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Moyen Orient et Monde

Éviter l’Algérie en Égypte

Par Álvaro de Vasconcelos

Álvaro de Vasconcelos est directeur des projets pour l’Initiative de réforme arabe (IRA), un consortium de 16 think tanks dans le monde arabe et l’Occident, et coordinateur du Groupe de gouvernance mondiale (GG 10).

Le coup d’État militaire, qui a renversé le premier président démocratiquement élu de l’Égypte et qui a conduit à l’arrestation de dirigeants des Frères musulmans à travers le pays, représente un énorme danger non seulement pour la transition démocratique en Égypte, mais aussi pour les espoirs démocratiques du monde arabe tout entier.
Le fait que le coup ait été réalisé avec un soutien populaire massif est le signe d’énormes difficultés rencontrées par les Frères musulmans lors de leur premier mandat. Le gouvernement du président Mohammad Morsi s’est battu pour faire face aux crises économiques et sociales héritées de l’Égypte face aux énormes attentes de l’opinion publique créées par la révolution de 2011, où les protagonistes réclamaient non seulement la liberté, mais aussi le développement économique et la justice sociale. Bien sûr, les Frères musulmans ont aussi été victimes de leurs propres erreurs, notamment de l’échec de Morsi et de son gouvernement à tendre la main à l’opposition laïque, des éléments qui avaient contribué à leur élection. Le gouvernement de M. Morsi a semblé incapable de comprendre qu’une mince majorité électorale ne suffit pas, tout particulièrement de nos jours.
En effet, l’ampleur de l’opposition à M. Morsi reflète une grande tendance mondiale vers l’émancipation de la classe moyenne éduquée et connectée, dont les membres ont tendance à se méfier des partis politiques et à exiger une participation politique plus directe. En ce sens, les difficultés de l’Égypte ne diffèrent que par leur portée, mais pas par leur nature, de celles rencontrées par les gouvernements de la Turquie, du Brésil et même de l’Europe. Les Frères musulmans ont dominé le gouvernement de Morsi depuis leur premier jour au pouvoir. Mais ils ont aussi fait face à de nombreuses autres forces, d’esprit beaucoup moins démocratique, y compris aux avatars du régime de Hosni Moubarak, qui continuent à exercer une influence dans les institutions officielles. Le pouvoir judiciaire, par exemple, a dissous la première Assemblée législative élue. De même, le ministre de l’Intérieur a refusé de protéger le quartier général des Frères musulmans contre des attaques répétées.
Par ailleurs, quelques intellectuels laïcs ont diabolisé les Frères musulmans. Comme leurs homologues algériens (qui, en 1992, ont approuvé l’annulation d’une victoire électorale islamiste par l’armée algérienne, conduisant à des années de combats violents qui ont laissé près d’un demi-million de morts) de nombreux Égyptiens n’ont pas hésité à réprimer les islamistes.
M. Morsi et les Frères musulmans ont également été confrontés à la concurrence des salafistes soutenus par l’Arabie saoudite. En effet, la nuit du coup d’État, ces islamistes ultraconservateurs sont apparus au côté des chefs militaires et du leader politique laïc, Mohammad el-Baradei, pour annoncer le renversement de Morsi. Les perspectives de transition démocratique en Égypte sont devenues de plus en plus difficiles à prévoir, mais une chose est sûre : on ne peut pas et il ne faut pas faire confiance au pouvoir des militaires. Au cours de la période qui a suivi la chute de Moubarak, alors que l’armée exerçait les pleins pouvoirs, 12 000 civils ont été inculpés par des tribunaux militaires, des tests de virginité ont été imposés aux femmes (en particulier à celles qui protestaient contre les militaires), des manifestants ont été tués et d’innombrables violations des droits de l’homme ont été commises impunément.
Bien sûr, il est possible que les soldats assurent une transition vers la démocratie, comme ils l’ont fait il y a quatre décennies dans mon pays natal au Portugal, après le renversement de la dictature de Salazar-Caetano. Mais le bilan des autres transitions menées par des militaires a été médiocre : la démocratie peut être proclamée comme la raison d’être du coup d’État, mais la transition s’arrête là. En outre, dans le cas présent, l’armée égyptienne semble beaucoup plus intéressée par la protection de ses énormes intérêts économiques, plutôt que par la garantie des avantages d’un gouvernement civil au service de ses citoyens.
La confiance doit encore être placée dans les jeunes Égyptiens et dans leurs demandes de liberté et de démocratie : leurs exigences relient le mouvement qui a renversé Moubarak aux manifestations qui ont mené à la révocation de Morsi. Mais l’objectif principal doit être de soutenir la création en Égypte d’une société pluraliste qui défende les droits de tous à la participation politique et à des élections libres et démocratiques. Aujourd’hui, ceci exige l’opposition à tout type de répression inspirée de celle de Moubarak, de la part des Frères musulmans.
Juste après le coup d’État, l’Union européenne a adopté une position ambivalente à leur égard. Cela, aussi, n’est pas sans rappeler l’Algérie de 1992, quand la plupart des gouvernements européens ont soutenu l’annulation de la victoire électorale des islamistes (de même, l’UE a refusé de reconnaître victoire électorale du Hamas à Gaza en 2006.)
La crainte continue de l’islam politique dans une grande partie de l’Occident explique le soutien passé aux régimes autoritaires. Aujourd’hui, l’UE et les États-Unis doivent exiger la libération de tous les membres des Frères musulmans, dont Morsi, et l’intégration des Frères musulmans dans toute solution politique. La communauté internationale doit également se préoccuper des implications régionales du coup d’État. La déclaration cynique du président syrien Bachar el-Assad, qui se dit prêt à soutenir le coup d’État, est le signe que certains veulent transformer le combat d’aujourd’hui dans le monde arabe en un combat sanglant entre islamistes et laïcs.
À long terme, n’importe quelle répression envers les Frères musulmans conduirait leurs membres et leurs partisans (déjà amèrement déçus par la démocratie) à rejeter complètement les élections. Ce résultat pourrait avoir un impact très négatif sur les autres mouvements islamistes. Pour de nombreuses personnes, les extrémistes qui ont critiqué les Frères musulmans et les autres partis islamistes d’avoir choisi la voie démocratique d’accession au pouvoir seraient justifiés dans leur argument et une nouvelle vague de violence dans la région pourrait commencer.
L’espoir demeure que l’Égypte ne devienne pas l’Algérie de 1992 (ou le Chili de 1973). Mais pour éviter ce triste sort, il est impératif que les droits fondamentaux des membres des Frères musulmans soient désormais protégés. Le président américain Barack Obama, qui s’est déclaré très préoccupé par le renversement de Morsi, est peut-être le seul leader capable de servir de médiateur dans une telle situation et de travailler à une solution de consensus qui empêche une guerre civile. Pour ce faire, il doit utiliser tous les moyens à sa disposition, y compris de réduire l’aide militaire massive que les États-Unis fournissent aux forces armées égyptiennes, comme il a menacé de le faire. Il peut également utiliser la réserve de la confiance établie en tendant la main aux Frères musulmans pendant la présidence de Morsi. Mais Obama va-t-il prendre cette initiative ? Son discours du Caire en 2009, qui a appelé à « un nouveau commencement » dans la région, a inspiré de nombreuses personnes dans le monde arabe. À présent, le temps des paroles est révolu.

Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier.
© Project Syndicate, 2013.
Le coup d’État militaire, qui a renversé le premier président démocratiquement élu de l’Égypte et qui a conduit à l’arrestation de dirigeants des Frères musulmans à travers le pays, représente un énorme danger non seulement pour la transition démocratique en Égypte, mais aussi pour les espoirs démocratiques du monde arabe tout entier.Le fait que le coup ait été...

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