Il aura fallu le fer, le sang, le gaz pour rappeler au monde que chaque humain mérite l’attention des autres humains. Enfin, les petites affaires des grandes nations érigées en politique par des sociétés en mal de vivre cèdent la place au véritable instinct humain. Enfin, les mondanités occidentales s’inclinent face aux hommes qui meurent pour une cause.
La révolution, mot honni et instigateur de massacres, s’est installée. Les décennies à venir seront différentes des décennies écoulées. À l’heure où battent les tambours, le monde arabe assiste, comme toujours, au déroulement de son propre destin. Cent petites années de Sykes-Picot n’auront pas suffi à faire taire les sensibilités et les haines. Les belles paroles et les beaux discours, les coups d’État à répétition n’auront pas fait oublier aux peuples de la région qu’il existe des spécificités régionales au-delà de cette conception occidentale monotone d’État-nation. Le drame aura été de croire qu’en imposant des frontières, les vraies vérités changeraient. La tragédie aura été de jouer le jeu régional comme si ces frontières changeaient la réalité ou, mieux, supprimeraient l’histoire. Durant cent ans, les discours politiques auraient été bien longs. Où sont-ils aujourd’hui ceux-là qui les ont écrits, qui les ont lus, qui les ont tapés. Y avaient-ils cru? Vraiment?
Les grands mots employés durant près d’un siècle, ces mots à majuscule comme Nation, Patrie, Peuple, Liberté, ces mots que l’on finirait par détester pour peu que l’on s’inquiète de la condition humaine, où sont-ils aujourd’hui, à l’heure où des hommes de tous bords meurent dans la misère et la maladie, sous les bombes et la torture? À quoi auraient servi ces grands mots sinon à ressusciter, à travers le spectacle de la mort permanente, l’image d’une histoire où la vie était aussi précaire et plus simple ?
Ce fut la guerre du Liban qui réveilla toute la région. L’histoire le dira un jour sans pour autant rappeler les trahisons occidentales et arabes de pays croyant sauver leur peau en brûlant celle des autres, oubliant que le feu est la maladie la plus contagieuse dans l’organisme politique.
Comment se réveillera-t-on demain? Et le surlendemain? Le monde sera-t-il le même? Y aura-t-il la paix après la guerre ? La vie après la mort? Autant de questions qu’un monde réactif ne se pose pas. Et pourtant, au lieu de s’agiter, il faudrait agir. Agir en dehors de ce goulot qu’aura été le siècle passé, imposant de fausses réalités à des hommes trop occupés par leurs salaires pour penser à des solutions stables et efficaces.
À présent, le monde arabe meurt, et il ne mourra pas seul. Une solution serait de demander aux peuples, ethnies, confessions, tribus qui forment ce monde de définir leur avenir. Dans quelles réalités veulent-ils vivre ? La folie et le mensonge des décennies passées auraient-ils ramené une sagesse et une sincérité perdues dans les temps obscurs, ceux-là qui existaient avant le monde arabe, quand un sultan affaibli régnait sur une région qui progressait naturellement vers une situation de statu quo absolu entre les différentes parties? Décidément, ce qui manque au monde arabe aujourd’hui, c’est une référence acceptée. En attendant qu’elle émerge au-dessus des marécages de la folie et de la haine, le monde arabe persistera dans la violence, dans l’incompréhension, dans les combats illusoires. Dans une région où les grands principes finissent dans un décompte macabre, attendre et espérer devient une politique, un choix de survie.
Au moment où de grandes puissances s’apprêtent à frapper et d’autres à réagir, il ne reste plus que l’espoir qu’au fond, les citoyens de ce monde en décomposition croient en la paix. Ce mince espoir soulève une question d’ordre stratégique : frapper pour quoi faire ?
En attendant des jours meilleurs, nous assistons à la veille de la fin du monde que nous avons connu. De quoi sera fait le lendemain?
Nabil MALLAT