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À La Une - L'Orient Littéraire

La part de l'autre

Les extrêmes dont la montée s’accélère inexorablement des deux côtés de la Méditerranée ont largement réussi à fausser, dénaturer, pervertir la perception populaire de l’histoire des rapports entre Orient et Occident.

Henry Laurens

Ils sont, jusqu’à un certain degré, parvenus à promouvoir une vision du passé qui reposerait sur un mythique affrontement permanent entre les deux régions du monde. Le but de cette entreprise est bien entendu de tenter de conférer une pseudo-légitimité historique à leur discours inepte qui repose sur le rejet, l’exclusion, le dénigrement de l’autre. Dans cette perspective, le nouvel ouvrage d’Henri Laurens intitulé Français et Arabes depuis deux siècles ne pouvait pas mieux tomber. En ce lendemain de présidentielle française et alors que le printemps arabe se poursuit contre vents et marées, il fait beau revenir aux fondamentaux de l’histoire pour se rendre compte, du moins pour ceux qui seraient tentés de l’oublier, que le passé commun de l’Occident et de l’Orient, et plus précisément celui de la France et des Arabes, s’est de tout temps articulé autour d’un échange bidirectionnel dont l’affrontement n’a été qu’une forme parmi d’autres. Et que malgré les erreurs et les égarements des deux camps, cet échange a été, au final, mutuellement bénéfique.

 

Henry Laurens, éminent historien français et titulaire de la chaire Histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France, se livre dans Français et Arabes depuis deux siècles, paru en avril dans la ravissante collection Texto, à une dissection profonde de la genèse de la « chose franco-arabe ». Concept forgé par le sociologue et anthropologue Jacques Berque, cette chose presque tangible, palpable, intime est, pour l’auteur, « une rencontre dans les circonstances multiformes de l’histoire » qui a rapproché, quasiment uni, la France et le monde arabe. Elle a été alimentée, entretenue, développée par plus de deux siècles d’interaction commune au point où, pour Henry Laurens, « l’histoire de la France depuis la Révolution française est (devenue) incompréhensible sans la prise en compte de sa dimension arabe ». En contrepartie, d’après l’élégante formule de Jacques Berque, la culture française s’est muée en « hellénisme des peuples arabes » dont les pays sont « le lieu de l’orgueil et des larmes de la France ».

 

Le développement de cette chose historique est passé par une multitude de stades au gré des transformations politiques, économiques, sociales, culturelles, religieuses, philosophiques de la société française et des sociétés arabes. Dans la première partie de son ouvrage, composée d’une succession de chapitres courts, Henry Laurens se livre à une relation factuelle dans un cadre analytique qui permet d’accéder aux clefs de la compréhension de chacune de ces périodes. Dans un style simple et limpide mais non moins scientifique, l’historien passe en revue les faits historiques qui ont conditionné l’évolution des rapports entre la France et le monde arabe entre l’époque napoléonienne et le quinquennat orphelin de Nicolas Sarkozy. Son exposé met en exergue les dimensions multiples, parfois paradoxales, des rapports complexes entre métropoles et colonies dont il expose les schémas génériques dans le cadre de la seconde partie de l’ouvrage. Du côté de la France, la politique de colonisation ou de domination se fonde à l’origine sur une volonté de puissance qui revêt rapidement les accoutrements d’une mission de civilisation visant à permettre la régénération des populations conquises. Elle se décline, selon les périodes et les espaces géographiques, en politique de l’intégration et de l’assimilation, de l’association et du partenariat ou de promotion de la culture et des intérêts économiques. Du côté des Arabes, c’est leur interaction avec la France des Lumières qui leur permet de forger leur identité moderne et de développer un début de vision nationaliste qui, paradoxalement, est alimentée par le concurrent britannique qui cherche à contrer le rayonnement français à l’international. En somme, les relations avec le monde arabe ont été un moyen de maintenir le statut de grande puissance pour la France. En contrepartie, « la modernité arabe s’est largement alimentée de ces sources françaises dans un rapport d’adoption et de redéfinition ».

 

L’intensité de ces échanges a structuré la chose franco-arabe qui, aux yeux d’Henry Laurens, « est maintenant composée de cette part française de l’identité arabe et de cette part arabe de l’identité française ». Une part de l’autre dans l’identité de chacun est donc désormais une réalité indéniable, une source de richesse, un acquis de l’histoire sur lequel pèse aujourd’hui la menace des extrêmes. Henry Laurens termine donc son analyse sur une mise en garde. « Des deux côtés, affirme-t-il, il faut combattre la folie des discours authentitaires qui, en croyant combattre l’autre, procède à l’appauvrissement de soi-même ». Plus qu’un appel à l’action, il y a là un message d’espoir.

 

Pour lire L'Orient Littéraire dans son intégralité, cliquez ici.

Ils sont, jusqu’à un certain degré, parvenus à promouvoir une vision du passé qui reposerait sur un mythique affrontement permanent entre les deux régions du monde. Le but de cette entreprise est bien entendu de tenter de conférer une pseudo-légitimité historique à leur discours inepte qui repose sur le rejet, l’exclusion, le dénigrement de l’autre. Dans cette...

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