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« Les maronites et la France » font toujours couler de l’encre

Le père Youakim Moubarak ou le « génie de la libanité » 

De gauche à droite : Neemat Frem, Annie Laurent, Olivier Germain-Thomas et Maya Ghosn.

La 4e table ronde, modérée par Maya Ghosn, conseil en management et en communication, a posé les questions suivantes : que signifie être maronite aujourd’hui ? Comment les maronites peuvent-ils concilier leur ancrage identitaire et leur appartenance citoyenne dans les pays d’accueil ? Que peut découvrir un Occidental au contact ?
Sur cette dernière question, l’écrivain et journaliste Olivier Germain-Thomas a répondu en rendant un hommage particulièrement émouvant au père Youakim Moubarak, « un homme qui a changé ma vie ». Curé de Saint-Séverin pendant plus de 18 ans, écrivain, penseur, théologien, secrétaire général du patriarcat maronite, inspirateur du synode maronite, le père Moubarak a exercé « une influence considérable sur un grand nombre de spirituels, de penseurs, d’écrivains et d’artistes en France », tous également « touchés par sa lumière spirituelle ». Précisant que ce prêtre maronite hors du commun « a énormément fait pour montrer la force de la maronité au sein des Français » grâce à son charisme personnel, Germain-Thomas a rappelé le rôle important qu’il a joué sur le plan politique, étant en contact avec toutes les communautés, y compris druze et chiite. « Il a porté le génie de la libanité, qui consiste à pouvoir être soi-même partout, en restant fidèle à ses racines. » L’écrivain français a souligné l’importance de l’œuvre du père Moubarak dans le dialogue islamo-chrétien. Dans les dernières années de sa vie, à travers ses cours donnés à Louvain-la-Neuve ou dans ses conversations, Moubarak semblait attiré par la mystique de l’Inde, et notamment par le père Montchanin, lequel avait fondé une sorte d’ashram dans le sud de l’Inde, lieu de dialogue entre les chrétiens et les hindous. Le père Moubarak, a poursuivi le conférencier, était très intéressé par les églises malabares et malankares, et son désir à la fin de sa vie était d’y aller retrouver ces premières églises chrétiennes dont il se sentait proche. Il voulait « ouvrir une brèche dans l’abrahamisme », en rencontrant ces églises, porteuses d’un patrimoine syriaque antique, et établir un dialogue avec la grande mystique de l’Inde. Germain-Thomas a souligné que le père Moubarak fut un exemple de ce destin de la maronité, qui est celui du dialogue et de l’ouverture, sans jamais abandonner ses propres racines. Il a conclu en lisant un très beau texte du prêtre maronite visant à illustrer la force de sa conviction et de sa foi.
L’industriel libanais Neemat Frem, à la fois président de l’Association des industriels libanais et vice-président de la Fondation maronite dans le monde, homme engagé dans l’Église et la société libanaise, a développé pour sa part les causes et les effets de l’émigration libanaise et chrétienne, et expliqué les moyens mis en œuvre par la fondation pour en contrer les conséquences négatives. Soulignant la contribution économique des émigrés au pays, il a précisé que « le Liban compte le niveau le plus élevé de revenus envoyés par les émigrés au pays par habitant, soit 7 milliards de dollars par an, ce qui représente en moyenne 1 350 dollars par habitant ». Cependant, l’émigration des jeunes gens, dont l’âge varie entre 25 et 35 ans, a créé un déséquilibre démographique structurel, a-t-il déploré, énumérant aussi, parmi les maux d’un tel exode, la perte des compétences, la rupture des liens avec les émigrés de seconde génération, et l’oubli de la langue maternelle, le délitement des valeurs familiales, la stagnation des campagnes et le dépeuplement des zones rurales. Il a dressé un tableau alarmant de la situation démographique des chrétiens du Liban, dû au fait que les émigrés n’inscrivent plus leurs naissances et leurs mariages dans les registres de l’État libanais. Ainsi, d’après les registres au Liban, 75 % des Libanais mâles seraient célibataires au Liban du fait du non-enregistrement des mariages. Tenter de combler ces lacunes et de redresser la barre constitue le corps du travail de la Fondation maronite dans le monde, a soutenu Frem. Chiffres à l’appui, il a noté que « l’équilibre démographique au Liban, si essentiel à notre existence et à l’harmonie de la mosaïque interne, a été structurellement ébranlé ». L’émigration a réduit le nombre des chrétiens inscrits sur les registres de l’État civil libanais de 75 % au début du XXe siècle à 34,9 % aujourd’hui, dont 19 % de la communauté maronite. Il y aurait au moins 1,6 million d’expatriés non inscrits à l’État civil. Estimant que c’est « presque un sacrilège de laisser les générations de la diaspora maronite perdre le lien avec la mère patrie », Frem devait exprimer la « grave inquiétude de la Fondation maronite dans le monde au regard de ces chiffres, surtout que nous sommes à l’aurore d’une ère nouvelle, où la culture et les droits des minorités seront de plus en plus mis en évidence ». Et de poursuivre : « Si le XXe siècle a vu l’expansion monumentale de l’uniformisme, le XXIe siècle verra la réémergence de la richesse dans la diversité culturelle, religieuse, philosophique et même identitaire. L’art de construire des entités et des systèmes harmonieux et cohérents tout en préservant les grandes palettes de cultures, de valeurs, et de trains de vie sera finalement maîtrisé. Ainsi le Liban, pays de diversité et de pluralisme, pays de confrontation et de coexistence, jouera toujours le rôle de laboratoire du futur. Ce rôle, nous l’avons payé très cher ».
Pour toutes ces raisons, a poursuivi Frem, la Fondation maronite dans le monde cherche à aider les Libanais de la diaspora à réclamer officiellement la nationalité libanaise et à exercer des pressions en ce sens sur le gouvernement et le Parlement afin de les inciter à promulguer des lois qui faciliteraient les procédures de récupération de la nationalité. « À la Fondation maronite, nous croyons fermement que la diaspora libanaise doit faire partie de notre vie économique, sociale, culturelle et politique », a-t-il ajouté. « Nous avons besoin d’elle pour stimuler l’exportation, ouvrir les marchés, investir dans l’industrie, l’agriculture, le secteur privé et le tourisme. » Et, concluant un exposé qui fut un moment fort du colloque, il a énuméré, sous les applaudissements de l’auditoire, ce qu’il a appelé « les dix commandements de l’émigré » afin, dit-il, « que ce nouveau siècle nous soit un peu plus clément que le dernier ».
Pour aborder la question de la participation des catholiques orientaux à la mission universelle de l’Église, Annie Laurent était la personne indiquée. Ayant participé en qualité d’experte au synode sur les chrétiens du Moyen-Orient en octobre 2010, sympathisante notoire des chrétiens d’Orient et des maronites en particulier, dont elle défend le rôle crucial dans la région et dans le monde, dans ses ouvrages et ses conférences, elle a d’abord rendu hommage au père Michel Hayek qui l’a initiée à l’histoire des maronites. Selon elle, « l’Église maronite bénéficie de trois atouts : sa catholicité ancienne et intégrale, qui lui a fait développer des liens très importants avec la France et Rome, d’où sa propension à l’universalité ; une relation avec les autres Églises catholiques non entachée par un complexe de séparatisme ou de scissions survenues en son sein ; une présence importante des maronites partout dans le monde et une capacité d’intégration exceptionnelle dans les pays d’accueil ». « Par leur ouverture, les maronites ont déjà rejoint une dimension universelle, certains font partie des missions latines en Orient (carmes, jésuites...). En Occident, des prêtres maronites servent aussi dans des paroisses latines. »
Les catholiques orientaux doivent-ils pour autant renoncer à leurs traditions d’origine quand ils s’installent dans la diaspora ? La conférencière indique que le synode à Rome a plaidé pour une meilleure connaissance du catholicisme oriental par les latins (respect de leur propre rite, formation adaptée dans les séminaires ). De plus, les pères synodaux ont préconisé l’extension des juridictions patriarcales sur leurs fidèles établis hors du territoire historique, d’autant plus que ce nombre va croissant, dépassant celui des fidèles restés au Proche-Orient. À la Toussaint 2010, le cardinal archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois, aurait même demandé aux évêques de France de voter une motion tendant à la création d’un diocèse maronite pour l’Europe.
En conclusion, Annie Laurent devait appeler à ne plus parler de minorités mais de communautés. « Les chrétiens ne peuvent pas militer pour des États ghettos, ils ont une mission universelle d’ouverture et doivent se mettre au service de tout le monde », conclut-elle. « Les catholiques ne cherchent pas la Jérusalem terrestre, mais ils doivent semer les valeurs du royaume de Dieu là où ils se trouvent. »
Le mot de clôture du colloque devait être prononcé par l’avocat Fouad Boustany, membre du conseil d’administration du CMDR-France, au bout d’une journée réussie en tous points et entrecoupée d’un déjeuner au restaurant du Sénat.
La 4e table ronde, modérée par Maya Ghosn, conseil en management et en communication, a posé les questions suivantes : que signifie être maronite aujourd’hui ? Comment les maronites peuvent-ils concilier leur ancrage identitaire et leur appartenance citoyenne dans les pays d’accueil ? Que peut découvrir un Occidental au contact ? Sur cette dernière question, l’écrivain et...