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Nos Lecteurs ont la Parole

I.- Le dialogue de la politique au jour le jour

Hyam MALLAT
L’ambassadeur américain Henry Cabot Lodge ne cessait de répéter que l’ONU avait été créée pour empêcher les nations d’aller en enfer et qu’elle n’avait jamais eu la prétention de les conduire au paradis.
Il en est de même à notre avis pour le dialogue politique auquel sont conviés les politiciens libanais par le président Sleiman. L’issue d’un pareil dialogue n’est pas de conduire le Liban et les Libanais au paradis – loin de là –, mais bien de les aider à s’épargner l’enfer à eux et à leurs enfants.
Car enfin, de quoi s’agit-il, selon la formule consacrée du maréchal Foch face aux situations les plus dramatiques ?
Il s’agit ni plus ni moins de savoir si les Libanais sont capables de défendre leur société en amont ou en aval.
Que veut dire cela ?
Cela revient à s’interroger sur la capacité de notre société politique à discerner les problèmes et à les régler avant leur explosion ou à discourir en attendant l’après de leur explosion.
Certes, il faut reconnaître que l’histoire est rarement témoin des capacités d’une société à régler ses problèmes en amont. La soudaineté des explosions peut surprendre des gouvernements endormis dans leur quiétude.
Mais le Liban est tellement sollicité par les tragédies de l’histoire depuis 1969 qu’il faut être bien borgne pour ne pas tenter de se couvrir par rapport aux situations désastreuses qui se développent depuis quelque temps autour de nous et dans toute la région proche-orientale. Un Irak morcelé de facto depuis plus de dix ans et presque revenu à l’état des wilayets ottomans, une Syrie en pleine explosion depuis un an et demi, des États arabes soucieux et troublés, une Turquie en proie aux démons de l’histoire avec son épine kurde jamais résolue depuis le sultan Sélim Ier et son pantouranisme aux limites de la Russie et jusqu’aux portes de la Chine. Que faut-il de mieux pour embarrasser le Liban, où la meilleure des politiques n’est plus que celle d’au jour le jour faite de modestie et de modération pour éviter tensions et dérapages ?
Or – faut-il le dire ? –, l’histoire est bien là pour prouver que le Libanais est juste capable de provoquer l’incident mais jamais l’événement. L’incident, en effet, c’est un enlèvement, une fermeture de route, l’échange sporadique de coups de feu et d’obus de mortier dans des endroits bien limités, des parents de personnes enlevées furieux à juste titre et dont la première réaction est d’enlever par-ci par-là puis d’attendre voir pour que quelqu’un s’intéresse à eux et leur réponde...
Par contre, l’événement tel que nous en avons connu avec les bombardements des années 1975-1990, le déplacement des populations, les massacres crapuleux et injustifiés d’honnêtes personnes par des miliciens de tous bords, toutes confessions confondues, et qui ne se sont même pas repentis, ces événements-là exigent argent et armes que seules des parties décisionnelles étrangères peuvent fournir dans le cas d’une volonté de provoquer des dégradations sécuritaires majeures. Les idéologies au Liban ont l’odeur de l’argent et aucun principe ne semble malheureusement résister à son attrait. Prétendre que le Libanais est capable de susciter un événement d’une dimension régionale et internationale de son propre chef n’est qu’une affirmation plaisante, totalement démentie par l’histoire des deux siècles passés. Les crises et les dérapages durables ont toujours été le fait de contingences étrangères et le rôle du Libanais, quand il a voulu jouer un rôle méritoire et non misérable de spadassin ou d’exécuteur, a tout juste été de réduire autant que possible le malheur en évitant d’aggraver les risques en tuant et en volant plus. Ainsi donc, quel fut le rôle du Libanais au cours de ces deux derniers siècles sinon supporter l’événement et en accepter les graves conséquences ? Ainsi en a-t-il été avec Jazzar Pacha de triste renommée en 1800, jouant les émirs et les cheikhs libanais les uns contre les autres pour l’argent et l’amusement. Tels furent également les cas avec la question d’Orient issue de la présence égyptienne au Proche-Orient et jusqu’aux portes de Constantinople, des massacres entre 1840 et 1861 au Liban et en Syrie, de la Première Guerre mondiale avec Jamal Pacha, des événements liés à la création des États du Liban et de la Syrie par la France entre 1920 et 1936, puis du partage de la Palestine par décision des Nations unies en 1948 et des guerres successives, puis des événements de 1958, 1969,1973,1975-1990, la guerre de 2006....
Qui donc a demandé au Libanais son autorisation pour tous les crimes et les combats pour d’autres commis sur son territoire ? Si donc, avec tout cela, le Libanais n’a pas compris son poids sur la scène des décisions régionales et internationales, c’est qu’il est grand temps qu’il revoie sa copie et qu’il revienne sur lui-même pour reconnaître s’il veut continuer à accepter d’être la chair à canon pour les autres ou à se redresser avec sa famille et ses enfants dans un sursaut de dignité et d’honneur.
Certes, c’est sans doute trop exiger d’un coup d’une société manipulée et décrédibilisée car la pauvreté des moyens fait perdre toute raison à juste titre, et c’est pourquoi il est utile que les partenaires politiques se mettent sérieusement au travail pour ne pas se voir débordés par des situations en aval qui auraient dû être traités normalement en amont. Ainsi la faute politique du président Bachar el-Assad a été de croire qu’il peut défendre son régime en aval par des opérations militaires outrées alors qu’il s’agissait pour lui de le faire en amont par tous les moyens politiques et diplomatiques disponibles en temps dû. Le manque de discernement et la fausse évaluation de la réalité des situations constituent une faute politique que l’histoire couvre rapidement de son linceul.
Et c’est justement pour éviter de glisser dans une défense désuète et inopérante en aval qu’il y a lieu d’identifier les paramètres en amont de nature à nous rassurer et à sauvegarder notre société.
C’est pour cela que le dialogue national est de toute nécessité pour garder le lien de convenance entre toutes les parties. Certes, il faut reconnaître qu’il est bien difficile parfois pour des parties politiques antagonistes de se retrouver, mais les circonstances sont tellement graves et exigeantes qu’échanger une poignée de main, prendre une tasse de café valent mieux que rien et que la modestie des comportements doit aider chacun à réaliser que s’il est impossible d’arriver aujourd’hui à des décisions définitives, les rencontres elles-mêmes sont à elles seules suffisantes pour nous conforter dans la phase cruciale que nous traversons.
(À suivre)

Hyam MALLAT
Avocat et professeur
Ancien président du conseil d’administration de
la Caisse nationale de Sécurité sociale et des Archives nationales
L’ambassadeur américain Henry Cabot Lodge ne cessait de répéter que l’ONU avait été créée pour empêcher les nations d’aller en enfer et qu’elle n’avait jamais eu la prétention de les conduire au paradis.Il en est de même à notre avis pour le dialogue politique auquel sont conviés les politiciens libanais par le président Sleiman. L’issue d’un pareil dialogue n’est pas de conduire le Liban et les Libanais au paradis – loin de là –, mais bien de les aider à s’épargner l’enfer à eux et à leurs enfants.Car enfin, de quoi s’agit-il, selon la formule consacrée du maréchal Foch face aux situations les plus dramatiques ? Il s’agit ni plus ni moins de savoir si les Libanais sont capables de défendre leur société en amont ou en aval. Que veut dire cela ? Cela revient à s’interroger sur la...
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