Pendant le repas, les individus n'hésitent pas à laisser leurs détritus sur la plage de sable fin. Par endroits, il est même dangereux de poser le pied nu à cause des tessons de bouteilles disséminés un peu partout dans le sable. Signe de ce laisser-aller permanent, un container débordant de bouteilles de verre situé à quelques mètres de la plage. Pour rappel, toute personne consommant de la nourriture sur l'île encourt une amende d'environ 250 000 LL. Cependant, cette épée de Damoclès ne semble pas inquiéter les touristes. Est-ce de la provocation ou simplement de l'inconscience?
Le domaine est géré par un gardien en charge de la protection de l'île. Une protection pour le moins particulière ! Celui-ci aurait constitué son propre business en faisant payer le transport des touristes en bateau du port d'al-Mina jusqu'à l'île des palmiers. Il serait donc le premier responsable de la destruction de l'écosystème du site. « C'est combien pour aller sur l'île ? » demande un touriste. « C'est 10 $ l'aller-retour », lui répond le gérant de l'affaire. Comme bien souvent au Liban, le transport n'est pas une sinécure. Certains auront la chance de monter dans un navire de bonne qualité, tandis que d'autres monteront dans une barque motorisée. Le tout sans gilet de sauvetage ! Aux risques et périls des usagers.
Une fois la journée terminée, les touristes reviennent à Tripoli. Mais ces derniers sont interpellés par des jeunes qui gèrent le business. Ils réclament plus d'argent, alors que les visiteurs ont déjà payé leur billet. « Ne leur donnez rien de plus, ce sont des voleurs », assène un Libanais aux
touristes.
Une attitude punie par la loi
Devenues des réserves naturelles en 1992, les îles de Tripoli ont tout d'abord été interdites au public. Depuis peu, le ministère de l'Environnement autorise la visite des îles entre juin et septembre. Mais en aucun cas, la consommation de nourriture n'est autorisée, comme le précisent plusieurs pancartes. La raison de cette interdiction? Le site est un lieu de ponte privilégié par les tortues marines qui pondent leurs œufs dans le sable entre avril et mai pour une éclosion prévue en octobre. Laisser les vacanciers saccager les lieux causerait un risque très important pour l'équilibre écologique. Les associations de défense de l'environnement craignent aussi pour l'avenir des oiseaux migrateurs qui font escale sur l'île au mois d'octobre. « Imaginez un peu l'impact qu'aurait la rencontre entre l'un de ces oiseaux et des canettes de bières, ou bien même de petits objets en plastique », témoigne l'un des membres de cette association.
Pour le gardien de l'île, cela ne semble pas être un problème. Grand, robuste, la cinquantaine, son visage affiche une tranquille sérénité. Étonnant pour une personne qui, selon une source proche des associations écologiques, profiterait des financements de l'USAid, un fonds d'investissement américain pour le développement. Dans le cas de l'île des palmiers, l'organisation avait financé des activités en faveur de la préservation du site en installant des lieux de repos aménagés sous forme de palmiers. Cependant, le gérant semblerait faire de ces petites installations une utilisation très personnelle.
«Vous pouvez y déguster votre repas, mais ça vous coûtera 10000 LL », s'insurge un citoyen. Et les gérants des lieux tiennent à ce que leurs règles soient respectées. Alors que de jeunes touristes ont déposé leurs affaires sur un de ces palmiers, un homme, qui s'avère être un proche du gardien, les alpague et leur demande expressément de retirer leurs affaires ou bien de payer les 10000 LL. Énervés, les jeunes touristes expriment leur mécontentement. «Je ne comprends pas, il nous agresse alors que c'est la première fois que je viens ici, je ne savais pas qu'il fallait payer pour se reposer quelques secondes. » Une vingtaine de ces palmiers aménagés sont disposés le long de la plage. Sachant que plusieurs groupes de touristes peuvent louer le même palmier pour la journée, l'affaire semble très lucrative pour les gérants.
Pour rappel, ces aires de détente sont la propriété de l'État. Or, selon le responsable d'une agence environnementale, le gardien exploiterait ces aménagements pour les louer aux vacanciers alors qu'il n'en est pas propriétaire. Néanmoins, aucune preuve n'existe sur le devenir de l'argent encaissé. Est-il correctement reversé à l'État ou bien est-il conservé à des fins personnelles ?
Sensibiliser les Libanais
Pour le ministre de l'Environnement, Mohammad Rahhal, la situation ne peut plus durer. « Je n'étais pas au courant de cette affaire. Nous allons enquêter pour mettre au clair cette situation » , s'est-il emporté. Selon le ministre, le responsable de l'île occupe cette charge depuis deux ans. Toutefois, il est difficile de dater officiellement le début de ce business lucratif. M. Rahhal précise qu'on « n'a pas à faire payer des gens pour aller sur l'île et encore moins à utiliser des installations publiques à des fins privées, si cela était prouvé». Quant aux touristes et vacanciers participant à la dégradation du site, «ils devraient avoir honte et être eux aussi condamnés pour ces actes», ajoute le ministre. Il explique aussi qu'un comité municipal, géré par la ville de Tripoli, est en charge de ces zones protégées. Leur manque d'action est donc à mettre en cause dans cette histoire. Pourquoi ne pas avoir alerté les autorités? Comment laisse-t-on une poignée de personnes détruire à elles seules une réserve naturelle au vu et au su de tous?
Un vacancier présent sur les lieux témoigne: «Les gens savent qu'il est interdit de manger sur la plage. Tout le monde est au courant pour l'amende. Il faut juste ne rien dire, on pourra alors continuer à venir», explique-t-il, l'air détendu.
Complicité ou irresponsabilité? Appelons cela un manque de sensibilisation. La plage de l'île des palmiers n'est, hélas, pas la seule à être l'objet de dégradations. À Tyr ou à Saïda, les étendues de sable sont souvent recouvertes de déchets, symbole de la déconsidération des habitants pour les questions environnementales. Et pourtant, que seraient les plages libanaises si elles étaient mieux respectées par ceux qui les fréquentent? Il serait bon de commencer la sensibilisation dès maintenant, pour que le Liban ne perde ses atouts naturels qui font et feront (pour combien de temps encore?) sa renommée à travers le monde.