La ligne fonctionne chaque jour de midi à minuit. Quarante-deux bénévoles d'horizons divers l'animent : ingénieur, chauffeur de taxi, médecins, commerciaux, étudiants, femmes au foyer... Tous musulmans, ils ont reçu 160 heures de formation à l'écoute téléphonique et parlent bien allemand.
« Nous refusons tout extrémisme religieux et, d'ailleurs, nous ne prodiguons pas de conseils religieux. Mais chacun d'entre nous connaît le Coran. C'est nécessaire pour que les gens qui appellent nous fassent confiance », dit Imran Sagir, 36 ans, directeur de cette structure financée par le Secours islamique et encouragée par les autorités de la capitale. « Notre but, c'est d'entrouvrir une porte dans la prison morale où ils se trouvent », explique-t-il.
Le besoin est considérable dans un pays qui compte environ 4 millions de musulmans sur 82 millions d'habitants, assure Imran Sagir. « Les musulmans ont souvent du mal en Allemagne. Hélas, beaucoup ne se sentent pas membres de la société allemande », déplore-t-il. Selon lui, 80 % des gens qui contactent le numéro d'appel de son association n'auraient jamais appelé ailleurs.
Installée derrière un bureau sous un velux où s'engouffre le soleil, Fatma, 32 ans, voilée d'un foulard coloré, répond avec douceur aux questions angoissées de son interlocutrice. L'entretien est anonyme et confidentiel. On ne saura rien du contenu. Mais après une bonne demi-heure de conversation, Fatma est contente : « C'est un bon jour. J'ai l'impression d'avoir été vraiment utile », confie cette jeune employée commerciale qui colmate les brèches de l'âme, 16 heures par mois par tranches de 4 heures.
Ceux qui contactent l'association MuTeS ont souvent entre 20 et 40 ans et des problèmes familiaux pesants. Les deux tiers sont des femmes. Depuis sa création en mai 2009, la ligne a reçu plus de 2 400 appels. La plupart durent entre une demi-heure et une heure.
« Parfois c'est très dur. Les gens pleurent souvent au téléphone », dit Fatma, et certains traversent de très graves crises.
Des femmes comme des hommes. Drames conjugaux, violences, alcool, drogues, mais aussi viols, pédophilie ou mariages forcés... Dans les cas les plus difficiles, l'association tente d'orienter doucement ses interlocuteurs vers des soutiens thérapeutiques ou des rencontres en vis-à-vis au sein d'autres structures.
Imran Sagir raconte avoir été très marqué par « le tout premier appel sur la ligne ». « C'était une jeune femme qui avait été violée un an auparavant lors de vacances dans son pays d'origine. Elle était très religieuse et très choquée, et les nouvelles vacances s'annonçaient pour bientôt. Je me suis dit qu'on avait vraiment raison de créer ce projet. »
Ce mardi-là, c'est la journée « turque » : ceux qui appellent (+49 30 44 35 09 821) savent qu'ils pourront s'entretenir en allemand ou en turc, comme ils préfèrent. « Nous envisageons aussi de créer une journée arabe », dit Imran Sagir, « et dès que possible, de proposer nos services 24h/24 ». Berlinois d'origine indienne, ce chauve corpulent à courte barbe brune peut aussi parler l'urdu, au besoin. D'autres bénévoles proposent l'arabe, l'anglais, le français ou l'espagnol.
Il est 16 heures et Fatma va bientôt s'en aller. « Parfois, conclut-elle en souriant sous son voile, certains rappellent après pour dire merci. C'est un sentiment super. »