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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

Paradis de déraison

Appartenez-vous à une famille nombreuse ou, mieux encore, à un clan ? Vos proches ou alliés pratiquent-ils le culte effréné du kalachnikov ? Sont-ils volontaires pour descendre dans la rue et y accomplir des actes de banditisme qualifié à chaque fois que vous en voulez au monde ? Si vous répondez non sur toute la ligne, alors vous n’avez aucune chance de vous faire entendre dans ce pays où le miel et le lait, chers à la promotion biblique de cette région, ont pour étrange effet de rendre littéralement fous ceux qui prétendent gérer nos affaires, régler notre existence.

Lubie, ainsi, que ces sessions erratiques du dialogue national où sont échangées non point gestes de bonne volonté et concessions mais de violentes diatribes, où est sempiternellement renvoyé le débat sur les questions de fond. Folie douce (c’est tout relatif) que les vaines gesticulations de ce gouvernement qui se voulait d’action, mais qui n’est en réalité qu’une somme de tortueux calculs et d’impuissances crasses.

Pur délire que ce concert de protestations indignées saluant l’arrestation d’un ancien député et ministre très proche du président de Syrie Bachar el-Assad qui importait, à bord de sa propre voiture, des machines infernales visiblement destinées à des attentats terroristes. Et que l’on voudrait maintenant faire passer pour un preux chevalier de l’axe antiaméricain et antisioniste, soucieux seulement de contribuer à la lutte contre les trafics d’armes à destination des rebelles syriens !

Folie – carrément furieuse – que celle qui, pour un oui ou un non, pour les pannes de courant électrique comme pour les pèlerins libanais séquestrés par l’Armée syrienne libre, jette sur la route de l’Aéroport international de Beyrouth des hordes de forcenés souvent cagoulés et armés qui bloquent le trafic à l’aide de pneus enflammés. Et qui condamnent les voyageurs terrorisés à traîner leurs valises sur des kilomètres de bitume en attendant que la force publique ait fini de négocier respectueusement avec les vandales.

Folie qui, le 15 août, a atteint des niveaux insoupçonnés lorsque la milice des Moqdad s’est emparée d’un citoyen turc et de dizaines d’otages syriens dans le but de les échanger contre un membre de cette tribu kidnappé par les rebelles de Syrie, pays où il séjournait le temps d’avoir réglé ses démêlés avec la justice libanaise. Les ravisseurs auront poussé l’inconscience jusqu’à menacer de s’en prendre également aux visiteurs saoudiens et qataris, poussant les royaumes du Golfe, où vivent et prospèrent de nombreux Libanais à rapatrier en catastrophe leurs ressortissants, portant ainsi le coup de grâce à une saison touristique déjà passablement compromise.

Folie contagieuse, par ailleurs. En représailles contre ces rafles, c’est la route menant au poste-frontière de Masnaa que bloquaient, peu après, d’autres énergumènes. Pour corser – dans les airs, cette fois – le surréel tableau, on aura eu droit, ce même soir, à l’incroyable déroutage sur Damas, plutôt que sur Larnaca, du Paris-Beyrouth d’Air France : lequel aurait très bien pu transporter à son bord des personnalités politiques libanaises notoirement visées par le régime syrien.

Ce voyage au bout de la démence, rien hélas ne permet de croire qu’il approche de son terme. C’est le plus officiellement du monde que le ministre des AE s’est laissé aller à recevoir les insolentes vedettes de ce stupéfiant 15 août, qui ne lui en ont même pas su gré. Le ministre de l’Intérieur, lui, a joué la discrétion, tandis que son collègue de la Justice regardait obstinément ailleurs. Une commission ministérielle pour plancher, bien qu’un peu tard, sur le dossier des otages libanais, une énième promesse de sécuriser l’aéroport de Beyrouth, un engagement de la tribu des Moqdad à répudier l’ignoble pratique des rapts : il en faudra bien davantage pour redonner confiance au citoyen et quelque consistance à un État qui n’a jamais paru plus en marge de l’événement, plus absent.

Le comble de l’ironie, c’est que celui-ci n’est plus seul à jouer les filles de l’air. Ou, du moins, à faire semblant. Car en affirmant hier que le surpuissant Hezbollah ne détient aucun contrôle sur les trublions du 15 août qui, pourtant, ont pignon sur rue dans la banlieue sud de la capitale, Hassan Nasrallah n’a fait en réalité que se laver publiquement les mains d’une affaire à tiroirs. La galvanisante nouvelle qu’il nous apporte en somme, c’est que la milice a fait des petits. Mais qu’elle se passe des congratulations d’usage.

Issa GORAIEB

igor@lorient-lejour.com.lb

Appartenez-vous à une famille nombreuse ou, mieux encore, à un clan ? Vos proches ou alliés pratiquent-ils le culte effréné du kalachnikov ? Sont-ils volontaires pour descendre dans la rue et y accomplir des actes de banditisme qualifié à chaque fois que vous en voulez au monde ? Si vous répondez non sur toute la ligne, alors vous n’avez aucune chance de vous faire entendre...

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