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À La Une - L'Orient Littéraire

Quand la terreur fait recette...

"C’est le parti-État qui redéfinit continuellement, sur le mode d’une sorte de Léviathan milicien et tentaculaire, les repères, qui détermine les règles du jeu et remodèle la réalité."

La « contre-révolution du Cèdre » initiée par le Hezbollah sitôt accompli le retrait politique et militaire du régime syrien en avril 2005 n’avait jusqu’à présent pas fait l’objet d’une étude propre et exhaustive. C’est à présent chose faite – non sans brio – avec l’essai court et particulièrement dense de Jocelyne el-Boustany intitulé Le temps de l’intimidation. La guerre psychologique du Hezbollah, préfacé par le professeur Saoud el-Maoula et publié aux éditions L’Orient des Livres.

 

Loin des sentiers battus, Jocelyne el-Boustany prend plutôt les chemins de traverse dans sa posture analytique. Sa démarche n’est pas celle d’une historienne, soucieuse de retranscrire la chronologie du coup de force opéré depuis 2005 par le parti chiite par le bâton et la carotte ; mais plutôt celle d’une politologue, stratège et polémologue, empruntant l’axiome fondamental de Carl Schmitt et Julien Freund sur la dialectique entre l’ami et l’ennemi comme présupposé du politique. Heureuse initiative !

 

Dans un pays où la mémoire des individus est malheureusement souvent défaillante, l’auteure a ainsi le mérite de nous replonger dans les différentes étapes de la guérilla psychologique, cette « guerre d’usure » entretenue d’une manière machiavélique par le Hezbollah contre son ennemi de l’intérieur, l’alliance du 14 Mars, dans l’objectif de neutraliser sa victoire, l’épuiser psychologiquement, l’amener à douter de lui-même, scinder son unité et enfin l’abattre, et ce par une série de techniques de manipulation allant de l’angélisme (par l’insistance du parti sur le dialogue ou son prétendu attachement au système consensuel) à la diabolisation outrancière de l’adversaire (les campagnes d’accusation de trahison au lendemain de la guerre de juillet 2006 ou dans le sillage de la résolution 1559 ou du Tribunal spécial pour le Liban, et les « surprises stratégiques » du 7 mai 2008 et des « chemises noires »)… La violence morale – cet autre nom de la terreur –, qui sait aussi se traduire sur le terrain lorsque vient le moment de modifier les règles du jeu et de glacer l’ennemi d’effroi, devient un élément incontournable du champ politique. Inutile de dire que nous sommes dans un cadre dont tous les repères structurants propres au politique sont contingents. C’est le parti-État qui redéfinit continuellement, sur le mode d’une sorte de Léviathan milicien et tentaculaire, les repères, qui détermine les règles du jeu et remodèle la réalité.

 

Tout l’intérêt de l’approche réside justement dans le fait qu’elle se fonde sur l’analyse des schèmes de la communication politique utilisée par les ténors de la « résistance » dans cette autre forme de guérilla, contre « l’ennemi du dedans » cette fois, loin d’une approche thématique de type classique qui aurait rapidement sombré dans les lieux communs du débat politique traditionnel entretenu par les deux principales formations du pays depuis 2005.

 

Il apparaît, à la lumière de l’ouvrage, combien le Hezbollah, loin d’être cette formation paramilitaire rigide et uniquement dogmatique, sait aussi être une machine parfaitement souple et ultrasophistiquée dans la perversion du discours, de l’image ou de la réalité politique… Le tout dans le cadre d’un vaste projet de pouvoir. Un projet fondé sur une seule valeur fondamentale : la volonté de repousser sans cesse les limites de sa puissance par tous les moyens – de la ruse et la duplicité la plus utilitariste à l’appel à l’aide d’une propagande théocratique permettant de justifier l’injustifiable, avec un bréviaire de la haine propre aux mouvements fascistes des années 30 du siècle dernier – pour mieux dominer, terrasser, annihiler l’adversaire, le vrai, le 14 Mars. Jusqu’à ce que ce dernier, à bout de souffle, renonce à être ce rempart de protection du système politique et s’effondre, en se reconnaissant vaincu. Car Jocelyne el-Boustany cite, fort à propos, le général André Beaufre, selon qui « on est vaincu lorsqu’on se reconnaît vaincu ».

 

Une phrase qui devrait en faire méditer plus d’un à l’heure des « victoires » fantasmatiques, virtuelles, et médiatiques à effet principalement de nuisance psychologique engrangées par le Hezbollah au Liban et en Syrie, et de la dialectique du maître et de l’esclave dans laquelle le 14 Mars, par son inaction volontaire plutôt que par son impuissance relative, a choisi de se retrouver enferré avec son bourreau d’élection.

 

Un ouvrage fondamental et fondateur, à lire et relire… mais sans se laisser intimider. Bien au contraire.

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La « contre-révolution du Cèdre » initiée par le Hezbollah sitôt accompli le retrait politique et militaire du régime syrien en avril 2005 n’avait jusqu’à présent pas fait l’objet d’une étude propre et exhaustive. C’est à présent chose faite – non sans brio – avec l’essai court et particulièrement dense de Jocelyne el-Boustany intitulé Le temps de...

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