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Symbolique, la demande d’adhésion palestinienne à l’ONU est une arme à double tranchant - Proche-Orient

Symbolique, la demande d’adhésion palestinienne à l’ONU est une arme à double tranchant

La demande d’adhésion d’un État palestinien aux Nations unies soulève maintes interrogations. Quels en seraient les conséquences, les bénéfices ? Les réactions d’Israël ? Et surtout, cette demande pourra-t-elle relancer les négociations de paix qui sont au point mort ? Des experts se penchent sur ces questions pour « L’Orient-Le Jour ».

Un moment historique... Mahmoud Abbas brandissant devant l’Assemblée générale la demande d’adhésion d’un État palestinien à l’ONU. Mike Segar/Reuters

Après des semaines d’agitation diplomatique à travers le monde, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a présenté vendredi dernier la demande d’adhésion d’un État de Palestine à l’ONU. Cette demande doit maintenant être transmise pour examen au Conseil de sécurité, plus de 60 ans après le plan de partage de la Palestine.
Toutefois, si adhésion il y a, elle ne se fera certainement pas dans l’immédiat, l’examen de la demande elle-même devant prendre un certain temps avant que le Conseil de sécurité ne statue définitivement. « L’idée de gagner du temps vise essentiellement à essayer de trouver une porte de sortie pour qu’aussi bien les Palestiniens d’un côté, les Américains de l’autre, puissent sauver la face. La question de l’adhésion pleine et entière d’un État palestinien à l’ONU est encore assez lointaine », souligne Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CERI.
Selon l’expert, il faudrait se poser la question : pourquoi les Palestiniens en sont-ils arrivés à faire cette démarche ? « La logique qui a poussé les Palestiniens à formuler cette demande d’adhésion d’un État de Palestine comme membre de plein droit aux Nations unies repose sur une stratégie par défaut. Ils se sont tournés vers l’enceinte multilatérale (puisque l’ONU est par définition l’arène mondiale) parce que la stratégie bilatérale que les Palestiniens ont mise en œuvre au cours de ces 20 dernières années (depuis 1993-1994 avec les accords d’Oslo) tournait à vide, surtout depuis les années 2000, avec la deuxième intifada. Les Palestiniens ont fait une sorte d’état des lieux de cette phase bilatérale et en particulier depuis l’arrivée du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, en février 2009, pour en conclure que depuis ces onze dernières années les négociations n’avaient produit aucun résultat tangible. »

Symbole, bénéfices, conséquences
Dans l’hypothèse où l’État palestinien est reconnu par l’ONU, même comme État non membre (en ayant un statut d’État observateur comme celui du Vatican), cela permettra aux Palestiniens de participer à toutes les agences de l’ONU, notamment de recourir à la Cour pénale internationale, ayant une portée « plus que symbolique », estime Didier Billion, spécialiste du Moyen-Orient à l’IRIS. « Politiquement c’est important, puisque cette éventuelle reconnaissance donnerait aux Palestiniens la possibilité d’ouvrir une bataille juridique et donc politique sur l’illégalité du processus de colonisation », ajoute-t-il. « Ce qui pourrait compliquer la position israélienne », ajoute de son côté Rachad Antonius, professeur de sciences politiques à l’Uqam.
En outre, une autre conséquence de cette possible reconnaissance « sera d’embarrasser les Américains, qui vont s’y opposer, démontrant ainsi qu’ils ne peuvent jouer le rôle de médiateur objectif. La déclaration de Barack Obama selon laquelle les parties doivent négocier directement est ridicule : elle ignore le fait que les parties ne sont pas dans une position symétrique, ce qui explique que les négociations qui se poursuivent en gros depuis Oslo n’aient pas donné de résultat décisif. En s’adressant à l’ONU, Mahmoud Abbas remet la question palestinienne au cœur des préoccupations des Nations unies. Toute la stratégie américaine depuis les négociations de Madrid en 1991 visait à sortir la question palestinienne de la responsabilité onusienne pour la mettre entre les mains des puissances européennes, et en laissant le rapport de force entre Israël et les Palestiniens, plutôt que le droit international, être le facteur déterminant pour une solution éventuelle », poursuit M. Antonius.

 Les différentes réactions israéliennes
La grande inconnue reste néanmoins la réaction d’Israël après une probable reconnaissance internationale. « Une fraction de l’opinion israélienne est favorable à la reconnaissance de cet État palestinien, une partie de la population manifestant aujourd’hui contre la crise économique et sociale et contre l’argent qui est versé à l’armée. Si jamais il y a une reconnaissance et des négociations de paix, il y aura un rééquilibrage dans l’économie israélienne qui favorisera plus la société que l’armée », indique Jihane Sfeir, professeur de sciences politiques à l’Université libre de Belgique.
« Toutefois, cette tendance reste minoritaire, la grande conséquence étant que cette reconnaissance peut avoir un effet pervers. Mahmoud Abbas demandant de manière unilatérale auprès des Nations unies la reconnaissance de son État, cela n’empêchera en rien Avigdor Lieberman de faire la même démarche unilatérale pour légaliser les colonies ou pour entériner des résolutions en faveur d’Israël », ajoute la spécialiste. Un point de vue partagé par Alain Dieckhoff : « Si un État de Palestine était reconnu juridiquement dans les frontières du 4 juin 1967, scénario que les Israéliens (diplomates et hommes politiques dont Netanyahu) feront tout pour empêcher, plusieurs hypothèses sont possibles, notamment que l’État hébreu, délié des accords d’Oslo, puisse annexer unilatéralement certains territoires de Cisjordanie, en particulier tous ceux qui sont proches de la ligne verte. Finalement toute l’architecture institutionnelle qui a été construite depuis 1993-1994 pourrait être considérée comme n’étant plus valide pour les Israéliens. On risquerait donc d’entrer à nouveau dans une logique de confrontation, mais cette fois-ci avec l’Autorité palestinienne qui jusque-là avait été, contrairement au Hamas, un partenaire avec qui Israël discutait. »
Par ailleurs, « des sanctions économiques israéliennes peuvent être une autre conséquence qui sera ressentie, une part des aides allouées à l’Autorité palestinienne passant par l’État israélien. On peut donc s’attendre à des restrictions budgétaires de la part d’Israël à l’encontre des Palestiniens », ajoute Mme Sfeir.
Rachad Antonius estime également de son côté qu’Israël pourrait « intensifier la colonisation, ou retenir les redevances qu’il remet à l’Autorité palestinienne, ou encore s’assurer que les Américains coupent leur aide aux Palestiniens ».
« Je ne pense pas qu’il y aurait des réactions immédiates, sauf verbales, d’une dénonciation de cette reconnaissance », estime néanmoins Didier Billion.

 Une relance du dialogue ?
Dans ce contexte de brouhaha médiatique et diplomatique, finalement une question s’impose : est-ce que des négociations sérieuses pouvant aboutir à une paix entre les deux voisins vont être enfin déclenchées ?
« Dans le fond, la démarche palestinienne n’a pas pour objectif nécessairement prioritaire d’obtenir une adhésion pleine et entière à l’ONU, elle a tout autant un objectif indirect : provoquer un choc pour relancer la dynamique des négociations. Cela fait partie de la stratégie palestinienne et l’on voit bien que cette démarche a créé du mouvement, les différentes capitales mondiales s’agitent, il y a une grande mobilisation diplomatique. Nicolas Sarkozy a proposé d’aboutir à un règlement définitif d’ici à un an. Barack Obama est de son côté resté beaucoup plus vague, ne mentionnant pas de délai. Je crains que tout cela ne retombe assez vite, je ne crois pas que des négociations substantielles puissent reprendre. De plus, en déclarant que même en cas de reprise des négociations, il n’y aurait pas de nouveau gel de la construction des colonies, Benjamin Netanyahu a envoyé un mauvais signal. Tout cela risque d’accroître l’amertume générale, en particulier celle des Palestiniens », estime Alain Dieckhoff, auteur de l’ouvrage Le conflit israélo-arabe. « Déjà le pari de mettre en place un État palestinien est controversé. Tous les États ne sont pas d’accord, notamment les États-Unis qui vont imposer leur veto. Le gouvernement israélien actuel ne veut pas aller vers la paix. On est donc dans une impasse, indique également Jihane Sfeir.
Par ailleurs, « la société palestinienne est elle-même divisée politiquement et géographiquement. On a deux Palestine : une en Cisjordanie (Autorité palestinienne) et l’autre à Gaza sous le contrôle du Hamas qui reconnaît du bout des lèvres l’Autorité palestinienne, ajoute Mme Sfeir, ne croyant pas à une reprise des négociations. De plus, la spécialiste est sceptique quant à l’aventure new-yorkaise de Mahmoud Abbas. Elle y voit une tentative plus symbolique de l’OLP, soucieuse de préserver ses intérêts matériels. C’est plus un exercice juridique international pour aboutir à la concrétisation d’un symbole qui est l’État palestinien et qui reste quelque part une coquille vide ».
Le pessimisme pointe également du côté de Rachad Antonius qui ne croit pas que « le choc actuel changerait réellement le rapport de force. Tout au plus, il va déranger temporairement les Américains. Tant que ces derniers ne décident pas de faire des pressions sérieuses et douloureuses sur Israël (par exemple, arrêter l’aide de trois milliards de dollars), il n’y aura pas de paix acceptable pour les Palestiniens. Or, la politique locale des États-Unis ne permet pas d’envisager un tel scénario ».
« Les Israéliens ont une sacrée capacité de résistance à tout processus réel de négociation et il est évident », affirme pour sa part Didier Billion, pour qui une éventuelle reconnaissance d’un État serait un levier dont les Palestiniens pourraient bénéficier pour mettre en œuvre un processus de négociations digne de ce nom. L’expert de l’IRIS n’accepte cependant pas « l’argutie israélienne et américaine consistant à dire que la proclamation d’un État de Palestine doit être le produit de négociations. Le seul petit problème est justement que les Israéliens ne veulent pas négocier, donc si on suit Obama, il n’y aura jamais d’État de Palestine. À l’inverse, la proclamation d’un État donnerait certaines possibilités supplémentaires d’engager des négociations ».
« Il ne faut pas se contenter de se rencontrer une fois à New York sous le feu des projecteurs des médias, il s’agit de se mettre autour d’une table avec des dossiers par séquences (frontières, colonies, droit au retour, eau, frontières de Jérusalem...), c’est de cette manière que se font les négociations », conclut M. Billion.
Après des semaines d’agitation diplomatique à travers le monde, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a présenté vendredi dernier la demande d’adhésion d’un État de Palestine à l’ONU. Cette demande doit maintenant être transmise pour examen au Conseil de sécurité, plus de 60 ans après le plan de partage de la Palestine.Toutefois, si adhésion il...