Rechercher
Rechercher

Liban

(R)évolution permanente


« On me prend pour un érudit, un intellectuel, un gratte-papier. Et je ne suis rien de tout cela. Mes doigts, quand j’écris, ne se tachent pas d’encre, mais de sang. Je crois n’être que ceci : une âme qui ne se prosterne pas. »
Les mots sont de Nikos Kazantzakis. Pourtant ils semblent bien avoir été écrits, il y a déjà plus d’un demi-siècle, pour Nassir el-Assaad.
Nassir bey a certes été terrassé dimanche matin par la Camarde. Mais il ne s’est pas prosterné devant elle. Jamais. C’est debout qu’il est arrivé aux urgences de l’Hôpital américain de Beyrouth, le cœur plus malade que jamais, sous le regard ahuri des urgentistes. Le cœur malade des affrontements nocturnes de Tarik Jdidé, de la mini-guerre de Tripoli, de toutes ces manipulations sordides entretenues par le régime syrien depuis quarante ans, et qui n’ont cessé de trouver des clients sur la scène locale, suffisamment naïfs ou serviles pour continuer à se laisser manipuler...
Les médecins étaient catégoriques : un autre que Nassir bey n’aurait pas survécu à la première attaque, foudroyante. Mais n’est pas Nassir bey qui veut. Né sous le signe du Scorpion, il s’est farouchement battu durant une semaine pour la vie, comme il l’a d’ailleurs fait durant toute son existence. Oui : repoussant les multiples arrêts cardiaques, déjouant les pronostics pourtant terriblement pessimistes dès les premières heures, Nassir bey s’est battu, encore. Il a résisté. N’avait-il pas vaincu la mort déjà plusieurs fois, lorsqu’elle s’était présentée sous l’étendard de la lutte contre l’occupation israélienne, dans les rangs du Front national de la résistance libanaise, par exemple? Ou encore sous les traits de la guerre fratricide et absurde avec le Front libanais ? Sous le masque aussi de l’occupation syrienne de 1976 à nos jours ? Et enfin avec le visage des armes illégales et des chemises noires le 7 mai 2008, lorsque les bureaux du quotidien al-Moustaqbal, où il dormait cette nuit-là, avaient été frappés de plein fouet par les missiles antichars du Hezbollah ?
De toutes ses rencontres avec la Faucheuse, Nassir bey était sorti renforcé, plus déterminé, plus sage, alliant, comme ses compagnons de route Samir Frangié et Élias Atallah, un flegme très british, doublé d’un sens de l’humour inimitable, à une faculté d’entrer en quelques millièmes de secondes dans un tourbillon de colère noire.
La voix basse, timide, chevrotante, disparaissait aussitôt d’une manière surprenante pour laisser la place à une voix de Stantor, montant crescendo pour haranguer les foules. Nassir bey retrouvait ses talents de meneur estudiantin de naguère. Le penseur séduisait l’esprit, l’interpellait, le poussait à la réflexion ; puis, comme par magie, c’est le tribun qui remontait en lui, avec ce pouvoir immense et immédiat de galvaniser par la rhétorique.
La révolte permanente était une nécessité de vie, comme la nicotine et la caféine ; toujours mue, du reste, par une répulsion profonde pour la violence, l’injustice, l’incapacité de dialoguer et la médiocrité.
Car c’est aussi, à n’en point douter, la médiocrité qui a emporté Nassir bey. L’impuissance de pouvoir faire face aux stratagèmes sournois de l’ennemi avec les multiples carences et autres imperfections de son camp.
Sa dernière révolte publique, à Meerab, lors du meeting de solidarité du 14 Mars avec Samir Geagea le mois dernier, restera certainement dans les mémoires comme une sorte de testament politique et de mise en garde historique. Nassir bey y avait appelé une fois de plus à un sursaut collectif salutaire contre cette satanée rouille, à une « révolution dans la révolution » et un retour aux sources du mouvement, c’est-à-dire à la dynamique civile et pacifiste de la rue – comme le camarade assassiné Samir Kassir. Pour une société enfin pacifiée, toujours plus démocratique, plus juste, plus égalitaire. Pour un citoyen plus libre. Pour une véritable évolution dans la révolution.
Nassir bey a finalement tiré sa révérence. Il est triste qu’il faille toujours attendre, en société, le silence éternel des esprits les plus fins et les plus acérés, pour enfin entendre et comprendre la portée de leurs mots.
Comme dirait l’ami Brassens : Ô vous, les arracheurs de dents, tous les cafards, les charlatans, les prophètes... Comptez plus sur Nassir bey pour payer les violons du bal à vos fêtes...
Nassir bey, à nos retrouvailles.
« On me prend pour un érudit, un intellectuel, un gratte-papier. Et je ne suis rien de tout cela. Mes doigts, quand j’écris, ne se tachent pas d’encre, mais de sang. Je crois n’être que ceci : une âme qui ne se prosterne pas. »Les mots sont de Nikos Kazantzakis. Pourtant ils semblent bien avoir été écrits, il y a déjà plus d’un demi-siècle, pour Nassir el-Assaad.Nassir bey...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut