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Liban

Angelina Eichhorst : Aller vers l’autre et lutter contre les injustices

L’ambassadrice Angelina Eichhorst est depuis dix mois chef de la Délégation de l’Union européenne au Liban. C’est la première fois que ce poste est occupé par une femme à Beyrouth. Dans un entretien avec « L’Orient-Le Jour », cette féministe par excellence a parlé notamment de son parcours de diplomate. Même si elle n’a jamais été elle-même victime de discrimination, elle veut lutter contre les injustices qui touchent notamment les femmes.

À Beyrouth, Angelina Eichhorst entourée de trois ambassadrices de pays européens : à gauche, Francis Guy (Royaume-Uni), Birgitta Siefker-Eberle (Allemagne) et Eva Maria Ziegler.

Dynamique et calme, la poignée de main chaleureuse, pesant ses gestes et mots, Angelina Eichhorst est une femme de caractère. C’est aussi une bucheuse qui a réussi à faire carrière et qui ne s’est jamais positionnée en tant que femme diplomate, mais qui se juge et juge les autres sur leurs qualités humaines.
Originaire des Pays-Bas, ayant grandi près de Maastricht, ville qui a donné son nom au traité instituant l’Union européenne, à la frontière de la Belgique et de l’Allemagne, s’intéressant aux cultures du Moyen-Orient et ayant une curiosité pour « aller vers et comprendre l’autre », Angelina Eichhorst a choisi donc naturellement une carrière de diplomate au sein de l’Europe. « Je viens de la partie la plus européenne des Pays-Bas, où les trois frontières s’entrecroisent ; la maison de mes parents était à quelques kilomètres de la frontière allemande et belge, et près de la ville de Maastricht », explique-t-elle, ajoutant que le métier qu’elle exerce lui a « demandé beaucoup de travail et de persévérance. Être diplomate vous oblige à parler, débattre, discuter, et dialoguer. »
Féministe par excellence et luttant contre toute forme de discrimination à l’encontre des femmes, Mme Eichhorst note cependant qu’elle n’a jamais été durant sa carrière victime d’une injustice due à son statut de femme. Cela ne l’empêche pas d’être très sensible aux problèmes qui peuvent se poser aux personnes du sexe dit faible : « Les femmes doivent pouvoir vivre en sécurité et la pire injustice, c’est celle de ne pas avoir le choix », dit-elle. « Dans la diplomatie européenne, nous représentons des valeurs qui me tiennent très à cœur : la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et le respect des droits de l’homme. Personnellement, j’ajouterais à cela la justice », ajoute-t-elle.
Est-ce qu’il lui a été difficile de faire ses preuves par rapport aux hommes du corps diplomatique ou vis-à-vis de l’administration européenne ?
« C’est un fait regrettable qu’en tant que femme, nous sommes considérées différemment. Vous faites face à des stéréotypes : une femme doit être belle, bien habillée et doit, de préférence, être aussi une bonne épouse et une bonne mère. En tant que patron, elle ne doit être ni trop dure ni trop exigeante, etc. Tous les aspects sont considérés différemment, avec des normes différentes de celles utilisées pour un homme. C’est un fait, et vous devez y faire face, que cela vous plaise ou non. Vous pouvez vous plaindre, mais cela ne vous aidera pas. Vous devez agir en étant vous-même, en continuant à lutter contre les stéréotypes et en le montrant par votre travail. Pour moi, travailler avec des hommes ou des femmes est identique, seule la personne compte », affirme-t-elle.
« Personnellement, je ne me sens pas traitée différemment par mon institution parce que je suis une femme. J’appartiens à une génération un peu plus jeune et je peux bénéficier des gains obtenus par les hommes et les femmes avant moi dans la lutte contre les inégalités. Beaucoup de femmes avant moi n’ont pas eu la chance d’accéder à certains postes. Aujourd’hui, cela est plus facile, mais c’est certainement dû au fait qu’au plus haut niveau, des hommes et des femmes sont conscients que les droits de l’autre moitié de la population doivent être respectés. Moi-même je ne cesserai certainement jamais de parler de l’inégalité », note-t-elle.
Angelina Eichhorst, qui parle couramment l’arabe, s’est spécialisée en langues et cultures du Moyen-Orient. Elle détient des diplômes en droit international, en droit de l’homme et en droit des organisations internationales. « J’ai étudié la région parce que celle-ci attisait ma curiosité, mon intuition. Et je sentais une volonté d’œuvrer pour un changement en moi, dans mon entourage et dans le monde. C’est aussi la recherche de la rencontre avec l’autre », explique-t-elle. Et c’est justement l’intérêt qu’elle porte à cet « autre » qui la mènera au début de sa vie professionnelle au Caire, avant de rejoindre, en 1996, l’Union européenne, où elle a été en poste en Jordanie, en Syrie et maintenant au Liban.
« J’ai écrit ma première thèse sur la littérature des femmes en Égypte. Ma seconde, un peu plus tard, portait sur le rôle de l’OTAN dans la région. J’ai été et suis toujours autant intriguée par l’importance de se sentir en sécurité, qui est le droit de tout citoyen. J’ai toujours senti qu’ « être libre de la peur » vient, en premier lieu, avant toute autre liberté. Et jusqu’à présent, au Moyen-Orient et ailleurs beaucoup de femmes ne sentent pas qu’elles vivent en sécurité », indique-t-elle.
Mme Eichhorst, qui est arrivée à Beyrouth alors que le pays n’avait pas de gouvernement, a été tristement surprise de voir qu’en juin dernier le cabinet ne présentait aucune femme. « D’ailleurs j’en ai fait la remarque au Premier ministre Nagib Mikati et je ne me lasserai jamais de le faire », dit-elle, résolue. « Il était décourageant de voir que le nouveau cabinet ne comportait pas de femmes ; le nombre de femmes au Parlement devrait certainement être augmenté et j’espère que la nouvelle loi électorale parviendra à ce résultat », ajoute-t-elle.
Interrogée sur les problèmes les plus pressants touchant les femmes au Liban, la chef de la Délégation de l’Union européenne souligne dans ce cadre qu’elle a « rencontré beaucoup de femmes, dont nombre d’entre elles ont réussi, sont actives et créatives, et combinent à merveille leurs vies professionnelle et personnelle. Mais il y a aussi beaucoup trop de femmes, libanaises et étrangères, qui sont exclues de tout processus de développement, et un grand nombre d’entre elles ne peut même pas bénéficier des droits les plus élémentaires. Il y a sûrement des femmes qui se battent pour leurs droits et leur statut. Ce qui manque au Liban, ce sont des femmes au niveau de la prise de décision politique. Je pense aussi que les jeunes filles et jeunes femmes libanaises voudraient voir de vrais modèles, des exemples à suivre. »
À la question de savoir qu’est-ce qui pourrait être entrepris pour améliorer la situation des femmes au Liban, Mme Eichhorst note que « sur le plan juridique, le Liban devrait lever les réserves sur la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw), comme l’ont déjà fait plusieurs pays de la région (Jordanie, Irak, Maroc).
L’égalité ne peut pas être obtenue avec des réserves. Toutes les lois qui portent en elles un germe de discrimination devraient être réformées, notamment sur les questions pour lesquelles la société civile libanaise lutte depuis très longtemps, à savoir la loi sur la nationalité, l’adoption d’un code civil commun à toutes les communautés religieuses libanaises (héritage, divorce, garde des enfants...) ; il faudrait aussi que le Parlement approuve la loi sur la violence domestique familiale. Sur le plan politique, il serait opportun dans un premier temps d’imposer un quota pour les femmes dans la prochaine loi électorale. Le quota serait imposé de manière transitoire pour encourager les femmes à se présenter aux élections, car le Liban est parmi les pays qui ont la plus faible participation féminine à la vie politique. En outre, une culture de l’égalité devrait être édifiée parmi les couches de la société libanaise et devrait être intégrée dans les cursus de l’enseignement, en commençant par le primaire. Faire la lumière sur les réussites des femmes libanaises, nombreuses à tous les niveaux, constituerait également une valeur ajoutée. »
Évoquant sa propre enfance, elle souligne : « Mon père n’a jamais, à aucun moment, fait de différence entre ses filles et son fils. Nous avons tous eu la même éducation, des valeurs fortes. Il voulait que j’étudie afin de devenir une citoyenne du monde responsable et être indépendante. »
Invitée à raconter des histoires pertinentes sur ses missions, surtout qu’elle a travaillé dans des pays du Moyen-Orient où l’on n’est pas habitué à voir des femmes diplomates, Mme Eichhorst note qu’elle a été très surprise une fois quand un homme dans un village ne lui a pas serré la main. « J’ai été vraiment choquée, je n’avais connu ça nulle part auparavant, pas même au Yémen, où j’avais l’habitude d’aller visiter les villages les plus reculés. Serrer la main est un concept très profondément ancré là d’où je viens : mon père a très tôt pris l’habitude de m’apprendre à serrer la main de façon ferme comme signe de premier contact », affirme-t-elle.
Angelina Eichhorst, qui est mère de deux enfants, une fille et un garçon, et qui a un emploi de temps surchargé, consacre tout son temps libre à sa famille.
Dynamique et calme, la poignée de main chaleureuse, pesant ses gestes et mots, Angelina Eichhorst est une femme de caractère. C’est aussi une bucheuse qui a réussi à faire carrière et qui ne s’est jamais positionnée en tant que femme diplomate, mais qui se juge et juge les autres sur leurs qualités humaines. Originaire des Pays-Bas, ayant grandi près de Maastricht, ville...

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