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Pour sortir de la crise, Assad doit engager des réformes politiques radicales - Analyse

Pour sortir de la crise, Assad doit engager des réformes politiques radicales

Avec l'élargissement des contestations populaires et la poursuite de la répression, la Syrie risque de sombrer dans la violence, estiment des experts.

Après la Tunisie, l'Égypte, le Yémen, la Libye et la Jordanie, la Syrie est aujourd'hui à son tour touchée par le vent de la révolte. C'est de Deraa, dans le sud du pays, que les premières étincelles sont parties. À l'origine de cette contestation, l'arrestation par les forces de l'ordre de 15 adolescents qui ont écrit des slogans réclamant plus de libertés sur les murs de cette ville à caractère tribal. La population, désenchantée par le régime et enthousiasmée par le vent de liberté qui souffle dans les pays voisins, y a vu un « acte de provocation » de la part des autorités. « C'était la goutte qui a fait déborder le vase », explique, dans une entrevue téléphonique avec L'Orient-Le Jour, Barah Mikail, directeur de recherche à Fride, un think tank européen basé à Madrid. « S'il y a bien une région en Syrie où prévalent une infrastructure défaillante et de mauvaises conditions économiques, c'est bien Deraa », ajoute-t-il.
« Bien que très fertile, la province de Deraa n'a pas bénéficié de l'attention nécessaire de la part du gouvernement », affirme pour sa part Murhaf Jouejati, un expert de la Syrie à la George Washington University. « La province subvient aux besoins agricoles de tout le pays, mais les investissements ont été bien en-deçà des attentes de la population. » La frustration est d'autant plus grande que le pays est touché depuis des années par une grave pénurie d'eau, la pire depuis plus de 40 ans. La sécheresse a poussé quelque 300 000 familles à quitter leurs villages dans l'est de la Syrie. Des milliers d'entre eux ont migré vers Deraa et ses environs.

Disparités entre riches et pauvres
« Ce que nous pouvons retenir du soulèvement de Deraa, c'est qu'il existe un malaise populaire général qui ne se limite pas au plateau du Hauran mais qui affecte le pays en entier, souligne M. Mikail. Avec Hafez el-Assad, les Syriens vivaient certes sous un régime dictatorial, mais il y avait tout de même un certain équilibre au niveau du partage des richesses, estime-t-il. Cependant, avec l'arrivée au pouvoir de son fils Bachar, et l'ouverture économique qui a suivi, les disparités entre riches et pauvres se sont accentuées de manière brusque et flagrante en Syrie. Soudain, il y a eu de plus en plus de voitures de luxe dans les rues des grandes villes, plus de villas qui pullulent, plus d'hôtels cinq étoiles qui poussent, poursuit-il. Beaucoup de Syriens se sont ainsi sentis marginalisés et exclus, alimentant la frustration déjà existante. »
Selon les chiffres officiels, la pauvreté touche 14 % des 22 millions de Syriens. Le taux de chômage qui frappe particulièrement les jeunes est évalué à 22 %. Comme dans les autres pays arabes touchés par les révoltes, la corruption en Syrie est endémique. Elle aurait même augmenté depuis l'arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad, selon les observateurs. Parmi les principaux bénéficiaires de la corruption, on trouve un cousin du chef de l'État : Rami Makhlouf. Ce dernier contrôle l'ensemble des secteurs économiques, la téléphonie mobile, les projets immobiliers et, plus récemment, les secteurs agroalimentaires. Au troisième jour des manifestations de Deraa, les protestataires l'ont traité de « bandit », mettant le feu à une filiale locale de Syriatel, une entreprise téléphonique lui appartenant.
« Rami Makhlouf est synonyme de corruption pour une grande partie de la population syrienne. Et le fait que les autorités le laissent faire sans demander de comptes signifie que le régime le soutient et encourage même ses actes de corruption », indique M. Jouejati.

Des mesures « insuffisantes »
Comme d'autres États arabes confrontés à la contestation, la Syrie a cherché à la faire taire en annonçant des mesures d'apaisement, dont le rétablissement des subventions aux denrées de base et la création d'un « Fonds national pour l'aide sociale » d'un montant de 250 millions de dollars. Mardi dernier, le quotidien gouvernemental al-Baas a annoncé un projet d'eau potable pour Deraa d'un coût de quatre millions de dollars. Deux jours plus tard, alors que l'engrenage manifestations-répression continuait de s'intensifier à Deraa et les villes avoisinantes, le régime a promis une série de réformes « importantes », dont la possible annulation de l'état d'urgence, la libération de prisonniers et des mesures anticorruption. Le jour même, l'agence de presse officielle SANA annonçait, de son côté, une augmentation des salaires des fonctionnaires de 30 %.
La réponse des protestataires ne s'est pas fait attendre. Le lendemain, la contestation contre le pouvoir, en place depuis 1963, s'est étendue à de nouvelles villes, dont Damas, Lattaquié, Hama et Douma. Dans un communiqué sur Facebook, « l'Union de la jeunesse syrienne », à l'origine de l'appel à la manifestation, a appelé « Bachar el-Assad et les membres de son régime à démissionner » et à la mise en place d'un « gouvernement de transition formé de toutes les composantes du peuple ».
« Le recours à la force par les forces de l'ordre contre les manifestants a envenimé la situation », affirme un militant pour les droits de l'homme sous le couvert de l'anonymat. « Les promesses ne suffisent plus, assure-t-il, surtout que le régime avait, à plusieurs occasions par le passé, évoqué de pareilles réformes, mais qui sont restées sans effet. »
« Le fait que les autorités syriennes aient reconnu des "erreurs" et qu'elles se disent prêtent à les corriger est un pas dans la bonne direction, nuance, pour sa part, Murhaf Jouejati. Cela dit, les mesures annoncées restent insuffisantes. Assad doit faire plus de concessions. »

Assad est « condamné »
Même avis du côté de Barah Mikail qui affirme que « le régime a une obligation de réagir de manière substantielle et assez rapidement ». « Pour sortir de la crise, Assad doit engager des réformes politiques radicales afin de permettre au peuple d'élire ses représentants de manière démocratique, assure M. Mikail. Il faut un changement de toutes les logiques prévalant dans toutes les institutions de l'État. » « Mais cela relève pratiquement de l'impossible, ajoute-t-il toutefois. Je vois difficilement le régime accepter une telle ouverture qui pourrait amener des concurrents potentiels au gouvernement. »
Mais pour Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie à l'Université Lyon 2, même si le président Assad réussit à « sauver son régime en faisant quelques concessions », il est « condamné » à moyen terme. « En tant que alaouite, Assad ne peut espérer se maintenir au pouvoir dans un pays à majorité sunnite dans le cas d'élections libres », explique-t-il.
En effet, parmi les autres griefs contre le pouvoir figure la domination de la branche minoritaire des alaouites (environ 12 % de la population) sur la majorité sunnite (75 %).
« Jusqu'à présent, Bachar el-Assad a pu compter sur le soutien indéfectible de sa communauté, laquelle sera d'ailleurs la première bénéficiaire des augmentations de salaire promises puisque les alaouites travaillent essentiellement dans le secteur public », indique M. Balanche. « Toutefois, précise-t-il, le président espère que les autres minorités (druzes, ismaéliens et chrétiens) restent solidaires face aux sunnites, que les Kurdes demeurent calmes et, plus généralement, que le chauvinisme régional limite la propagation de la contestation à l'ensemble de la Syrie. Les religieux sunnites sont donc invités par les services de sécurité à modérer leurs prêches et à calmer les esprits. »

Le souvenir de Hama
Lorsque les Frères musulmans syriens se sont révoltés contre le régime en 1982 à Hama, le président Hafez el-Assad n'avait pas hésité à écraser ce soulèvement dans le sang, faisant des milliers de morts. Pareille répression, dont le monde n'a appris l'ampleur que des semaines plus tard, semble improbable aujourd'hui, à l'ère des téléphones portables et d'Internet.
« Il y a près de quatre ans, le secrétaire général des Frères musulmans syrien avait déclaré à al-Jazira que les alaouites étaient des gens de la montagne et qu'ils n'auraient jamais dû obtenir le pouvoir, rappelle M. Mikail. Même s'il s'est plus tard excusé, cette animosité entre les sunnites et les alaouites reste toutefois perceptible. Le souvenir de Hama est encore présent dans les esprits. Avec l'élargissement de la contestation et la poursuite de la répression, il faut s'attendre à ce qu'une phase de violence s'installe en Syrie tout comme elle s'est imposée dans d'autres pays de la région », avertit l'expert.

Quel rôle pour l'armée ?
Un des facteurs importants qui déterminera l'issue de la crise est le rôle que décidera de jouer l'armée. S'interposera-t-elle, comme en Égypte et en Tunisie, entre les pro et antirégime afin d'éviter que le pays sombre dans la guerre civile ? « Malheureusement pour le peuple syrien, ce qui risque fort de prévaloir, c'est une solidarité intacte entre l'armée et l'appareil d'État syrien, répond M. Mikail. Les figures de l'armée syrienne sont des figures du régime baassiste. C'est cela la particularité de la Syrie, dit-il. Tout est blindé au niveau de la coordination entre les différents commandements des forces de sécurité et de l'armée. Mais, bien entendu, on ne sait jamais comment les choses peuvent évoluer », conclut-il.
Après la Tunisie, l'Égypte, le Yémen, la Libye et la Jordanie, la Syrie est aujourd'hui à son tour touchée par le vent de la révolte. C'est de Deraa, dans le sud du pays, que les premières étincelles sont parties. À l'origine de cette contestation, l'arrestation par les forces de l'ordre de 15 adolescents qui ont écrit des slogans réclamant plus de libertés sur les murs de cette ville...