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Santé

VIH : la politique de l’autruche de l’Europe de l’Est

Par Jon COHEN

Jon Cohen est l’auteur de « Shots in the Dark : the Wayward Search for an AIDS Vaccine » et de « Coming to Term : Uncovering the Truth about Miscarriage ».

La Russie et l'Ukraine abritent près de 90 % du million et demi de personnes qui seraient infectées par le VIH en Europe centrale et de l'Est. Lors d'une récente visite dans ces pays, et malgré des demandes réitérées, je n'ai pu rencontrer aucun politicien ou responsable de la santé publique. Aucun n'a donné suite aux appels téléphoniques, aux fax ou aux courriels que je leur ai envoyés à mon retour aux États-Unis.
Le VIH se répand de manière épidémique dans ces deux pays en raison de l'injection de drogues par des toxicomanes qui partagent les mêmes seringues, le moyen le plus sûr de transmettre le virus. Il existe pourtant des méthodes éprouvées pour ralentir la propagation du VIH par les toxicomanes.
Dans le cas de toxicomanes qui s'injectent de l'héroïne ou d'autres substances opiacées - le cas le plus courant en Europe de l'Est -, mettre sur pied des traitements de substitution, par la méthadone ou le buprénorphine, peut très nettement ralentir la transmission du VIH. La réussite de tels programmes consiste également à donner aux toxicomanes un accès à du matériel d'injection dans des centres d'échanges bien placés, à la fois pour qu'ils disposent d'aiguilles et de seringues propres, et pour les intégrer dans les systèmes de soins de santé. Enfin, les toxicomanes doivent pouvoir bénéficier d'informations et de conseils.
Ces trois piliers forment la fondation d'une politique définie par les professionnels de la santé, comme la « réduction des risques liés à la toxicomanie ». Mais ni la Russie ni l'Ukraine ne consacrent d'argent à cette réduction des risques.
L'aide internationale soutient les efforts de réduction des préjudices sociaux dans ces deux pays, à une modeste échelle. Les fonds proviennent essentiellement du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Mais la Russie, en raison de la hausse du revenu national, n'est plus éligible pour les subventions de ce Fonds.
Un groupe d'organisations non gouvernementales actives en Russie et qui gérait un programme de prévention et de réduction des dommages pour la santé liés à la toxicomanie avait reçu l'assurance du gouvernement que celui-ci continuerait à financer leur travail une fois que les subventions s'arrêteraient. Mais le gouvernement est revenu sur sa promesse l'automne dernier, et le Fonds mondial a dû accorder une aide d'urgence de deux ans au groupe d'ONG. L'Ukraine, démunie au plan financier, reste éligible pour les subventions du Fonds pour combattre le VIH/sida et compte exclusivement sur les ONG - créées dans leur majorité par les collectivités concernées - pour mettre en œuvre des programmes de réduction des risques.
En sus d'un financement incertain, les efforts de réduction des risques en Russie, et aussi de manière générale en Ukraine, n'intègrent pas un outil essentiel : les traitements de substitution aux opiacés. La Russie interdit purement et simplement l'utilisation de la méthadone. « Il n'existe aucune preuve concluante que l'utilisation de la méthadone et du buprénorphine facilite le traitement des toxicomanes », a déclaré Olga Krivonos, une responsable du ministère russe de la Santé publique et du Développement social, en mars 2009. En Ukraine, où l'importation de la méthadone n'a été légalisée qu'en décembre 2007, seules 5 000 personnes bénéficiaient d'un traitement de substitution quand je me suis rendu dans ce pays.
De leur côté, l'Organisation mondiale de la santé, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime et le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida concluaient dans une note de synthèse de 2004 « qu'il existe un vaste ensemble de preuves scientifiques sur l'efficacité des traitements de substitution dans le cas du VIH/sida ». L'Institut de médecine américain a appuyé cette position dans un rapport de 2007 : « Compte tenu des preuves concluantes de leur efficacité dans le traitement de la dépendance aux opiacés, les traitements de substitution aux agonistes opiacés doivent être proposés dans la mesure du possible. »
L'explication la plus courante de l'inertie des gouvernements russe et ukrainien est que ceux-ci considèrent davantage les toxicomanes comme des criminels que comme des malades, et suivent implicitement une politique qui consiste à les abandonner à leur sort. De fait, la police harcèle régulièrement les toxicomanes (et ceux qui leur viennent en aide), rendant leur situation plus difficile encore. Plusieurs pays d'autres régions ont adopté une position similaire.
Mais en Europe de l'Est, la situation est un peu plus complexe. Une méfiance envers les étrangers, héritée de l'époque soviétique, influe sur les comportements et nombreux sont ceux à affirmer en outre que leur culture est différente : une démarche qui fait ses preuves en Europe occidentale ne donnera pas nécessairement les mêmes résultats en Europe orientale. On soupçonne aussi les bandits capitalistes de vouloir profiter de la vente des substituts aux opiacés, qu'ils soient efficaces ou non.
Ce point de vue est aussi ridicule qu'affirmer que les antirétroviraux n'ont aucune efficacité dans cette région et que traiter le VIH n'est qu'un complot ourdi par les grandes sociétés pharmaceutiques. Les êtres humains sont les mêmes partout. Une politique de réduction des risques est partout bénéfique et les principaux bénéficiaires au plan financier sont les pays mêmes, qui peuvent constater une baisse de la propagation du VIH et de la criminalité et des personnes qui peuvent reprendre leur travail.
La politique de l'autruche à propos de la réduction des risques ne nuit pas qu'aux utilisateurs de drogues injectables. Les toxicomanes infectés par le VIH ont bien sûr des rapports sexuels avec des personnes qui ne sont pas toxicomanes. Les toxicomanes enceintes infectées par le VIH transmettent le virus à leur bébé et abandonnent parfois leur nouveau-né qui doit être pris en charge par l'État - en Russie, ce cas de figure se produit avec une fréquence choquante. Ceux qui sont contaminés par des toxicomanes peuvent à leur tour infecter d'autres partenaires, contribuant ainsi à la propagation du VIH dans l'ensemble de la population.
En juillet dernier, Vienne a accueilli la XVIIIe Conférence internationale sur le sida, avec près de 20 000 participants. Le président autrichien Heinz Fischer, Bill Clinton, Bill Gates et le vice-président d'Afrique du Sud, Kgalema Motlanthe, figuraient au nombre des orateurs. Les organisateurs de la conférence ont spécifiquement choisi Vienne parce qu'elle est la « porte de l'Europe de l'Est », et qu'ils espéraient que la région s'implique davantage dans la lutte contre le sida. Pour la première fois, toutes les interventions ont été traduites en russe. Pour autant, aucun responsable russe ou ukrainien de haut niveau n'a participé à la conférence.
La Déclaration de Vienne, qui préconise une réduction des préjudices sociaux et une politique concernant les drogues illicites basée sur des données scientifiques et non sur des préoccupations idéologiques, a été adoptée par la conférence. Elle a réuni à ce jour plus de 10 000 signatures, dont l'une des plus influentes, dans la perspective de l'Europe de l'Est, est peut-être celle de la Première dame de Géorgie, un pays dont les quelque 2 700 personnes infestées par le VIH ne représentent que 0,018 % du total régional. À en juger par l'indifférence de leurs gouvernements, les 99,982 % restant de personnes infectées par le VIH en Europe de l'Est - et tous ceux à qui elles font courir des risques - ne peuvent compter que sur elles-mêmes.

© Project Syndicate. Traduit de l'anglais par Julia Gallin.
La Russie et l'Ukraine abritent près de 90 % du million et demi de personnes qui seraient infectées par le VIH en Europe centrale et de l'Est. Lors d'une récente visite dans ces pays, et malgré des demandes réitérées, je n'ai pu rencontrer aucun politicien ou responsable de la santé publique. Aucun n'a donné suite aux appels téléphoniques, aux fax ou aux courriels que je...

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