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À La Une - L'Orient Littéraire

70, été érotique

Des tentatrices, des bouffons romantiques, des exutoires corporels, ainsi qu’une série de personnages secondaires. Et, en toile de fond, les femmes du village, toutes de noir vêtues.

Ce qu’il y a de plus terrible dans chaque révolution, écrivait l’auteur et activiste politique russe Alexandre Herzen, « c’est que le monde qui s’en va ne laisse pas derrière lui un héritier, mais une veuve enceinte. Entre la mort de l’un et la naissance de l’autre, beaucoup d’eau coulera sous les ponts, une longue nuit de chaos et de désolation passera. »

 

Keith Nearing, aspirant poète d’une vingtaine d’années, passe son été 1970 dans un château italien à flanc de montagne, surplombant un village de Campanie, dans un lieu où D.H. Lawrence et son épouse séjournèrent. Il y a là sa petite amie Lily, qui lui occupe l’esprit de moins en moins ; la jeune copine de celle-ci, Scheherazade, une grande blonde luxuriante en diable, en pleine éclosion et plutôt très exhibitionniste, dont le protagoniste s’entiche d’emblée de façon quasi obsessionnelle, et dont le copain retarde sans cesse son arrivée - ce qui ne fait qu’augmenter la frustration de tous ; Adriano, un comte italien omniprésent bien que presque nain ; une Gloria Beautyman callipyge, belle, un peu masculine et autoritaire, en plein désarroi charnel ; un vieux Whittaker et son jeune toyboy libyen (prénommé... Amen) ; des tentatrices, des bouffons romantiques, des exutoires corporels, ainsi qu’une série de personnages secondaires. Et, en toile de fond, les femmes du village, toutes de noir vêtues.

 

Cet été-là, d’apparence idyllique, fait d’excursions vers des villages de pêche, de sorties archéologiques et d’après-midis à la piscine, cet été-là sera en fait décisif, de tous les dangers, chaud, sans fin, écrasé par la lumière estivale et les ciels campaniens démesurés. Ce sera l’été du trauma sexuel fondateur de Keith et, accessoirement, de toute sa génération. Ses maladresses, ses déconvenues, le désastre de ses manœuvres rendent le personnage progressivement attachant. À l’âge où le corps advenu à l’adolescence est supposé entrer de la façon la plus substantielle en interaction avec celui des autres, Keith croit que le renversement sexuel en cours est là uniquement pour lui, pour son propre bénéfice. On pense ici, bien entendu, et c’est à peine voilé dans l’esprit d’Amis, au séminal Décaméron de Bocacce, à l’interlude de ses dix personnages dans une villa italienne, et leur exploration des nuances et des déceptions de l’amour, de ses grandeurs et de ses misères.

 

Dans cette comédie d’un été, qui est d’abord une comédie de mœurs, Martin Amis est à son sommet, et excelle par son humour grinçant, cruel, par la satire sociale et psychologisante qui renvoie aux grands romans de ses débuts : The Rachel Papers, paru en 1973 (Charles Highway y est également cet étudiant lettré de vingt ans intriguant pour séduire son inaccessible premier amour), et surtout Dead Babies (1975, où l’on retrouve l’humour noir, la promiscuité des corps et une unité de lieu qui finit par être oppressante, ici dans la campagne anglaise). S’il n’affiche pas l’ampleur romanesque de House of Meetings (voir L’Orient Littéraire de juin 2008), dont la description du coût mental de la survie dans les camps de travail staliniens hantait le lecteur durablement, ce douzième roman est tout de même d’une grande pertinence et, malgré sa légèreté apparente, de grande ambition - disons, pour prendre le meilleur de la production romanesque récente, dans la veine de la fresque générationnelle du Freedom de Jonathan Franzen.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

La Veuve enceinte Les dessous de l’histoire (The Pregnant Widow, Inside History) de Martin Amis, Traduit de l’anglais par Bernard Hœpffner Édition originale 2010 Édition en langue française 2012 Jonatahan Cape, London Gallimard, Coll. Du monde entier, 540 pages


 

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Ce qu’il y a de plus terrible dans chaque révolution, écrivait l’auteur et activiste politique russe Alexandre Herzen, « c’est que le monde qui s’en va ne laisse pas derrière lui un héritier, mais une veuve enceinte. Entre la mort de l’un et la naissance de l’autre, beaucoup d’eau coulera sous les ponts, une longue nuit de chaos et de désolation...

commentaires (5)

Sans oublier bien entendu Salazar au Portugal.

Antoine-Serge KARAMAOUN

13 h 36, le 22 avril 2012

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Commentaires (5)

  • Sans oublier bien entendu Salazar au Portugal.

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    13 h 36, le 22 avril 2012

  • çà m' a toujours paru très curieux que quelquechose d'aussi sympathique qu'une galipette puisse déclencher un tel flotde problèmes...et pourtant,çà dure depuis Adam et Eve...comme on dit,il n'y a pas de mal à se faire du bien(entre adultes consentants,bien entendu)...

    GEDEON Christian

    12 h 21, le 22 avril 2012

  • Il est dangereux de croire que même belle, une œuvre littéraire pareille puisse avoir inévitablement des conséquences toutes positives sur les mœurs d’une société ; n’importe laquelle. Il suffit de voir les résultats funestes et néfastes des mœurs sexuelles des deux Plus Horribles fascistes du XXème siècle, à savoir le facho Mussolini et le nazillon Hitler, pour se méfier pour ne pas vite tomber dans la crédulité.

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    09 h 18, le 22 avril 2012

  • - - Lady Chatterley's lover n'a pas été le déclencheur de la révolution sexuelle en occident puisque celle ci a de tout temps existe , mais a libéré une certaine pratique érotique et levé un certain tabou sur la mixité des relations intimes entre une lady et son employé issue de la classe ouvrière et sur la pratique sexuelle des souverains et souveraines qui a toujours existe dans toutes les cours d'Europe par l'aristocratie royale et impériale surtout au plus haut niveau .. C'est normal que cela ait choqué la cour qui a voulu se protéger .. Ce qui serait intéressant , c'est de voir un événement littéraire Arabe similaire sur les cours et aristocraties de la région qui ne manquent pas de piment ... Peut-être que cela aidera les mentalités à évoluer côté sexuel puisque c'est la clé qui débloque tout chez l'être humain ... Évidement vous n'êtes pas obligé de me croire .

    JABBOUR André

    05 h 43, le 22 avril 2012

  • L'amant de lady Chatterley de D.H. Lawrence a été écrit en 1928 et n'a pu être imprimé en Grande Bretagne qu'en...1960 . Cet événement littéraire fut sans doute l'un des déclencheurs de la révolution sexuelle de l'Occident. Peut-être pouvons-nous espérer aujourd'hui, 62 ans plus tard, la voir démarrer en Orient et ailleurs plutôt que d'assister à l'abjecte hypocrisie en passe de se généraliser en Tunisie par exemple, où des salafistes proposent à des étudiantes un mariage temporaire clandestin! Qui donc les a investis de ce "privilège" ? Il est grand temps que la morale et les moeurs ne soient plus dictés par des hommes, glabres ou barbus, et demeurent libres tant qu'ils n'enfreignent pas les lois humaines. Dieu pourra très bien s'occuper tout seul de ceux qui enfreignent les lois divines.

    Paul-René Safa

    03 h 46, le 22 avril 2012

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