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À La Une - Bilan

Les festivals internationaux au Liban à l’heure des grands défis

2011 aura-t-elle été une année d’un bon ou mauvais cru pour les festivals internationaux ? Quels ont été les écueils, les difficultés, les contraintes affrontés par les organisateurs de ces événements festifs qui sont devenus un must de la saison estivale ?
Un bilan judicieux pourrait éclairer le devenir de ces festivals l’an prochain.

Nora Joumblatt.

Problèmes de programmation, de logistique (routes et dates), de finances : voilà le menu au programme annuel des festivals. Mais, comme tout miracle libanais, les responsables parviennent chaque fois à détourner ces difficultés en usant de maintes astuces.

Arida : Un contexte difficile
À tout seigneur tout honneur, et c’est le Festival international de Baalbeck qui dévoile ses cartes et ses chiffres. Ce festival auquel on a reproché, cette année, d’une part, l’itinéraire imposé aux autobus et, de l’autre, son programme révisé à la baisse. « Pour le circuit, il est nécessaire, même essentiel, dit May Arida, à la tête de ce festival depuis plus de cinquante ans, de faire un petit détour et visiter la ville de Baalbeck. Après tout, c’est la ville d’accueil. » Acceptant chaleureusement toute critique et faisant part de ses craintes, la présidente de ce festival dit avoir connu des années encore plus difficiles, mais réussit chaque fois à s’en tirer. Après une interruption pendant les années de guerre, la dame aux cheveux d’or a permis à cet événement de remettre le pied à l’étrier et de revenir en force sur la scène internationale. Elle dit privilégier la qualité à la quantité, car les spectacles sont souvent très prestigieux. Cette année également cinq manifestations et non des moindres étaient attendues. « Boris Eifman, ballet de Saint-Pétersbourg », le « Quatuor de pianos de Gershwin », Abdel Rahman Bacha et Louis Hayes ont drainé un grand public de mélomanes. Quant à l’ouverture du festival, elle était assurée par les frères Sabbagh qui ont présenté « live » Du temps de Saladin. « Une gageure, a précisé May Arida, et un événement qui ne s’est pas réalisé depuis cinquante ans. Nous avons relevé le défi et assuré le nombre de six mille personnes pour les trois soirs. »
Quid de l’actif, du passif, des remarques ou revendications du public toujours plus exigeant. Arida n’est pas sourde à tout cela. « Je voudrais toujours assurer les meilleures conditions aux festivaliers. Je sens que c’est ma mission envers ce pays que je n’ai jamais quitté. Il m’est arrivé, dit-elle, de veiller jusqu’au bout de la nuit pour assurer, chaque fois, le transport à l’aller comme au retour de ce merveilleux piano cordialement offert par Berthe Chaghouri. Je ne peux me reposer avant que la tâche ne soit complètement accomplie. »
Par ailleurs, Baalbeck affronte des difficultés différentes des autres festivals. Une région jugée souvent à hauts risques – d’autant que cette année l’affaire de l’enlèvement des Estoniens n’avait pas été réglée à l’ouverture du festival –, ce qui a réduit le nombre des visiteurs. « Mais, s’empresse d’ajouter May Arida, je compte sur la fidélité des festivaliers qui ont encore une fois répondu présent, faisant fi des rumeurs ou des a priori. »
Par contre, un autre problème s’est invité cette année. Il y a cinq ans, l’État s’est entendu avec une société italienne, ARS Projecti, sans même aviser les organisateurs, pour réaliser des rénovations aux frais du gouvernement italien. Les travaux devraient commencer en 2012. Le projet comporte le déplacement du mur autour du temple de Bacchus, qui laissera la place à un treillis. « Nous ne pourrons plus utiliser les marches de ce temple où nous avons présenté bien de spectacles, signale Arida. Les WC à côté de la scène actuelle seront également déplacés, ce qui nous a obligés, en 2011, à dépenser 73 630 dollars pour faire un passage à l’endroit des coulisses. Cette entreprise nous a réellement accablés. » « Enfin, conclut May Arida, si l’État nous a récemment versé la subvention de 2009, nous croulons malgré tout sous les taxes. Je proposerai donc qu’on nous les abaisse pour avoir une plus grande marge d’action. »

Joumblatt : Le réel problème est financier
Pour Nora Joumblatt, le problème de financement devient très épineux et menace l’existence du festival. En effet, depuis sa création il y a vingt-cinq ans, Beiteddine s’est hissé au niveau des grands festivals internationaux et, rétorque Joumblatt : « Nous pouvons très bien nous débrouiller si on nous laissait travailler sans nous imposer de taxes supplémentaires. » « À preuve, poursuit Hala Chahine, directrice du festival, cette année, qui ne se présentait pas très bien au départ, s’est avérée une bonne édition. Nous avons réussi à enregistrer 29 000 entrées contre 36 000 en 2010 et 28 000 en 2009. »
Le schéma est simple. Selon la loi des trois tiers appliquée aux festivals, un tiers des revenus est assuré par les sponsors, un autre par la billetterie, le troisième constituant la subvention de l’État. Il n’en est pas de même pour les festivals européens. Pour Avignon, par exemple, l’État s’engage à contribuer à hauteur de 60 % du budget. Pour Nora Joumblatt, il devient inadmissible de s’endetter chaque année auprès des banques pour boucler le budget. « Car, indépendamment de la TVA, il y a la taxe sur l’impôt, celle de la Sacem, ce que nous versons pour les visas d’entrée des artistes et la part de la municipalité, souligne Chahine. On nous promet, en 2012, une taxe supplémentaire de 2 % destinée à la caisse de cotisation des artistes. » « Nous sommes en 2011, renchérit Joumblatt, et l’État n’a encore pas honoré sa part pour 2009. » La dame du Chouf va même jusqu’à proposer d’annuler cette subvention et de la compenser par l’abolition des taxes. Une idée à creuser ! Elle souligne qu’avec le temps, cet événement artistique n’a fait que renforcer les liens entre différentes couches de la population venues de toutes parts. « De plus, insiste Nora Joumblatt, nous sommes un secteur très profitable aux finances de l’État puisque nous faisons travailler une main-d’œuvre importante sans aucune contrepartie. » Cette année, par exemple, Beiteddine avait le choix, en ouverture, entre une grande production opératique et un programme local. C’est le local qui a été choisi faute de moyens.
« Certes, il y a d’autres problèmes que nous affrontons tous les ans, mais ils sont communs à tous les festivals. Notamment celui des artistes s’ils ont, par exemple, effectué une tournée en Israël alors ils sont interdits au Liban. Par ailleurs, il faut établir des contacts avec les artistes ou les producteurs un an à l’avance afin de s’assurer s’ils sont en tournée dans la région pour inclure le Liban dans leur programme, ou s’il faut leur demander de bloquer des dates précises pour nous. » « Mais ces difficultés sont contournables, reprend Nora Joumblatt. Ce qui est difficile à résoudre, c’est le problème d’ordre financier et nous attendons jusqu’à présent d’être entendu par le ministère du Tourisme afin de trouver une solution à ce problème. »

Lakkis : Une édition satisfaisante
Le Festival de Byblos, qui monte en flèche d’année en année, connaît-il les mêmes problèmes ? Latifé Lakkis, sa présidente, se plaint-elle du même traitement ? Si elle avoue n’avoir pas encore reçu la subvention promise par l’État depuis 2009, elle suppose que c’est la prolifération de petits festivals sur la scène libanaise qui est la cause de ce retard. « Nous faisons de notre mieux afin de couvrir uniquement nos dépenses, car nous sommes conscients du rôle que nous avons à jouer dans la région de Jbeil. Un rôle sur le plan culturel et artistique, mais aussi sur le plan économique. »
Cette année encore, le Festival de Byblos a prouvé qu’il était un festival jeune, éclectique, invitant autant des groupes pop et rock comme « Thirty Seconds to Mars » ou « Scorpions », que des artistes locaux comme les Rahbani. « Même si le spectacle de ces derniers a reçu cette fois un accueil mitigé, je ne connais pas un autre qui ait pu dépasser le nombre d’entrées (10 000 billets vendus) qu’il a assuré », dit Naji Baz. Le programmateur de Byblos se dit, malgré toutes les difficultés, satisfait du résultat de cette édition. « Malgré le impayés de l’État, les recettes de la billetterie ont couvert les deux tiers des dépenses, ce qui est une chance. » « Et cela, poursuit Latifé Lakkis, en prenant compte des prix très raisonnables que nous avons pratiqués pour attirer les jeunes. » Naji Baz ajoute que « si Jbeil a trouvé cette formule de spectateurs debout, ce n’est pas uniquement pour accueillir davantage de festivaliers, mais plutôt pour casser la rigidité des premiers rangs. Nous privilégions l’artiste, souligne-t-il en riant. Celui-ci a besoin de voir un public chaleureux et vivant devant lui. »
Grâce à cette politique jeune et dynamique, Byblos a vendu en 2011 plus de cinquante mille billets, ce qui le hisse au top 10 des festivals européens.
« Reste à résoudre, pour l’an prochain, ajoute Baz, le problème des dates qui sera très épineux. En effet, avec la Coupe d’Europe de football qui se déroulera de juin à juillet, la date du ramadan qui sera avancée, il nous restera à nous tous d’envisager une programmation n’excédant pas 17 jours. En étroite collaboration avec les autres festivals, gageons que nous trouverons un moyen, une fois de plus, pour nous en sortir. »

Bustani et l’autogestion
Ces problèmes-là sont étrangers à Myrna Bustani qui est la seule à organiser un festival d’hiver. Les dates de ramadan, le calendrier d’autres événements festivaliers ne perturbent pas son programme. Myrna Bustani est à son festival ce que le capitaine l’est à son bateau. Elle fait fi des intempéries et avoue n’avoir jamais rien demandé à l’État, son festival comptant sur les sponsors, les partenaires et autres amis du Bustan. Certes, les frais comportant voyages, logements, transports d’instruments de musique et surtout l’assurance des artistes, qui n’est pas négligeable, sont des montants exorbitants qui ne cessent d’augmenter. Mais la présidente du Festival al-Bustan parvient à assurer chaque année un événement de qualité qui a redonné à la musique classique ses titres de noblesse dans ce pays.
Comment donc envisager des festivals internationaux en 2012 ? Comment s’y prendraient les organisateurs lorsqu’il leur faudrait tenir compte au moins de trois facteurs importants, à savoir : la Coupe du monde de foot, davantage de taxes et les dates du jeûne du ramadan plus rapprochées, sans oublier une année scolaire et universitaire toujours en cours et des vacanciers encore à l’étranger ?
Côté dates, les organisateurs, qui préparent déjà une esquisse des programmes, se concerteront comme d’habitude pour envisager les solutions convenables pour tous.

Dans un pays qui n’a pas encore voté son budget depuis quelques années, la question des festivals pourrait paraître à certains moins prioritaire que d’autres problèmes nationaux. Alors, en l’absence d’une réelle politique culturelle de l’État, pourquoi ne pas établir, par exemple, une politique de mécénat libérée de toute contrainte administrative. Cela allègerait les organisateurs des festivals de tout problème et leur assurerait une plus grande liberté d’action.
Une proposition qui mérite
réflexion.
Problèmes de programmation, de logistique (routes et dates), de finances : voilà le menu au programme annuel des festivals. Mais, comme tout miracle libanais, les responsables parviennent chaque fois à détourner ces difficultés en usant de maintes astuces.Arida : Un contexte difficileÀ tout seigneur tout honneur, et c’est le Festival international de Baalbeck qui dévoile ses...

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