Après les deux tours de 2001, ce sont les régimes dictatoriaux laïcs arabes qui s’effondrent l’un après l’autre depuis le début de 2011. Beaucoup de documents et d’émissions ont été réalisés à l’occasion de cette commémoration et à la lumière des bouleversements récents dramatiques en Orient.
Le Monde consacre un hors-série (juillet-septembre 2011) à la « Décennie Ben Laden », réparti entre quatre parties (le choc, la riposte, l’ennemi, l’après). Ce numéro décrit avec minutie le phénomène intégriste Ben Laden et el-Qaëda (la base) et son évolution qui a marqué la décennie. Un autre numéro de l’histoire (les collections numéros juillet-septembre 2011) est publié sous le titre « D’où viennent les révolutions arabes,150 ans de révolutions arabes ? » réparti en quatre chapitres (l’âge libéral, le poids de l’islam, rêve arabe et voies nationales, l’étincelle).Certes, il n’est pas question de reproduire le contenu des deux hors-série , mais de relier les deux phénomènes planétaires qui ont inauguré (effondrement des tours) et clôturé (effondrement des dictatures) cette décennie. Les deux sont le fruit de la mondialisation et mettent en avant l’archaïsme et la modernité entre l’Orient et l’Occident.
Les événements du 11 septembre 2001 ont pu être perçus comme une réaction agressive et une revendication identitaire vis-à-vis de l’Occident colonisateur, envahisseur opportuniste et même occupant, alors que les événements qui ont débuté en janvier 2011 sont apparemment une reprise en main par les peuples arabes de leur propre destin et le refus des dictatures laïques établies depuis plus d’un demi-siècle à la suite de révolutions internes (Tunisie, Égypte, Libye, Syrie) qui ont certes combattu l’intégrisme religieux, mais au prix de l’élimination violente des libertés individuelles par des régimes autocratiques féroces, corrompus et répressifs. Sans être prooccidentales, les révolutions arabes semblent s’inspirer du modèle occidental dans leurs revendications qui touchent la modernité (démocratie, libéralisme politique, mouvements de jeunes) et qui ont donné le surnom de « printemps arabe », inspiré du printemps des peuples, du printemps de Prague ou de tout printemps démocratique. Nous ne pouvons guère présumer de l’avenir de ces révolutions car tout mouvement de révolte comporte, de par sa nature même, des forces progressistes (désir de changement) et des forces réactionnaires (résistance au changement). Le changement pouvant entraîner autant une dynamique d’ouverture que de repli, l’action violente devant un présent frustrant pouvant aller vers une rupture, une fuite en avant, un nouveau départ ou un retour vers le passé. Il y a de toute manière un risque à prendre et chacun évalue, de son propre chef, l’opportunité de prendre un tel risque. Pour cela, il faudrait assumer l’idée que les événements du 11 septembre 2001 et ceux du début de 2011 font partie d’un même mouvement, l’un tourné vers le monde extérieur (choc des cultures), l’autre intérieur (dialogue des cultures), deux faces d’une même médaille, deux temps d’une même logique dont l’issue paraît encore improbable ou risquée.
Certes, le modèle occidental a apporté à l’humanité une dimension idéaliste transcendante en insistant sur les droits de l’homme et les libertés des peuples, mais également une dimension matérialiste, avec la société de consommation à outrance (vente d’armes et pillage des pays colonisés et conquis), une méconnaissance, voire parfois un mépris, des cultures autochtones. Souvent, l’Occident a pu présenter une certaine ambivalence égoïste (néanmoins trop humaine) et parfois même une duplicité relativement coupable. D’ailleurs, les décideurs occidentaux (intellectuels et politiques) ont été dépassés tant par les événements de septembre 2001 que par ceux du début de 2011. Ils ont été déboussolés par les premiers et désarçonnés par les seconds. Il ne s’agit nullement de se livrer à une critique facile mais de décrire un processus interactif et de poser une problématique adéquate, en fixant les priorités souvent subjectives et dialectiques, au cœur d’un monde mondialisé. L’Occident, après les révolutions du début 2011 et l’effondrement des régimes qui ont sévi durant plus d’un demi-siècle (avec son soutien implicite et explicite), est appelé à reconnaître et à partager. La solidarité entre l’Orient et l’Occident est indispensable. Il existe également, au cœur du système occidental, des terroristes financiers qui doivent être réprimés.
En s’attaquant au symbole du World Trade Center, les terroristes du 11-Septembre semblaient dénoncer un système féroce, une puissance arrogante, même si les victimes elles-mêmes étaient totalement innocentes.
Et soudain, dix ans après, les jeunes révoltés de 2011 sont apparus tellement assoiffés de liberté, de solidarité, de modernité que l’Occident s’y est spontanément reconnu. Les terroristes de l’an 2001 sont les mêmes que les résistants de l’an 2011, les 3 000 victimes civiles de septembre 2001 sont les mêmes que les 3 000 victimes civiles (multipliées par 10, 20 ou 30) qui sont tombées ces derniers mois en Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, et qui continuent à tomber chaque jour en Irak et en Palestine. Les dictateurs (ou leurs successeurs et descendants) sont les mêmes que ceux qui ont fait les révoltes nationalistes laïques il y a 50 ans en Tunisie (Bourguiba), Égypte (Nasser), Libye (Kadhafi) et Syrie (Assad père).
Comment des idéalistes peuvent-ils devenir des criminels cyniques (jeunes terroristes du 11-Septembre, révoltés nationalistes qui deviennent des dictateurs) ? Comment des inconnus anonymes peuvent-ils devenir des héros ?
Comment le pouvoir peut-il corrompre et la colère peut-elle faire dépasser la peur au péril de sa propre vie ? Comment des êtres rationnels peuvent-ils se livrer ou être livrés à leurs passions irrationnelles ?
Il y a toujours un passage à l’acte qui est soit dans l’accaparement une transgression narcissique, soit dans le renoncement et le partage un dépassement de soi salutaire et altruiste. Le seul moyen pour l’être humain (et les peuples) de garder son humanité, c’est par l’identification, de se réfléchir dans le regard d’autrui.