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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

Monnaie de singe

Abusivement qualifié d’orthodoxe, le projet de loi électorale voté lundi par les commissions parlementaires n’est autre chose qu’une invite, et même une incitation, au radicalisme.

Condamner en effet chacune des communautés religieuses de ce pays à élire exclusivement ses propres représentants, c’est fatalement propulser à l’Assemblée les forces les plus actives et militantes que sont capables de sécréter les tribus libanaises. Ce sont surtout les champions de la surenchère sectaire que l’on aurait élevés pêle-mêle, ainsi, au rang de députés de la nation en vouant à l’extinction la race des indépendants et modérés de toutes appartenances. C’est une assourdissante tour de Babel qu’abriterait alors la coupole de l’Étoile.

Tant qu’à faire, si on prenait le problème par l’autre bout ? Si c’est des musulmans, et rien que des musulmans, qu’étaient sommés d’élire les chrétiens, et vice-versa ? Idyllique tableau, en vérité, que celui de tous ces anges de conciliation émergeant du chassé-croisé des urnes et que l’on verrait alors rivaliser d’esprit d’ouverture. Idyllique, oui, mais bien peu réaliste n’est-ce pas ? Voilà donc qui commande de prendre le bâton par son milieu, ce qui d’ailleurs serait tout à fait dans la note d’un pays obsédé jusqu’au syndrome par sa quête d’équilibres.

Le fait est que le Liban éclaté est tenu aujourd’hui de se reconstituer ou bien alors de se liquéfier dans les laves des éruptions avoisinantes. Il ne peut plus rester assis, pour ne pas dire prostré, entre deux chaises. Il lui faut ou bien redonner vie au pacte de 1943, par lequel les Libanais convenaient de vivre ensemble sans plus lorgner du côté des puissances protectrices, occidentales ou arabes ; ou bien alors s’engager dans la bonne direction, celle du pragmatisme et de la modernité. Or dans les deux cas, ce ne sont pas les armes miliciennes qui, dans un pays comme le nôtre, peuvent trancher le débat. Ce sont au contraire des partenaires rassurés quant à la pérennité de leur présence sur cette terre, et dotés de la représentation adéquate, qui ont quelque chance de mener à un nouveau contrat national.

En toute justice, et même s’il faut pour cela raisonner par l’absurde, il faut bien constater que ce fameux projet orthodoxe a tout de même un mérite, un seul : il implique une claire reconnaissance de la flagrante injustice électorale qui depuis la fin de la guerre de 1975/90 a frappé les chrétiens de ce pays et que dénonçait régulièrement le patriarche maronite de l’époque. Tant les modalités du scrutin que le découpage des circonscriptions plaçaient en effet une énorme proportion d’élus de cette communauté sous la coupe d’électeurs non chrétiens, l’inverse ne se produisant que bien rarement.

C’est toutefois une justice tronquée et fallacieuse, une justice empoisonnée que ce projet rend aux chrétiens. Tronqué et fallacieux d’abord parce qu’il n’ose pas aller jusqu’au bout de sa logique clairement confédérale. Parce qu’il constitue indéniablement l’ébauche électorale et communautaire d’un tel système sans attendre qu’ait été mise en place une nécessaire, une incontournable décentralisation que l’on s’accorde à qualifier pudiquement d’administrative. Si la formule fédérale doit être envisagée (et pourquoi pas ?), alors qu’on ait le courage et l’honnêteté de le dire !

Plus grave encore, et sous prétexte de les conforter, c’est l’espoir d’un renouveau de leurs élites politiques qui risque d’être dénié aux chrétiens en les livrant durablement à l’hégémonie de forces et partis au palmarès souvent honorable certes, mais dont les sanglantes rivalités des dernières décennies ont mené à l’effritement de l’influence chrétienne au Liban. Et l’ironie veut qu’en se retrouvant autour du projet orthodoxe, les frères ennemis rompent objectivement avec l’esprit de la révolution transcommunautaire du Cèdre, laquelle a donné lieu à un sunnisme s’octroyant pour la toute première fois un slogan aussi cher à la conscience politique chrétienne que celui de Liban d’abord.

Que ce projet vienne à aboutir, et c’est la proie qu’on aurait lâchée pour l’ombre.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Abusivement qualifié d’orthodoxe, le projet de loi électorale voté lundi par les commissions parlementaires n’est autre chose qu’une invite, et même une incitation, au radicalisme.Condamner en effet chacune des communautés religieuses de ce pays à élire exclusivement ses propres représentants, c’est fatalement propulser à l’Assemblée les forces les plus actives et...

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