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Un monde de solutions - Allemagne

Alimentation : une autre relation producteur-consommateur est possible

Aller chercher sa nourriture directement à la ferme, rencontrer des gens sympa ou même organiser soi-même la chaîne de commercialisation régionale – trois exemples très différents de la façon dont paysans et consommateurs se rapprochent à nouveau suite à plusieurs scandales alimentaires en Allemagne

Dans les exploitations labélisées Demeter, certification de produits issus de l'agriculture biodynamique, les fruits sont bons et de saisons.

Une fois par semaine, il règne une activité intense à la ferme Buschberghof, à une demi-heure de voiture à l'est de Hambourg : des gens remplissent leurs coffres de fruits et légumes variés, de pain, de lait, de fromage et de viande. Ils font la causette et repartent sans passer à la caisse. « Le flux d'argent et le flux de marchandises sont complètement séparés chez nous », dit Karsten Hildebrandt, qui gère avec cinq autres paysans l'exploitation Demeter (Le label Demeter est un label de certification de produits issus de l'agriculture biodynamique). Ici, rien n'est pesé ou emballé : chacun reçoit ce dont il a besoin et que la ferme a à offrir à ce moment.

 

Une fois par an, les agriculteurs calculent de combien d'argent ils ont besoin dans les douze prochains mois pour produire des aliments pour 300 à 350 personnes et pour entretenir le bâtiment et les machines. Le dernier dimanche de juillet a lieu une grande rencontre dans la cour : le président de séance distribue des bulletins ornés d'un cheval et d'une charrue et celui qui veut être approvisionné l'année suivante doit noter le montant mensuel qu'il veut et peut donner. « Pour ceux qui n'ont pas d'imagination, il y a une valeur indicative de 150 euros par mois par adulte et de 70 euros par enfant », dit le trésorier de longue date Wolfgang Stränz. Si l'on ne parvient pas à réunir la somme lors du premier tour, les personnes présentes sont priées de décider à nouveau ; en général les 350.000 à 400.000 euros nécessaires sont alors réunis.

 

Annemaria et Wolfgang Heitmann reçoivent depuis de longues années plus de 80% des aliments qu'ils consomment de la ferme Buschberghof ; il n'y a que les pâtes, le riz, le café et le thé qu'ils achètent en plus. « Les légumes sont délicieux et on remarque ce qu’il est normal de manger chaque saison. Et si les schnitzels sont petits, ils sont on ne peut plus exquis », dit Annemaria, 66 ans. Elle est heureuse de savoir comment et où a poussé ce qu'elle fait cuire dans son fait-tout. Quant à son mari, il n’a plus l'appétit coupé comme autrefois, quand il travaillait comme programmeur dans un abattoir et qu'il avait appris comment on fumait la viande congelée à plusieurs reprises pour lui donner du peps.

 

Chez les Heitmann, la station de distribution pour quatre familles se trouve dans la cabane à outils ; et chacun, à tour de rôle, se rend à la ferme. D'autres groupes organisent la livraison autrement. « Avoir seulement à m'occuper de l'agriculture et ne pas devoir me prendre la tête avec la distribution, pour moi c'est un grand luxe », dit Eva Otterbach, responsable au Buschberghof du petit troupeau d'Angler Rotvieh, une race bovine pratiquement disparue. Les animaux ne donnent certes pas même la moitié de la quantité de lait que produisent des vaches à haut rendement, mais sont en revanche bien adaptés aux conditions climatiques du nord de l'Allemagne, et leur lait se prête remarquablement bien à la fabrication du fromage.

 

Pendant des années, le Buschberghof était unique en son genre en Allemagne. Aujourd’hui, plus de 30 exploitations fonctionnent de cette façon, et une douzaine d'autres vont s'y ajouter cette année.

 

 

Des modes alternatifs de consommation sont possibles.

 

La coopérative « Tagwerk »

Dans le sud du pays, un projet-modèle suscite l’enthousiasme. Cela a commencé il y a quelques années dans la ville bavaroise de Dorfen, à l'est de Munich. Un paysan et quelques habitants se sont réunis car ils voulaient pouvoir « à nouveau voir plus loin et assumer la responsabilité » de leurs propres actes, comme il est écrit dans les statuts de la coopérative « Tagwerk ». Aujourd’hui,la coopérative réunit plusieurs centaines de consommateurs et cent producteurs, des paysans aux fabricants de fromage, en passant par le meunier. Sur chaque emballage est indiqué avec précision d'où vient le produit. Les marchandises ont livrées dans des magasins spéciaux « Tagwerk » dans les villages alentours, ainsi que sur des marchés hebdomadaires et dans des magasins bio et de produits régionaux à Munich. La coopérative réalise un chiffre d'affaires de près de cinq millions d'euros par an, emploie 39 personnes et est un facteur économique important sur place.

 

Pour beaucoup de sociétaires de « Tagwerk », il ne s'agit pas seulement de soutien à la production alimentaire régionale mais aussi de plaisir et de qualité de vie personnelle.

« Ce sont tous des gens amusants et intéressants. » C'est ainsi qu'Inge Asendorf, directrice depuis de longues années, justifie pourquoi elle a abandonné une carrière scientifique pour travailler à « Tagwerk ». De nouveaux projets voient le jour sans arrêt : un sociétaire a écrit d'amusants livres de cuisine de saison, l'ancien directeur de banque Rudolf Oberpriller organise des randonnées à vélo pour visiter les fermes et a inventé une véloroute du bio à travers l'Allemagne. « Mon ancien travail était totalement stupide. Dans un réseau comme le nôtre on n'a pas besoin de beaucoup d'argent pour mettre sur pied quelque chose qui a vraiment du sens », dit-il.

 

 

La Regionalwert AG

Une troisième, et l’une des plus grandes formes de communauté consommateurs-producteurs, est la Regionalwert AG (Une Aktiengesellschaft (AG) est une société par actions), que Christian Hiss a fondée il y a sept ans à Fribourg, ville traditionnellement verte sur le plan politique. Jusqu'à l'an 2000, sa ferme Demeter, qui comme le Buschberghof fonctionne en tant qu'organisme fermier fermé, lui permettait de bien vivre : il y avait des poules et un petit troupeau de vaches, il y poussait des radis et des navets, des salades et du céleri, des haricots et des petits pois. Hiss, en outre, a toujours produit lui-même une partie de ses semences. Mais quand les producteurs de masse se sont mis à proposer des légumes bio aux supermarchés, la situation des paysans bio traditionnels est devenue de plus en plus difficile.

 

« Dans une ferme qui cultive 70 sortes de légumes, les coûts de production pour un kilo de carottes bio s'élèvent peut-être à deux euros. Une exploitation bio qui cultive uniquement des carottes a seulement des coûts de 80 cents. », explique Hiss. C’est pourquoi il a fondé la Regionalwert AG et y a apporté la participation de sa propre exploitation en premier. Depuis sa création, l'entreprise a non seulement des parts dans plusieurs fermes, exploitations horticoles et domaines viticoles, mais aussi dans une entreprise de traiteur bio et dans quelques lieux de vente. Comme les marges bénéficiaires pour les artisans et les vendeurs sont plus grandes que pour les exploitations agricoles, la chaîne de commercialisation est viable sur le plan économique.

 

Près de 500 actionnaires ont désormais des parts d'un montant variant entre 500 et 150.000 euros dans la Regionalwert AG et un montage spécial empêche que l'entreprise puisse passer sous le contrôle d'un gros investisseur. Les dividendes que reçoivent les participants ne consistent pas seulement à pouvoir savourer des aliments sains cultivés dans les alentours, mais aussi à maintenir un paysage culturel constitué de petites exploitations. L'exemple fait désormais école : à Munich et à Francfort, des sociétés par actions bio sont en train de voir le jour.

 

 

(Traductrice : Annabelle Georgen)

 

 

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Une alternative au « hard discount »

 

Œufs à la dioxine, viande avariée, maladies graves causées par des bactéries – de plus en plus de gens en ont assez des scandales alimentaires à répétition et veulent savoir d'où vient ce qui se trouve dans leurs assiettes. Plusieurs genres de communautés producteurs-consommateurs ont vu le jour. Elles veulent proposer une alternative à la mode du « pas cher », ou « hard discount » qui règne aujourd'hui. En Allemagne, les gens dépensent très peu pour la nourriture : 13% du budget d'un ménage y sont en moyenne aujourd'hui consacrés. Beaucoup de ceux qui gagnent bien leur vie achètent aussi du lait, des légumes et de la charcuterie dans les enseignes de hard-discount comme Aldi et Lidl, qui représentent désormais une part de marché de 42% et forcent leurs fournisseurs à produire toujours moins cher. C'est ainsi que la plupart des fermes sont absorbées par les grandes exploitations qui misent sur les monocultures et l'élevage intensif, se conformant au marché mondial.

 

Vu que la nourriture est tellement bon marché, on ne la traite pas avec précaution. C'est ce que révèle une étude du ministère de l'Agriculture datant du début de l'année: rien que dans les foyers allemands, 82 kilos de nourriture par habitant atterrissent donc à la poubelle chaque année.

 

 

 

Cet article fait partie de notre notre édition spéciale "Un monde de solutions".

 

 

Une fois par semaine, il règne une activité intense à la ferme Buschberghof, à une demi-heure de voiture à l'est de Hambourg : des gens remplissent leurs coffres de fruits et légumes variés, de pain, de lait, de fromage et de viande. Ils font la causette et repartent sans passer à la caisse. « Le flux d'argent et le flux de marchandises sont complètement séparés chez nous », dit...

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