Rechercher
Rechercher

À La Une - Rencontre

Rawi Hage, portraitiste cinglant de l’absurdité de la guerre

Auréolé du succès foudroyant de « De Niro’s Game » (2006), traduit en vingt langues et couronné de nombreux prix dont le prestigieux Impac Dublin Award en 2008, l’auteur libano-canadien Rawi Hage effectue un retour aux sources et aux racines (de son écriture) à l’occasion du Salon du livre francophone.

Un jeune homme provocateur nommé Rawi Hage. Milosz Rowickj/House of Anansi Press

Autant le préciser tout de suite: Rawi Hage le bien-nommé (Rawi veut dire conteur en arabe) ne fait pas dans la dentelle. Pas d’insouciance ou de joie de vivre dans ses écrits non plus. Son style? Un percutant mélange de symbolique, de philosophique, de poétique, le tout trempé dans une encre acide et cynique. Noire. Tout comme sa chemise et son pantalon. Presque comme ses yeux, aux reflets chocolat. Une apparence plutôt BCBG (au risque de le faire hurler), sage, réservé, un peu timide sur les bords, qui ne dénote ni l’irrévérence de son écriture ni certains épisodes de sa vie où il aurait eu à bouffer de la vache enragée (dans une autre vie, il a «fait» plusieurs petits boulots, avant de devenir serveur, puis chauffeur de taxi). Car le jeune homme semble avoir aussi maîtrisé l’art du sourire dans la douleur, un art appris en traversant un siècle de tragédies. Amoureux de la conversation (bien qu’il avoue préférer écrire plus et se soumettre moins aux «interviews marketing»), il cultive l’humilité.
Il a quitté le Liban à l’âge de 18 ans. New York, d’abord, où il a résidé pendant neuf ans. C’est là, avec le New York Times d’abord, «pour avoir des nouvelles de mon pays et de ma famille», puis à travers ses lectures de plus en plus voraces, que l’ancien élève de l’école de La Sagesse apprend l’anglais. À la fin de ce séjour, il entreprend des études en photographie au New York Institute of Photography. En 1991, il émigre à Montréal, pour obtenir un diplôme en arts du College Dawson puis un baccalauréat en arts plastiques de l’université Concordia. Après des débuts dans la photo, il se lance dans le travail de scribe. À l’origine un projet de «short story», dans lequel il avait envie de retranscrire des souvenirs de guerre à Beyrouth, De Niro’s Game est devenu au final un travail romanesque de satire outrancière et guerrière. Ou l’histoire de deux adolescents postpubères se prenant aux nombreux et scabreux jeux de la guerre. L’un, Bassam, la traversant comme un étranger incrédule à tout ce qui s’y trame. Et l’autre, Georges (le fameux De Niro), un pur «az3ar», un voyou des rues devenu milicien, dealer et assassin, entre autres (pour ne pas gâcher le suspense). Ces amis d’enfance perdent leurs repères et finissent par jouer leur vie à la roulette russe, comme le fait De Niro dans Deer Hunter.
C’est pas gai, certes, mais c’est drôle parfois. Et c’est aussi une catharsis douloureuse pour les lecteurs libanais, Hage ayant choisi pour toile de fond des épisodes très traumatiques: le combat des rues, l’invasion israélienne, les massacres de Sabra et Chatila. Non, il ne dirige pas un doigt accusateur dans son récit. Il relate des faits, en romancier et non pas en journaliste qui se soucierait d’objectivité, ou de «6 x 6 au carré». Raconter sa vie, justement, tel semble être, à première vue, le sujet de son dernier livre Cockroach (Le Cafard), qui pourrait être comme une suite au premier mais ne l’est pas, et où transparaît la passion de l’auteur pour les ténèbres humaines. Hage attend la question. «Alors, ce roman qui raconte l’histoire d’un émigré déprimé dans les rues glacées d’une ville d’Amérique du Nord, c’est une autobiographie?» Sourire. «Allez, qu’est-ce qui est vrai? Ou inventé? Dans De Niro’Game aussi?» Hage fronce le sourcil durant quelques instants puis regarde son interlocuteur d’un air indulgent: «Ça, ne comptez pas sur moi pour vous le révéler.» L’aveu est clair, c’est bien un roman et non, comme certains l’ont cru, une autobiographie. Si l’on tient vraiment aux étiquettes, on dira que ses romans appartiennent au genre dit «autofiction». Que les scènes soient vraies ou fausses, rapportées ou inventées, les lecteurs découvriront des épisodes parfois choquants de la guerre libanaise. Ceux qui n’ont guère apprécié De Niro’ ou qui ont été troublés par ce roman seront subjugués, tout simplement. Une chose est sûre: ce roman ne vous laissera pas tel que vous étiez avant de l’avoir ouvert. Et si ce n’est pas cela que vous demandez à la littérature, alors vous pouvez toujours lire le dernier Marc Levy.
Adulé des uns, méprisé par les autres, l’écrivain libano-canadien aura signé là une œuvre déjantée et géniale, portrait cinglant de l’absurdité de la violence et, accessoirement, meilleur roman d’un jeune homme provocateur nommé Rawi Hage.

* Invité au Liban par l’ambassade du Canada, Rawi Hage participe le lundi 31 octobre à une conférence intitulée « Mémoire et liberté : écrire un nouveau chapitre » à la salle Gibran, en présence de l’ambassadrice du Canada, Mme Hilary Childs-Adams. La conférence sera suivie d’une réception et d’une séance de signature de l’auteur au stand de la librairie el-Bourj.


** Rawi Hage anime par ailleurs une causerie pour le AUB Book Club, le mardi 1er octobre, à l’auditorium B du West Hall de l’Université américaine de Beyrouth, à 18h30.

Autant le préciser tout de suite: Rawi Hage le bien-nommé (Rawi veut dire conteur en arabe) ne fait pas dans la dentelle. Pas d’insouciance ou de joie de vivre dans ses écrits non plus. Son style? Un percutant mélange de symbolique, de philosophique, de poétique, le tout trempé dans une encre acide et cynique. Noire. Tout comme sa chemise et son pantalon. Presque comme ses yeux, aux...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut