Encore des défis à relever pour une meilleure gestion du troisième âge

À l’instar des autres pays du monde, un changement démographique s’opère au Liban. Avec l’espérance de vie qui augmente, les sociétés comptent de plus en plus de personnes du troisième âge. Tous les pays n’ont toutefois pas des structures sanitaires et sociales adaptées à cette tranche d’âge. Comment se présente la situation au Liban ? Le point avec le Dr Élie Stephan, médecin de famille, gériatre, chef de service de l’unité de soins aigus de gériatrie à l’hôpital Saint-Georges des grecs-orthodoxes.

Comment se présente la situation des personnes âgées au Liban ?
Nous ne disposons pas de statistiques officielles sur le nombre exact des personnes âgées, leurs problèmes et leurs besoins. Se basant sur des études effectuées à petite échelle, nous pouvons dire que leur situation est acceptable. Elle ne répond pas aux critères observés sur le plan mondial, mais elle n’est pas non plus aussi médiocre que celle constatée dans de nombreux autres pays. La structure familiale joue un grand rôle sur ce plan. Elle comble en quelque sorte le vide constaté à ce niveau, d’autant que les services gouvernementaux sociaux, médicaux et paramédicaux sont presque inexistants. Ils sont disponibles pour ceux qui peuvent se le payer.

Quelles sont les spécificités de l’âge gériatrique ?
L’âge gériatrique a des spécificités, des manifestations et des besoins différents des autres tranches d’âge. Nous distinguons trois sous-groupes : 65-74 ans, 75-84 ans et 85 ans et plus. Selon chaque sous-groupe, l’approche médicale et le but de la prise en charge diffèrent. Il en est de même de l’agressivité des traitements et de la performance demandée. En fait, plus la personne avance en âge, plus notre approche devient globale et centrée sur le patient, et non sur la maladie. Notre but consistera ainsi à préserver l’autonomie de la personne et non pas à guérir la maladie. Prenons à titre d’exemple le cas d’un patient de 77 ans avec une hypertension. Le but n’est pas uniquement de soigner l’hypertension, mais d’évaluer la situation du patient sur le plan psychique, mental, sociétal, etc. Nous chercherons ainsi à savoir s’il suit avec rigueur le traitement, s’il peut voir, s’il peut comprendre ce que nous lui disons, s’il a quelqu’un dans son entourage pour l’assister... C’est suite à une évaluation globale de sa situation que nous déciderons du traitement médical à suivre. Cette approche globale est importante pour garantir le minimum nécessaire pour une bonne prise en charge, un bon suivi du traitement et de bons résultats.
Si, par contre, nous nous trouvons devant une personne de 70 ans, toujours active, bien portante et qui présente quelques petites maladies bien contrôlées, le traitement médical est souvent agressif. Dans ces cas, nous appliquons en général les mêmes critères et les mêmes directives que chez une personne plus jeune.

Le but sera donc celui de guérir le malade ?
Oui. Il n’en reste pas moins que l’évaluation gériatrique est toujours nécessaire, mais elle n’est pas très fructueuse lorsque la personne est en bon état de santé. Ce sont les personnes âgées fragiles et sujettes à des problèmes à répétition qui ont le plus besoin d’une évaluation globale, parce qu’en plus de leur maladie, elles présentent plusieurs autres petits problèmes. Si ceux-ci ne sont pas pris en compte, le traitement va échouer dans son ensemble et non pas au niveau du résultat immédiat de l’acte médical. Si, à titre d’exemple, nous soignons une fracture de hanche, l’os va être consolidé, mais si les aspects psychologique, mental, nutritionnel et social du patient ne sont pas évalués, si on ne s’enquiert pas de l’endroit où il sera admis pour la convalescence, le résultat global va être médiocre, bien que la chirurgie en tant qu’acte médical va réussir.

Quelles sont les maladies spécifiques aux personnes du troisième âge ?
Au niveau mental, nous distinguons l’Alzheimer, la crise du troisième âge qui se manifeste par une perturbation psychologique, et une dépression très fréquente et très atypique, les confusions qui surviennent suite à une chute, une infection urinaire, un changement d’environnement, une douleur non traitée... La confusion est une maladie différente de la démence et de l’Alzheimer. Il s’agit d’un syndrome très dangereux et très important qu’il faudrait bien comprendre, diagnostiquer et traiter. Si elle n’est pas bien traitée, la confusion peut entraîner une haute mortalité.
La nutrition des personnes âgées est également un volet très important qu’il ne faudrait pas négliger. Il en est de même des escarres, du déséquilibre qui se traduit par des chutes avec ou sans fractures, sachant que les chutes sans fractures sont dangereuses chez les personnes du troisième âge puisqu’elles constituent un tournant important dans leur vie. Généralement, le patient a peur de remarcher, de sortir et finit alité.

Quels sont les défis à relever au Liban pour une meilleure prise en charge des personnes âgées ?
Les personnes âgées fragiles qui présentent de nombreux problèmes et qui sont sujettes à des complications faciles ont besoin sûrement d’une prise en charge gériatrique avant et/ou avec chaque prise en charge médicale ou chirurgicale quelconque. Au Liban, nous n’avons malheureusement pas encore cette culture. Les médecins ont peur que le gériatre ne leur prenne leur patient, au moment où ce dernier n’a pas le rôle de remplacer les autres spécialistes, mais de collaborer avec eux pour une meilleure qualité de soins des personnes âgées. Il est le seul à même de comprendre les besoins de ces personnes et de définir les priorités, puisqu’il a une vision plus globale du patient.
Au niveau national, le gouvernement doit offrir aux personnes âgées les services médicaux et paramédicaux nécessaires. Lorsque nous parlons de personnes âgées au Liban, nous pensons automatiquement à celles qui sont hospitalisées ou à celles qui se trouvent dans les maisons de retraite. Or, il ne s’agit que d’une minorité, puisque la grande partie des personnes âgées vivent à domicile. Il s’agit donc de réponde aux besoins de ces personnes pour les maintenir à domicile avec une situation a minima décente et leur offrir les services de santé nécessaires.
Avec les changements démographiques qui se font au Liban, le nombre des personnes âgées devient de plus en plus nombreux. Le nombre de celles qui vivent seules également augmente. Nous avons donc intérêt à offrir des services à domicile pour les personnes âgées. Le ministère de la Santé doit pour sa part avoir une politique éclairée envers les personnes âgées, parce qu’il ne s’agit pas uniquement de couvrir le prix des médicaments ou les frais hospitaliers, mais d’assurer une prise en charge globale sur tous les niveaux.
Au niveau de l’enseignement par ailleurs, la gériatrie doit être intégrée dans le cursus universitaire des facultés de médecine, des écoles d’infirmières, des kinés, etc.

Quand faut-il consulter un gériatre ?
À partir de 65 ans, indépendamment de ce qu’on souffre, parce que la gériatrie offre la médecine préventive. Encore une fois, le gériatre ne veut pas remplacer une spécialiste, mais il veut collaborer avec lui. Les personnes âgées de la première catégorie (65-74 ans), toujours actives et en bonne santé, peuvent consulter directement le spécialiste. Toutefois, les personnes âgées fragiles bénéficient plus avec un gériatre qu’avec un spécialiste.