite servante du Seigneur, sainte Rita de Cascia. Leur « Bédouine ».

 

 

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