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Pas de changement fondamental de la politique étrangère française au Moyen-Orient avec Hollande - Interview

Pas de changement fondamental de la politique étrangère française au Moyen-Orient avec Hollande

Le nouveau président français a fait la semaine dernière ses premiers pas « dans la cour des grands », en enchaînant deux rencontres bilatérales avec ses homologues Angela Merkel et Barack Obama et deux sommets du G8 et de l’OTAN. Méconnu à l’étranger, le socialiste sera confronté au triple défi d’affirmer ses positions, de prouver son aptitude revendiquée au compromis et de nouer des relations personnelles avec les plus hauts dirigeants de la planète.

La nouvelle équipe qui s’occupe de la politique étrangère française. De droite à gauche : Pascal Canfin, ministre délégué au Développement, Bernard Cazeneuve, ministre délégué aux Affaires européennes, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, et Yamina Benguigui, ministre déléguée des Français de l’étranger. Bertrand Guay/AFP

François Hollande est arrivé au pouvoir alors que le monde est en ébullition, que ce soit en Europe avec la crise économique ou bien au Moyen-Orient avec les révolutions et les changements de régime. Pendant toute sa campagne, le nouveau locataire de l’Élysée s’est voulu le président du changement tout en restant dans la « normalité ». Renégocier le pacte de stabilité européen, faire sortir ses troupes d’Afghanistan plus tôt... le président veut marquer la différence avec son prédécesseur. Y arrivera-t-il ? Quel est l’avenir du couple franco-allemand ? Et quelles seront les positions de François Hollande concernant la région ? Bertrand Badie, professeur à Sciences po Paris, revient sur la nouvelle politique étrangère de la France.

L’Orient-Le Jour. Est-ce que François Hollande va s’investir sur la scène internationale autant que Nicolas Sarkozy ?
Bertrand Badie. Compte tenu de ce que sont les institutions de la Ve République en France, un président est obligé de s’investir dans le domaine international. D’abord, constitutionnellement, c’est la première marque de sa compétence, pendant longtemps les questions internationales étaient considérées comme le domaine réservé du président. Et d’autre part, parce que cela devient classiquement la source principale de sa légitimité et de son autorité, autrement dit pour qu’un président soit respecté à l’intérieur, qu’il soit reconnu comme chef de l’État, il lui faut être actif sur la scène internationale et se faire admettre par ses partenaires internationaux.
Bien sûr, François Hollande n’est pas dans son histoire personnelle un acteur familier des questions internationales, on peut même constater que sa carrière politique a été très fortement concentrée sur des questions de politique intérieure, mais comme tout homme politique responsable, il sait que sa survie politique et le plein exercice de ses fonctions dépendent principalement du jeu international.
J’ajouterais peut-être une considération plus actuelle, la crise économique et sociale qui frappe durement l’Europe et la France a des racines internationales évidentes, c’est donc à partir d’une réflexion et d’une action sur le plan international qu’il pourra véritablement y faire face.

Quelle sera l’approche des relations franco-allemandes ? Estimez-vous que le président français puisse infléchir les positions d’Angela Merkel concernant le pacte budgétaire européen ?
D’abord on a été frappé de voir avec quelle rapidité François Hollande s’est rendu à Berlin, le jour même de son investiture, bravant les orages et la tempête ; c’est dire à quel point la continuité est forte par rapport au précédent président. La priorité est donnée au couple franco-allemand. On peut considérer que quels que soient les changements, l’architecture politique et diplomatique de l’Europe repose sur ce couple et aucun des deux partenaires n’a intérêt à le dissoudre. D’abord, parce qu’il n’y a pas de substitut du fait que la Grande-Bretagne qui est l’autre grande puissance européenne a toujours cherché à se mettre en marge de la construction européenne et n’appartient pas à la zone euro. Les États méditerranéens (Espagne, Italie, Grèce) sont eux, tous, gravement malades. Le partenariat presque mécaniquement ramène la France vers l’Allemagne et vice-versa. Probablement pour cette raison, on peut considérer que les positions de part et d’autre vont s’infléchir. La difficulté sera de trouver un point d’équilibre, parce que François Hollande a pris un risque, celui de dire très tôt et très fort qu’il entendait renégocier le pacte de stabilité qui avait été conclu avant l’élection présidentielle. Angela Merkel avait alors immédiatement répondu qu’il n’était pas question de renégocier. Un risque politique très fort a été pris de part et d’autre. Maintenant il y a toujours place pour la diplomatie, sachant que François Hollande dispose d’un petit avantage : depuis quelques semaines, on voit que cette position rebelle par rapport à l’accord passé est soutenue modérément, mais de manière de plus en plus visible, par un grand nombre de chefs d’État, de gouvernements, d’hommes politiques et de hauts techniciens de l’économie en Europe, pour une raison très simple, en l’occurrence qu’à droite autant qu’à gauche on sait que sans un minimum de relance, ceux qui sont en place risquent d’être irrémédiablement chassés. De ce point de vue, la crise grecque montre un chemin qui n’est pas défavorable à M. Hollande. Cette crise montre en effet que faute d’accommodement, ce sont les peuples qui se révoltent et à partir de ce moment-là il n’y a plus de gouvernance possible. C’est ce que les chefs d’État et de gouvernement européens avaient oublié, à savoir qu’il faut aussi compter avec les peuples, avec les suffrages, et qu’on ne peut pas gouverner en Europe contre le peuple.

Quelle sera la position de François Hollande vis-à-vis du Moyen-Orient ? En particulier des dossiers iranien, syrien et israélo-palestinien ?
Personnellement, je fais le pari qu’il n’y aura pas un changement fondamental d’orientation de la politique étrangère telle qu’elle avait été rectifiée par Nicolas Sarkozy, pour plusieurs raisons. D’abord, à droite comme à gauche, on est très divisé sur le Moyen-Orient. Il y a à l’intérieur de la gauche française des sensibilités propalestiniennes, des hommes et des femmes qui militent pour revenir à cette politique arabe de la France, mais il y a en face un puissant courant favorable à Israël et très fortement hostile à l’Iran. Cette division à l’intérieur de la gauche, qui ressemble d’un certain point de vue à ce qui se passe également à l’intérieur de la droite, empêche des mouvements de fonds.
D’autre part, Nicolas Sarkozy avait infléchi la politique étrangère gaulliste traditionnelle ; il est très difficile aujourd’hui pour un nouveau président de revenir sur cette inflexion.
Par ailleurs, le printemps arabe a plongé dans la perplexité bon nombres d’acteurs politiques qui, en France comme un peu partout dans le monde, n’ont pas su réagir et s’y adapter. Les différents conflits qui ensanglantent le Moyen-Orient, qui le déstabilisent font d’autant plus peur que l’on sait qu’une aggravation de la crise dans cette région risquerait d’aboutir à l’approfondissement de la crise économique à l’intérieur de l’Europe, notamment du fait du renchérissement probable du prix du pétrole.
Tout cela amène les uns et les autres à une attitude de retrait, de prudence, peut-être même à une certaine frilosité. Face à cette frilosité, je pense que l’on assistera dans les mois à venir à cette continuité dans le désinvestissement de l’Europe par rapport au monde arabe, plutôt qu’à un rebondissement très net de cette politique arabe qui a beaucoup souffert ces derniers temps.

Quelle sera la politique du président élu concernant les régimes issus du printemps arabe ?
C’est une question en réalité très difficile parce que l’on ne parvient pas véritablement, non seulement en France, mais dans le monde occidental, à faire une analyse précise de ces transformations. On a tendance à simplifier de manière outrancière les données du problème, parce que l’on a cette peur de plus en plus forte, voir irraisonnée, à l’égard des mouvements islamistes ou des partis qui gagnent les élections et qui se réclament de l’islam. Parce que l’on recherche, encore une fois, avant tout, la stabilité. Les Occidentaux ne veulent pas que cette région bouge trop, car tout ce qui la fait bouger est perçu comme un péril. Face à cette incompréhension et à cette peur on a du mal véritablement à tendre la main dont pourtant les nouveaux régimes ont tellement besoin et que les peuples eux-mêmes attendent. Nous sommes dans l’expectative ; que se passera-t-il ? C’est très difficile à dire, il faut en tous les cas attendre les résultats des élections en Égypte et surtout l’évolution du drame syrien pour que l’on puisse repenser une politique qui ressemble de plus en plus à de la tétanie. L’Europe et les États-Unis avaient cru pouvoir régler le jeu en Libye par cette intervention décidée par le Conseil de sécurité le 17 mars 2011, mais l’on s’aperçoit que ce qui avait été conçu alors n’avait pas été réalisé selon les meilleures procédures et n’est probablement pas applicable à la Syrie. Face à la découverte de cette impuissance, on se contente de parler.

François Hollande a annoncé durant sa campagne le retrait anticipé (fin 2012) des troupes françaises d’Afghanistan. Va-t-il pouvoir le faire alors que les Américains avaient décidé de la date de 2014 ?
C’est l’un des enjeux du très important sommet qui a eu lieu ce week-end à Chicago, réunissant les membres de l’OTAN. L’essentiel des discussions a tourné autour de cette question comme autour de la fameuse question du bouclier antimissile. François Hollande s’est beaucoup avancé, il lui est très difficile, au risque de perdre la face devant son opinion publique, de renoncer à cette décision. On peut s’attendre à ce qu’elle soit modulée, que, comme il l’a dit lui-même, le retrait des troupes précédera le retrait du matériel, que des troupes resteront avec un statut non combattant. Il y a tout un tas de formules intermédiaires possibles et même probables, mais effectivement, je crois que la France socialiste marquera sa différence, tant par rapport au gouvernement précédent que par rapport à ses alliés, en maintenant le cap sur cette date de décembre 2012.

Y aura-t-il des avancées sur l’adhésion de la Turquie au sein de l’Union européenne ?
Très certainement il va y avoir un changement de ton, d’ailleurs il a commencé. François Hollande a envoyé plusieurs signaux en direction de la Turquie pour montrer qu’il entendait participer à cette amélioration attendue de part et d’autre des relations franco-turques. Est-ce que, pour autant, il va y avoir un changement radical, je ne le pense pas. D’abord, François Hollande a eu une position assez proche de celle de Nicolas Sarkozy sur la question arménienne, ensuite parce que la question de la Turquie dans l’Union européenne est devenue presque un tabou dans l’opinion publique et parmi les gouvernements, donc un revirement spectaculaire n’est pas du tout à attendre. Que les choses cependant aillent mieux sur le plan bilatéral et que les négociations soient un tout petit peu moins bloquées que sous la présidence Sarkozy, ça on peut le penser.
François Hollande est arrivé au pouvoir alors que le monde est en ébullition, que ce soit en Europe avec la crise économique ou bien au Moyen-Orient avec les révolutions et les changements de régime. Pendant toute sa campagne, le nouveau locataire de l’Élysée s’est voulu le président du changement tout en restant dans la « normalité ». Renégocier le pacte de...