Rechercher
Rechercher

Technologies

100 ans de supraconductivité

Par Michael NORMAN*
CHICAGO – L’entreprise canadienne D-Wave Systems vient de vendre à Lockheed-Martin le premier ordinateur quantique, une machine qui utilise la magie des phénomènes quantiques pour fonctionner incroyablement plus vite que les ordinateurs d’aujourd’hui à base de puce au silicium. La qualification de « quantique » a parfois été contestée à cet ordinateur, mais ses concepteurs ont publié des articles soumis à l’examen des pairs dans des revues spécialisées qui démontrent que ce nouvel ordinateur est basé sur des bits quantiques supraconducteurs.
Ce printemps a marqué le 100e anniversaire de la découverte de la supraconductivité, la capacité d’un matériel à transporter le courant électrique sans perte. Un courant circulant dans un câble supraconducteur peut se maintenir durant des années sans baisse mesurable.
À cause de cette propriété, les supraconducteurs ont des caractéristiques uniques qui peuvent avoir de nombreuses applications. Ils peuvent supporter des intensités de courants énormes, ce qui en fait un moyen idéal pour alimenter les grandes villes en électricité. Et si on en fait des bobines, ils peuvent générer des champs magnétiques extrêmement puissants.
Les aimants supraconducteurs ont déjà de multiples applications. La plus connue étant l’IRM (Imagerie par résonance magnétique) que l’on pratique dans la plupart des hôpitaux. L’application la plus étonnante est sans doute l’énorme aimant utilisé pour accélérer les particules au sein de l’anneau accélérateur de particules du CERN, le Grand collisionneur de hadrons, utilisé pour percer les principes fondamentaux de la matière.
Malgré leur caractère très prometteur, les supraconducteurs ont des limites, la première étant que la plupart d’entre eux nécessitent une température très basse, proche du zéro absolu (-273°C). Parvenir à une température aussi basse nécessite le recours à l’hélium liquide. Aussi, en 1986, des chercheurs suisses ont fait sensation lorsqu’ils ont annoncé la découverte d’un oxyde de cuivre supraconducteur à une température deux fois plus élevée que celle du record précédent en la matière.
Peu après, aux USA, des chercheurs ont trouvé des cuprates (un matériau comportant lui aussi du cuivre) supraconducteurs à une température supérieure à celle de la liquéfaction de l’air. Ainsi que Times Magazine l’avait annoncé en mai 1987, la découverte de ces cuprates marquait le début de la révolution de la
supraconductivité.
Malheureusement, la révolution tourna court assez rapidement. Les cuprates sont très fragiles et, de ce fait, difficiles à manipuler. Cet inconvénient est exacerbé par leur forte anisotropie – une structure essentiellement formée par un empilement de couches bidimensionnelles conductrices faiblement couplées entre elles. Les cuprates constituent donc un challenge industriel, bien que quelques applications commencent à voir le jour.
Depuis l’apparition des cuprates, d’autres supraconducteurs à haute température ont été découverts – l’un est un composé de magnésium et de bore, un autre comporte un mélange de fer et d’arsenic. Même si aucun d’eux n’est supraconducteur à une température aussi élevée que celle de l’air liquide, ils pourraient finalement se révéler être des matériaux de choix. Étant donné le grand nombre de combinaisons d’éléments pouvant former des composés chimiques, il est probable que l’on découvrira encore de meilleurs supraconducteurs.
Dans les années à venir, les supraconducteurs devraient jouer un rôle croissant. On en est déjà à la deuxième génération de supraconducteurs au cuprate, ils servent à faire des câbles de haute capacité pour la distribution de l’électricité et pour des générateurs de faible poids destinés aux éoliennes. Des aimants supraconducteurs permettront des avancées en IRM, avec en perspective de meilleures capacités de diagnostic. Les supraconducteurs permettent de créer des champs magnétiques puissants pour les trains à lévitation magnétique à très grande vitesse et en téléphonie mobile, ils servent de filtre pour améliorer la bande passante des stations cellulaires de base. La découverte d’un nouveau supraconducteur encore plus performant pourrait conduire à encore davantage d’innovation technologique.
Cela nous amène au défi intellectuel que posent les supraconducteurs. Il a fallu 46 ans après la découverte de la supraconductivité en 1911 pour parvenir à une théorie explicative du phénomène, la théorie BCS de Bardeen, Cooper et Schrieffer. Durant toute cette période, plusieurs physiciens célèbres, entre autres Albert Einstein, Werner Heisenberg et Richard Feynman, se sont frottés à la question, mais sans succès. La découverte de la solution a exigé la mise au point de nouveaux outils théoriques. La difficulté consistait à imaginer comment des électrons deviennent supraconducteurs. Selon la théorie BCS, c’est la création de paires d’électrons qui le permet.
Heureusement, on connaissait le mécanisme de ce genre de couplage. Bien que les électrons se repoussent, puisque portant une charge électrique négative, les ions positifs qu’ils laissent derrière eux quand ils circulent au sein d’un métal peuvent provoquer un effet d’attraction entre deux électrons sous certaines conditions (par exemple le métal doit être très froid).
Or ce n’est peut-être pas le cas dans les nouveaux supraconducteurs. Les cuprates sont supraconducteurs à des températures beaucoup plus élevées, et surtout ils ont quelques propriétés exotiques : on les fabrique en dopant un isolant magnétique (le dernier endroit auquel on penserait pour un supraconducteur conventionnel) avec des porteurs de charge électrique. Contrairement à ce qui se passe dans le cadre de la théorie BCS dans laquelle les paires d’électrons sont isotropes (des propriétés identiques dans toutes les directions), dans les cuprates elles sont fortement
anisotropes.
Comment se fait-il que l’on puisse apparier des électrons en l’absence d’ions pour les maintenir ensemble, les rendant ainsi supraconducteurs à haute température ? Les hypothèses abondent, mais il faudra encore une avancée théorique qui fera peut-être intervenir les trous noirs pour répondre à cette question. Quelle que soit cette théorie, elle va révolutionner la physique.

* Michael Norman est à la tête de la division sciences des matériaux du laboratoire national américain Argonne, l’un des responsables du Center for Emergent Superconductivity et membre de la Société américaine de physique.

Copyright : Project Syndicate, 2011.
www.project-syndicate.org
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.
CHICAGO – L’entreprise canadienne D-Wave Systems vient de vendre à Lockheed-Martin le premier ordinateur quantique, une machine qui utilise la magie des phénomènes quantiques pour fonctionner incroyablement plus vite que les ordinateurs d’aujourd’hui à base de puce au silicium. La qualification de « quantique » a parfois été contestée à cet ordinateur, mais ses...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut