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Moyen Orient et Monde

Guérir la Syrie par la parole ?

Gareth Evans, président de l’Université nationale d’Australie, a été ministre des Affaires étrangères d’Australie de 1988 à 1996, et président de l’International Crisis Group de 2000 à 2009.

La proposition des États-Unis et de la Russie d’organiser une conférence diplomatique pour mettre fin au carnage en Syrie mérite une réaction moins sceptique que celle qu’elle a reçue. Bien qu’il semble difficile en vue d’un résultat tangible de faire asseoir à la même table toutes les parties concernées à Genève, la diplomatie reste pourtant le seul choix possible. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, toute autre option politique sollicitée jusqu’à présent est par principe mauvaise, non viable dans la pratique, a peu de chances d’être efficace, ou est forcée d’augmenter plutôt que de diminuer les souffrances.
Après deux ans de guerre civile sans victoire militaire décisive dans les deux camps en présence, la situation ne peut pas être plus désespérée. Selon les estimations actuelles des Nations unies, plus de 80 000 Syriens sont morts et 6,8 millions (soit un tiers de la population du pays) ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence. Quelque 4,25 millions ont été déplacés à l’intérieur du pays, et plus d’un million et demi ont fui le pays. Ils se sont réfugiés pour la plupart au Liban, en Jordanie et en Turquie. La pression sur les voisins de la Syrie est immense et le conflit s’infiltre inexorablement dans la région. Les forces du gouvernement et les rebelles ont commis des crimes atroces. Beaucoup d’autres sont craints, alors que la violence s’intensifie parmi les principaux groupes sectaires. La paralysie internationale qui perdure est indéfendable. L’inaction risque d’embraser tout le Moyen-Orient et de contrevenir à la responsabilité de protéger (IRCP) de la communauté internationale, par son action collective opportune et décisive, en faveur des populations menacées de génocide, d’épuration ethnique et d’autres crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Ce principe unanimement reconnu par l’Assemblée générale de l’ONU en 2005 a été appliqué avec succès ailleurs, notamment lors de l’intervention diplomatique au Kenya en 2008. Il a également soutenu des interventions militaires mandatées par le Conseil de sécurité en Libye et en Côte d’Ivoire en 2011 et plus récemment au Mali. Mais comment peut-il être appliqué au désordre actuel en Syrie ?
Le besoin le plus immédiat, à propos duquel il devrait y avoir peu de polémique, est l’aide humanitaire massive. Les problèmes de la livraison abondent dans les zones de guerre, mais pas partout. Pourtant, les bailleurs de fonds internationaux traînent les pieds, aussi bien pour respecter leurs engagements existants que pour en contracter de nouveaux. Et toute l’aide mondiale n’arrêtera pas le massacre. Il est trop tard maintenant pour que des outils de coercition non militaires puissent avoir beaucoup d’effet, bien que les menaces de poursuites par la Cour pénale internationale contre les atrocités commises (dont l’utilisation d’armes chimiques) doivent rester à l’ordre du jour. Mais qu’en est-il des possibilités de réponse militaire que de nombreux responsables politiques et experts semblent encore préférer ? Le problème est que toutes les propositions concrètes dans cette direction sont pour l’instant absentes. Il est peu probable qu’une intervention militaire directe pour renverser le régime du président syrien Bachar el-Assad gagne jamais l’approbation du Conseil de sécurité, et elle n’a de toute façon aucun partisan parmi les puissances militaires compétentes, bien que dans la plupart des cas cela soit en raison de risques politiques et militaires impliqués, plutôt qu’à cause de l’impossibilité légale temporaire de se défendre en dehors de la Charte de l’ONU. Une intervention moins partisane, par un afflux de troupes et de puissance aérienne pour séparer de force les belligérants, n’a pas non plus trouvé preneur, les forces de l’ONU n’ayant que très peu d’espoir de causer moins de dégâts qu’elles ne sont supposées éviter.
Il y a beaucoup plus de partisans en faveur d’une intervention militaire plus calibrée, conçue pour établir une ou plusieurs zones d’exclusion aérienne, des refuges et des couloirs humanitaires sur le terrain. Dans les premiers jours de la crise, on a fait valoir que compte tenu de la solidité des défenses antiaériennes du régime et des forces terrestres, même ces objectifs limités ne pourraient être atteints sans mener une guerre tous azimuts, en provoquant ainsi une augmentation nette des souffrances humaines. Avec la plus grande partie du pays aujourd’hui en flammes, cet argument est moins convaincant. Mais il n’en reste pas moins qu’il n’y a aucun preneur en faveur d’une intervention militaire, d’une part à cause de l’échelle, de la difficulté et du risque de l’engagement nécessaire, et d’autre part à cause des coûts politiques et juridiques probables, compte tenu de la perspective minimale d’approbation du Conseil de sécurité. Le Royaume-Uni et la France exercent une forte pression pour une intervention militaire indirecte : fournir des armes aux rebelles constituerait selon eux une option à fort résultat potentiel, avec un faible risque à faible coût. Et l’Union européenne a maintenant soulevé son interdiction. Mais les États-Unis restent prudents à juste titre. Une proportion inquiétante des forces d’opposition sont des extrémistes islamistes, et il n’y a aucune garantie que les livraisons d’armes ne tombent entre leurs mains. Dans une perspective plus large, l’augmentation de la fourniture d’armes aux forces rebelles, qui transite entre autres par le Qatar et l’Arabie saoudite, est corrélée à de fortes augmentations du nombre de victimes civiles, ce qui suggère qu’elle coûte plus de vies qu’elle n’en évite, sans bénéfices stratégiques évidents. Le régime d’Assad, avec ses propres défenseurs externes, semble n’avoir aucune difficulté à survivre à n’importe quel nouveau matériel de guerre.
Si la raison pour armer l’opposition n’est pas tant de gagner la guerre que d’affaiblir la résistance du gouvernement par la négociation, on peut soutenir que les éléments d’une « impasse douloureuse » sont déjà en place, avec plus d’armes susceptibles de produire plus de combats et plus de pertes. La pression qui a toujours compté le plus pour le régime d’Assad est celle peut-être exercée par la Russie. Ce qui est nouveau et encourageant, à propos des événements du mois dernier, c’est que la Russie ait trouvé suffisamment de points d’entente avec les États-Unis (quant à leur inquiétude mutuelle sur l’influence grandissante de l’islam radical dans une région de plus en plus fragmentée et explosive) pour être prête finalement à exercer un peu de pression. Les deux camps devront faire des concessions douloureuses alors que la conférence de Genève reste encore à organiser, sans même parler d’un accord sur un cessez-le-feu et sur une administration de transition. Il est encourageant de constater que les États-Unis, après des entretiens entre le secrétaire d’État John Kerry et le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, semblent prêts à donner un rôle aux hauts responsables du régime d’Assad dans toute négociation, et que des propositions constructives commencent à émerger au moins dans certains cercles de l’opposition. Le compromis est peut-être un anathème aux yeux des puristes, mais il a toujours été la substance de la paix. En Syrie, il n’a jamais été plus indispensable qu’aujourd’hui.

Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier.
© Project Syndicate, 2013.
La proposition des États-Unis et de la Russie d’organiser une conférence diplomatique pour mettre fin au carnage en Syrie mérite une réaction moins sceptique que celle qu’elle a reçue. Bien qu’il semble difficile en vue d’un résultat tangible de faire asseoir à la même table toutes les parties concernées à Genève, la diplomatie reste pourtant le seul choix possible....

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