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À La Une - Sécurité routière

L’alcool au volant, ce fléau que le Liban néglige

Alors que le nombre de victimes sur les routes libanaises n’a jamais été aussi élevé depuis 10 ans, la jeunesse est encore trop peu réceptive et sensibilisée à cette question.

Un accident de la route, à Bkerké. (DR)

La « Décennie d’action pour la sécurité routière », initiée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ne pouvait débuter sous des auspices plus funestes...

 

Et pour cause ! Au Liban, la route n’a jamais été aussi meurtrière qu’en 2011. Selon le service des urgences de la Croix-Rouge libanaise, quelque 11 161 personnes ont été impliquées dans un accident de la route l’année dernière. Une augmentation de près de 100 % par rapport à 2002 ! Les Forces de sécurité intérieure (FSI) ont énuméré pour leur part 6 040 blessés et 508 morts : 44,6 % des blessés et 35,43 % des tués étaient alors âgés de 15 à 29 ans.


Bien qu’inquiétants, ces chiffres ne reflètent pas toute l’étendue du problème. En effet, les statistiques émises par la Croix-Rouge n’ont trait qu’aux situations ayant nécessité l’intervention de secouristes. Quant aux FSI, elles ne sont pas toujours présentes sur les lieux de l’accident, surtout lorsque ce dernier n’aboutit pas à l’établissement d’un constat, une hospitalisation ou un décès.


S’il est bien connu que ces accidents ne résultent pas uniquement de la prise d’alcool ou de stupéfiants, mais souvent d’un amalgame de plusieurs facteurs (vitesse, fatigue, état des infrastructures, non-port de la ceinture, etc.), la conduite en état d’ébriété demeure, au Liban, une pratique largement répandue à laquelle les autorités politiques, sécuritaires et éducatives, tout comme la jeunesse, accordent encore trop peu de considération.

Non-application des lois
Dans ce contexte de déni généralisé, associations et médecins sont les seuls chantres du changement. Selon Ziad Akl, fondateur et président de la YASA, « le gouvernement n’est pas conscient de ses responsabilités. Un amendement limitant le taux maximum d’alcoolémie à 0,5g/l de sang a été promulgué en 1995, mais le problème ne vient pas tant des lois que de leur non-application ».

 

Des propos que corrobore Fady Gebran, fondateur de l’association Kunhadi : « Comme toujours au Liban, on assiste à un véritable battage médiatique et engouement populaire à la promulgation d’une loi ou lors d’une initiative gouvernementale. Mais après quelques mois, l’enthousiasme et la vigilance marquent le pas. »

 

Et de citer en exemple : « Lorsqu’en janvier 2011, l’application de la loi relative aux limites de vitesse a été renforcée par le ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud, les accidents ont diminué de 28 % par rapport à janvier 2010. Pourtant, 2011 reste une année noire. Quant aux alcootests, ils restent très rares. » Les FSI se défendent en invoquant le « nombre insuffisant des fonctionnaires de police », dont la plupart sont « réquisitionnés pour la régulation du trafic », selon une source sécuritaire responsable.


L’ivresse au volant bénéficie d’un cadre législatif singulièrement archaïque et sibyllin. En cas de contrôle positif, le conducteur tombe sous le coup de l’article 622 du code pénal relatif « à un état d’ivresse apparent sur la voie publique », qui prévoit une contravention de 6 000 LL à 20 000 LL. L’article 564 stipule, pour sa part, qu’en cas d’homicide involontaire, l’automobiliste encourt de six mois à trois ans de prison ainsi qu’une sanction pécuniaire soumise à décision de jurisprudence.

 

Toutefois, la conduite en état d’ivresse n’engendre pas d’alourdissement de peine. À titre indicatif, le code de la route français administre pour ce même délit, causé sous l’emprise de l’alcool, une peine de réclusion maximale de sept ans, une amende dont le montant peut atteindre 100 000 euros ainsi qu’une confiscation immédiate du permis assortie d’une interdiction de se représenter à l’examen durant cinq ans.

 

Concernant, enfin, la vente d’alcool aux mineurs, l’article 626 de la loi libanaise sanctionne tout gérant de débit de boissons pris en flagrant délit par une contravention symbolique de 10 000 à 20 000 LL et une détention plafonnée à 10 jours. En France, le contrevenant s’expose à une amende de 7 500 euros et un an d’emprisonnement en cas de récidive dans les cinq années suivant l’infraction...


Le docteur Élie Farah, chef du département de médecine interne à l’hôpital du Mont-Liban, constate « une recrudescence des comportements à risques chez une jeunesse pressurisée politiquement, socialement et économiquement depuis la guerre de 2006 ».

 

Et d’ajouter que « l’attitude adoptée par certains parents qui laissent conduire leurs enfants les soirs de fête est en totale contradiction avec leur sécurité ». Le problème semble effectivement prendre sa source dans l’insuffisance chronique de sensibilisation. D’un côté, nombre de parents désemparés ou trop conciliants, de l’autre, des éducateurs scolaires souvent volontaires, mais dépassés par l’exigence perpétuelle de la tâche.


Si le Liban est encore peu concerné par le « binge drinking », cette pratique originaire des pays anglo-saxons qui consiste à ingérer un maximum d’alcool en un minimum de temps, les jeunes concèdent toutefois que l’ivresse est régulièrement le leitmotiv de la célébration. « Mon grand frère, plus âgé de cinq ans, ne se reconnaît déjà plus dans notre façon de faire la fête », commente Angel, étudiante à l’Université libanaise. « Aujourd’hui, ce phénomène touche autant les filles que les garçons », ajoute-t-elle.

L’été meurtrier
Il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’étude sur les accidents causés explicitement par l’absorption d’alcool ou de drogues. Néanmoins, plusieurs données sous-entendent l’ampleur de cette corrélation de manière criante. Par exemple, les statistiques fournies par les FSI démontrent que 40 % des accidents enregistrés en 2011 se sont déroulés entre vendredi 15h et dimanche minuit, période d’activités festives. De surcroît, les chiffres sont particulièrement éloquents en ce qui concerne la période estivale : juillet et août concentrent à eux seuls 22 % des accidents survenus l’année dernière et 23 % des victimes décédées.


Sabine Farah, secouriste à la Croix-Rouge, témoigne : « Les accidents les plus graves pour lesquels nous sommes sollicités ont souvent lieu les week-ends, après trois heures du matin. Lors de l’intervention, nous remplissons le rapport de prise en charge du patient, mais les tests de sang et contrôles d’alcoolémie sont laissés au soin des médecins de l’hôpital. Dans beaucoup de cas, une prise de sang est inutile pour savoir que le conducteur est alcoolisé. Il suffit de se pencher sur lui ! »


Au regard des conjectures énoncées plus haut, on peut s’étonner à juste titre que les FSI n’imputent à la consommation d’alcool que 0,25 % des accidents comptabilisés dans leurs statistiques. Et adhérer aux propos de Ziad Akl selon lesquelles « les contrôles d’alcoolémie ne sont pas effectués systématiquement par la police sur les lieux de l’accident, même lorsqu’il n’y a pas de victime ».


À compter du mois prochain, un nouveau logiciel de traitement de données sera opérationnel dans les centres d’intervention de la Croix-Rouge. Modelé selon les logiciels de gestion de la relation client, cet outil permettra de conserver les informations physiologiques collectées lors d’une intervention, et facilitera l’élaboration de statistiques sur le long terme. Un premier pas vers plus de lumière sur un problème que beaucoup prennent à cœur d’éluder.

La « Décennie d’action pour la sécurité routière », initiée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ne pouvait débuter sous des auspices plus funestes...
 
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