phrénie : être à la fois un village d’Astérix et un phare universel ; à la fois un espace où les querelles de clochers inter et intracantons prime(ro)nt toujours sur n’importe quel événement mondial et une usine où le bon (le chocolat et le fromage), le beau (la démocratie et les droits de l’homme) et le smart (les finances et l’industrie) se réinventent en permanence et réévoluent vers un nirvana aux limites toujours plus élastiques. Un modèle d’autarcie et d’expansionnisme, scruté, haï, admiré, envié. Robinson Crusoë et Guillaume Tell.
La Suisse votait hier. On l’attendait encore plus à droite, on la voyait, enfin décomplexée, vaniteuse, gourgandine et furieusement frigide, s’en aller flirter avec l’Italien Umberto Bossi et sa cravate verte, avec l’Allemand Udo Voigt et sa fascination de la petite moustache, avec l’Autrichien Heinz-Christian Strache en toy boy de Jorg Haïder, avec le Belge Filip Dewinter et son Bye Bye Belgium, avec la Française Marine Le Pen et ses silicones. On la pensait, cette Suisse, sclérosée jusqu’aux rétines et jusqu’aux tympans, déterminée à marcher encore et encore vers ses aurores brunes, et, engoncée dans un égotisme stérile, des intolérances stériles et des peurs stériles, se suicider tout doucement, presque gentiment.
Les Suisses ont dit non. La première formation politique du pays, l’Union démocratique du centre, se prend une claque. Rien de bien retentissant, vraiment ; mais cela ne s’était ni fait ni envisagé depuis vingt ans. Les verts libéraux et les bourgeois sourient. Les autres, aussi. Charles Pictet de Rochemont sourit. Parce que c’est beau, c’est bon, et c’est smart : à l’heure où l’Union européenne joue carrément son avenir, à l’heure où cette UE qui ressemble, de ce bunker alpin, à un satellite de Mars, risque cent et une nouvelles guerres de Kappel ou de Villmergen, tout le monde pensait que la Suisse, maintenant qu’elle a tout, qu’elle est pratiquement la seule à tout avoir, ne cherchait plus qu’à se calfeutrer, loin, le plus loin possible de la Grèce, le plus loin possible de cette hideuse abolition des frontières, le plus loin possible des bruits et des odeurs d’une immigration-virus, le plus loin possible d’un collectif, quel qu’il soit, le plus loin possible, donc, du monde.
En disant (très poliment) non à Christoph Blocher et à Toni Brunner, en snobant leur marketing-armageddon à coups de campagnes publicitaires follement créatives mais d’une violence et d’une xénophobie inouïes, les Suisses viennent, mine de rien, sans le savoir, peut-être sans le vouloir, d’asséner une leçon de politique aux Européens. Eux qu’on ne disait focalisés que sur la (toute petite) politique, les voilà en plein dans le politique : inconscient peut-être, le geste est ample, et l’Alleingang balayée, du moins pour l’instant.
Les Suisses ont vécu en ce dimanche d’octobre une belle tentation de Venise. L’€, ce symbole satanique, le dôme turquoise d’une mosquée ou la shinbashira d’une pagode, l’autre en général, ne sont peut-être pas aussi monstrueux que cela. Les Danois et les Norvégiens ont commencé à le comprendre, les Helvètes sont sur la bonne voie.
Sauf s’ils se mettent en tête, on ne sait jamais avec eux, ils s’ennuient parfois tellement, de devenir le Liban de l’Europe.
commentaires (12)
Madame Michèle Aoun, je vous remercie pour votre amabilité. Vous êtes très gentille WA ARIBÉ KTIR 3L ALB. Tous, dans ce forum, sommes de bonne foi. Je n'en ai aucun doute. Merci et salutations cordiales. Anastase Tsiris
Anastase Tsiris
13 h 45, le 25 octobre 2011