Longtemps, l'œil a tenté de zapper ces images, ces détritus de soi et le voilà confronté de nouveau à ces grandes photos encadrées et magnifiées par Gilbert Hage. Et pour une raison toute simple. Comme un devoir de mémoire. Mais voilà un mot qui semble encore bien éculé dans ce pays où tout se mâchouille ou s'ingère sans aucune réflexion.
Continuant à mûrir son œuvre photographique, l'artiste, qui porte plusieurs casquettes, puisqu'il est également enseignant à l'ALBA et cofondateur avec le multidisciplinaire Jalal Toufic d'« Underexposed Books », est en perpétuel questionnement.
Ayant auparavant abordé les thèmes de globalisation et d'identité dans son projet Ici et maintenant et réfléchi sur les notions de pouvoir, d'historicité et de géographie dans Anonymes, Beyrouth et Tout un chacun, le voilà après la guerre de 2006 évoquant ce long travail de ruine avec Jalal Toufic.
Selon Toufic, « quand les ruines auront disparu du paysage de Beyrouth, certaines personnes se plaindraient auprès des psychiatres qu'ils sont en train d'appréhender même les immeubles détruits comme des ruines ».
La ruine est donc, non seulement ces guirlandes de pierres et de ferrailles, mais un traumatisme interne, mental que tout être essaye d'occulter, d'effacer. La reconstruction est-elle une vampirisation de la mémoire ? Une phagocytation ?
« La fiction doit nous révéler l'aberrant et labyrinthique espace-temps des ruines. Et au cas où nulle ruine ne subsiste afin que les fantômes apparaissent, compléter la réalité comme un site qui puisse permettre le retour du revenant », dit encore Jalal Toufic. C'est dans cette optique-là et en s'appuyant sur les propos de ce penseur aux multiples identités (irakienne, palestinienne et libanaise, comme trois blessures en une) que Gilbert Hage tente de dilater la pupille de l'œil et réveiller les fantômes. Dans un effort de véritable reconstruction... de soi.