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À La Une - Tribune

L’impasse sectaire de la Syrie

Bernard Haykel est professeur d’études sur le Proche-Orient à l’Université de Princeton.

Ce qui a commencé en Syrie comme une révolte contre un régime oppressif a évolué en une guerre civile sectaire et, plus récemment, en un conflit par procuration. Dans ce processus, la lutte est devenue de plus en plus compliquée, avec des objectifs contradictoires entre alliés et des tensions communautaires profondes, ce qui rend la situation presque inextricable.

D’un côté, les États-Unis, l’Union européenne, la Turquie, la Jordanie, l’Arabie saoudite et le Qatar soutiennent l’opposition, une foule de factions armées avec des ordres du jour divers et des idéologies qui vont du nationalisme syrien au jihadisme mondial. Cette désunion reflète les fractures de la société syrienne, le résultat de plus de quatre décennies d’un régime autoritaire et brutal.

De l’autre côté, la Russie et l’Iran (et son mandataire, le Hezbollah), chacun pour leurs propres raisons, soutiennent le régime du président Bachar el-Assad. Les motivations de la Russie sont liées à l’héritage de la guerre froide. Le régime d’Assad a toujours adopté une position antioccidentale, s’alignant sur l’Union soviétique et plus tard sur la Russie. Aujourd’hui, la Syrie représente la dernière attache de la Russie dans le monde arabe, alors que tous les opposants d’Assad dans la région sont des alliés des États-Unis.

L’implication de l’Iran reflète une autre lutte beaucoup plus ancienne entre sunnites et chiites pour le contrôle du Moyen-Orient. Avec l’Iran sous le joug des chiites qui fournissent les armes, l’argent, les troupes et la formation aux forces d’Assad, la dimension sectaire du conflit a pris davantage d’importance. En effet, les forces gouvernementales ont dégénéré en armée sectaire, motivée par la crainte que si les rebelles sunnites remportent une large victoire, ils n’annihilent la minorité alaouite ralliée aux chiites, qui a gouverné la Syrie pendant des décennies.
À l’heure actuelle, le régime d’Assad a un avantage militaire écrasant, avec une aviation, des blindés, des missiles et des armes chimiques et biologiques. Pour les vaincre, l’opposition a besoin d’armes plus sophistiquées et ses bailleurs de fonds sont prêts à aider. La Turquie, l’Arabie saoudite, la Jordanie et le Qatar, tous pays sunnites, ont brusquement augmenté leur aide militaire aux rebelles syriens ces derniers mois. Même les États-Unis, qui ont jusqu’ici refusé de fournir de l’aide par peur d’armer des jihadistes internationaux, ont récemment annoncé travailler à un plan pour livrer des armes aux forces d’opposition.
Les tensions entre sunnites et chiites ont tendance à brusquement se raviver lors des luttes géopolitiques de pouvoir, comme en Irak en 2006-2008. Avant cela, la dernière grande bataille entre sunnites et chiites au Moyen-Orient a impliqué la guerre quasi constante entre l’Empire sunnite ottoman et l’Empire safavide chiite de l’Iran aux XVIe et XVIIe siècles. Les Ottomans l’ont emporté de peu, s’assurant finalement le contrôle de l’Irak. Mais le conflit prolongé a contribué au déclin des deux empires et a dévasté l’Irak, laissant derrière lui un profond clivage sectaire.
Cela ne présage rien de bon pour la Syrie. Depuis les années 1970, les Assad n’ont pas réussi à favoriser le nationalisme arabe pour unir la population divisée par les religions, et ont recouru plutôt à la politique sectaire de division pour contrôler le peuple syrien. S’assurer que leurs alliés alaouites occupent les principaux postes militaires et des services secrets a aidé les Assad à maintenir leur joug sur le pays. Cette stratégie a creusé et a renforcé la fracture entre sunnites et chiites dans la population.

Quand le printemps arabe a commencé, Assad a adopté la même approche, en espérant que cela rallie ses partisans alaouites et force le reste de son peuple à se soumettre. Cependant cette fois, ce plan a échoué. La population sunnite de la Syrie, inspirée par les révolutions dans les autres pays arabes et indignée par la brutalité du régime, a tout simplement cessé d’avoir peur, ce qui constitue une évolution potentiellement importante dans le jeu de l’autoritarisme arabe.

À présent, les conséquences de l’échec des Assad à promouvoir une idéologie nationale commune sont entièrement révélées. Les sunnites syriens invoquent de plus en plus la théologie pour justifier leur haine envers la minorité chiite, et les formes sunnites d’exclusivisme, semblables à l’idéologie et à la vision du monde d’el-Qaëda, deviennent la norme. Alors qu’Assad a obtenu le soutien renouvelé de la communauté alaouite, il l’a fait au prix d’aggraver le danger très réel que les rebelles punissent tous les alaouites pour les crimes du régime. Alors que la guerre s’éternise, les perspectives d’une solution négociée s’amenuisent.

Alors que l’Iran pèse de tout son poids à grand renfort de milliards de dollars en faveur des alaouites, et que les États du Golfe font de même en faveur des sunnites, la Syrie est déchirée. Il sera bientôt trop tard, pour qu’aucun des deux camps ne puisse plus prétendre à la victoire.

Bernard Haykel est professeur d’études sur le Proche-Orient à l’Université de Princeton.


© Project Syndicate, 2013. Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier.

 

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