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Visite guidée dans le capharnaüm du Palais de justice de Baabda - Réactions

Impuissants, les magistrats déplorent

Les magistrats ne peuvent que constater la réalité, à savoir l'état de délabrement du bâtiment et la corruption qui règne au Palais de justice de Baabda. Mais leur pouvoir pour changer les choses est limité.

Le Palais de justice de Baabda a été dernièrement racheté par le ministère de la Justice.

« Le Palais de justice de Baabda est une véritable porcherie. » Telle est la constatation d'une source judiciaire responsable, qui a requis l'anonymat. « Quelle honte, quelle calomnie pour les avocats, les juges et les citoyens ! » ajoute-t-elle, déplorant que la justice soit, depuis toujours, « le dernier souci de l'État ». Cette source souligne que le bâtiment est bien en deçà des normes minimales. Un bâtiment où il n'y a pas d'eau. Où les toilettes sont inutilisables. Où il pleut, l'hiver, dans la plupart des pièces. Où des seaux sont placés dans de nombreuses salles, pour récolter l'eau de pluie. « Si on n'améliore pas le bâtiment du Palais de justice, on ne peut améliorer l'humain », estime-t-elle.

Fonctionnaires sous-payés
La personnalité indique que le problème du Palais de justice de Baabda réside dans deux points principaux, d'une part les lieux et, d'autre part, la corruption. « Le bâtiment est dans un état lamentable. Il est non seulement vétuste, mais sale. D'ailleurs, il ne peut en aucun cas être restauré, tout en étant habité », dit-elle. Elle préconise la nécessité de construire un nouveau Palais de justice à Baabda, comme cela a été fait à Tripoli et à Saïda. « Cela coûterait certainement moins cher que de restaurer l'actuel bâtiment qui est totalement inadapté. Mais personne ne veut en entendre parler », déplore-t-elle. « Et pourtant, ce lieu reçoit plus de 2 000 personnes par jour, sans compter les avocats. » Elle précise aussi que 49% des procès du pays se déroulent au Mont-Liban et que les 51% restants sont partagés entre Beyrouth, Tripoli et Zahlé. La source montre du doigt le désordre qui règne à Baabda et plus particulièrement au niveau de l'archivage. « Même un éléphant se perdrait dans un tel capharnaüm. Qu'en serait-il des dossiers ? » demande-t-elle.
Se penchant sur le problème de la corruption, la source judiciaire responsable tient à rappeler qu'« elle a toujours existé ». Dans une boutade, elle reprend les propos d'un Premier ministre en fonction avant la guerre qui, sollicité par des fonctionnaires réclamant une augmentation de salaire, leur avait répondu : « Contentez-vous des extras. » Certes, la corruption est facilitée par certains facteurs. « Tant les juges que les fonctionnaires sont débordés, vu l'absence d'effectifs. Les juges n'ont pas le temps de recevoir les gens. Le travail est donc exécuté par des fonctionnaires sous-payés qui profitent de la situation pour réclamer de l'argent aux citoyens », explique-t-elle. Elle évoque également l'état de délabrement avancé de l'ameublement qui n'est pas pour faciliter la tâche des fonctionnaires. « Ces derniers n'ont souvent pas de chaise pour s'asseoir », dit-elle. Elle met aussi l'accent sur l'inexistence de documents et formulaires types, sensés être préparés par le ministère de la Justice, mais aussi sur l'absence de guichets de renseignements ou d'indications affichées.

La corruption de certains juges
Une réalité qui a favorisé l'émergence d'intermédiaires non fonctionnaires, qui assistent le citoyen dans les dédales de cette administration, moyennant quelques milliers de livres libanaises. Comme ce vieil homme assis dans l'arrière-cour qui tape à la dactylo les demandes des citoyens. Comme aussi ce cafetier qui squatte les corridors du Palais de justice et qui a établi un pacte tacite avec les fonctionnaires : « Il leur offre gratuitement le café et peut, à son tour, faire rapidement passer les formalités de sa clientèle. » Ce même cafetier refile la clientèle aux commerçants privés (vendeurs de timbres, photocopies, travaux de secrétariat) installés dans l'arrière-cour, moyennant commission, sans compter les pourboires qu'il soutire directement au citoyen, soulagé de trouver un interlocuteur. « Ces courtiers et intermédiaires bénéficient tous du soutien de partis ou de personnalités politiques. Tous les partis politiques sont d'ailleurs représentés », fait remarquer la source responsable.
Cette personnalité va plus loin. Elle affirme que la corruption se situe à deux niveaux. Elle se déroule au vu et au su de tous, « au niveau des fonctionnaires qui exécutent les formalités, notamment les auxiliaires de justice, les greffiers et les huissiers ». Elle est plus cachée et plus épisodique au niveau de certains juges. « Au moins une trentaine de juges devraient être radiés de la magistrature », martèle-t-elle, observant que généralement, « c'est par le biais d'avocats véreux que se déroulent les opérations de corruption des juges ». « Des opérations qui ne laissent aucune preuve. » « Comment expliquer autrement la libération de barons de la drogue ? » demande-t-elle. Elle constate aussi l'absence de structures de contrôle. « L'inspection judiciaire a baissé les bras. D'ailleurs, tout le circuit est corrompu. Une corruption que l'État a malheureusement contribué à mettre en place », déplore-t-elle.

Un bâtiment inadapté
« Il est impératif de couper le lien entre le citoyen et le fonctionnaire », préconise la source judiciaire, saluant le premier pas anticorruption qu'a constitué la mise en place de LibanPost, qui effectue des milliers de formalités administratives au quotidien. Elle insiste aussi sur la nécessité de « restructurer la justice libanaise conformément à un plan préétabli ».
De son côté, un juge qui tient également à garder l'anonymat estime que le problème principal réside dans le manque d'espace, et dans l'état de délabrement avancé du bâtiment qu'on ne se donne même plus la peine de nettoyer. « Il faudrait le détruire », observe-t-il, précisant que « l'édifice ne répond pas aux besoins de la magistrature ». Il constate aussi que tous les intermédiaires, dactylos, vendeurs de timbres et commerçants privés installés dans l'arrière-cour, squattaient auparavant l'entrée et les couloirs du Palais de justice. « On ne sait pas vraiment qui les autorise à être là, car ils ne font pas partie du cadre de la justice », dit-il, observant que les tarifs sont fixés souvent à la tête du client. « C'est l'exemple type de ce qui se passe au Liban », note-t-il.
Quant au président de la cour d'appel du Mont-Liban, Nabil Moussa, responsable du Palais de justice de Baabda, il a préféré s'abstenir de commentaires. Il s'est juste contenté de dire que « la situation est difficile », déplorant l'état de « ce soi-disant palais ».
Le ministère de la Justice, que nous avons contacté, a annoncé avoir dernièrement acheté le bâtiment abritant le Palais de justice de Baabda, une étape nécessaire pour sa restauration. Reste à connaître les coûts d'une telle entreprise qui s'annoncent énormes. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

« Le Palais de justice de Baabda est une véritable porcherie. » Telle est la constatation d'une source judiciaire responsable, qui a requis l'anonymat. « Quelle honte, quelle calomnie pour les avocats, les juges et les citoyens ! » ajoute-t-elle, déplorant que la justice soit, depuis toujours, « le dernier souci de l'État ». Cette source souligne que le bâtiment est...