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À La Une - Le point

La démocratie à marche forcée

Dans un pays en ébullition, les juges décident d’entrer à leur tour en rébellion contre le régime. Suivis par les avocats, approuvés – fait sans précédent – par un large éventail de la population, ils décrètent une grève des tribunaux qui grippe l’ensemble de la machine active du pays. Impuissantes face à cette grogne inédite, les autorités découvrent avec stupeur que le troisième pouvoir peut à l’occasion se révéler être le premier tant est grand l’ascendant de la toge et efficace son effet sur le peuple. Elles finissent par céder, les autres secteurs ayant suivi le mouvement.
C’était en 1919 et l’Égypte, alors sous mandat britannique, s’était soulevée pour réclamer sa pleine indépendance. Quatre-vingt-treize ans plus tard, le Club des magistrats vient de décider de ne pas superviser, et même de boycotter, le référendum sur le projet de Constitution prévu pour le 15 décembre. Le « débrayage » illimité avait déjà été décrété, peu avant, par la Haute Cour constitutionnelle, la Cour de cassation et d’autres tribunaux en signe de protestation contre la pression d’une partie de la rue acquise à la cause du président Mohammad Morsi et de son Parti de la liberté et de la justice, bras politique du mouvement des Frères musulmans. Aujourd’hui mardi, une marche s’ébranlera en direction du siège de la présidence de la République, dans le secteur d’Héliopolis, pour un « dernier avertissement » à un chef d’État qui aura réussi, grâce à ses maladresses, ce qui, il y a peu, paraissait impensable : l’unification de toutes les tendances d’une opposition jusqu’alors disparate.
Confronté à cette fronde, Morsi entend demeurer impavide. Pragmatique aussi. Devant le journaliste de l’hebdomadaire américain Time, il déclare : « À quoi vous attendiez-vous ? À voir les choses évoluer normalement ? Non, cela va être ardu. Nous souffrons, mais une naissance, ce n’est pas chose facile, surtout quand il s’agit de l’avènement d’une nation. » Quelqu’un devrait prendre la peine de rappeler à l’intéressé que ladite nation en train de naître existe depuis l’an 3150 av. J.-C., mais sans doute n’est-ce là qu’un point de détail. Avec une machine judiciaire à l’arrêt, c’est le chaos qui menace : la criminalité enregistre une hausse de plus en plus inquiétante, les dossiers s’accumulent sur les bureaux des magistrats, l’État est contesté pratiquement à tous les niveaux de la population.
En vertu d’un décret promulgué le 22 novembre, le successeur de Hosni Moubarak jouit désormais des pleins pouvoirs jusqu’à l’élection d’un nouveau Parlement, probablement vers la mi-2013. D’ici là demeure interdit tout recours contre les décisions présidentielles et contre la commission constituante, boycottée par les adversaires du régime et dominée par les Ikhwane. Ces derniers affichent un optimisme que rien pourtant ne justifie. S’il est vrai qu’il existe 14 000 juges parmi lesquels il n’y aurait « que » 9 500 opposants, s’il est vrai aussi que la décision de boycott n’est pas contraignante, il n’en demeure pas moins que c’est un sacré pavé que ces derniers viennent de lancer dans une mare aux eaux passablement fangeuses.
« Un nouveau pharaon », « un dictateur », « la Constitution du Guide suprême » (en référence au titre donné au chef de la confrérie des Frères musulmans), « le retour aux heures les plus sombres de l’ère précédente » : entre les deux camps, le ton monte à mesure qu’approche l’heure fatidique et que se confirme la     volonté du chef de l’État de ne rien céder à l’adversaire. À deux reprises la semaine dernière,mardi puis vendredi, les « anti » se sont retrouvés place al-Tahrir pour crier leur colère. Samedi, c’était au tour des « pro » d’affirmer que « le peuple veut l’application de la loi de Dieu », et par la même occasion de faire le siège de la Cour suprême dont les membres, terrorisés, ont dû se rabattre, pour sortir, sur une porte arrière.
L’un des points les plus controversés du projet stipule que l’université d’el-Azhar devra être consultée pour tout point litigieux concernant la charia, ce qui fait craindre à certains une immixtion intolérable dans la vie de tous les jours. En attendant, la politique des petits pas s’avère payante même si, par moments, elle est ponctuée de ces inévitables crocs-en-jambe qui accompagnent l’activité politique. Et même si, on le voit ces jours-ci, certains protestataires brandissent des calicots comparant Mohammad Morsi aux pires dictateurs des dernières décennies du siècle passé. « Pas de compromis en vue », répète-t-on depuis une semaine. Au pays de la conciliation, c’est inquiétant.
Dans un pays en ébullition, les juges décident d’entrer à leur tour en rébellion contre le régime. Suivis par les avocats, approuvés – fait sans précédent – par un large éventail de la population, ils décrètent une grève des tribunaux qui grippe l’ensemble de la machine active du pays. Impuissantes face à cette grogne inédite, les autorités découvrent avec...

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