La source libanaise proche de la Syrie affirme que cet entretien a été très animé. Le roi Abdallah aurait demandé à son interlocuteur syrien de « faciliter la solution au Liban et avec les Palestiniens, sinon une nouvelle guerre pourrait éclater dans la région, et cette fois, elle pourrait bien ne pas épargner la Syrie ».
La même source révèle aussi que le roi Abdallah aurait même laissé entendre que la violence de la riposte israélienne pourrait fragiliser certains régimes arabes. Comprendre : le régime syrien serait menacé. Ces sous-entendus, ajoutés à l'annonce faite par le porte-parole du département d'État américain avant l'arrivée du roi Abdallah à Damas, dans laquelle il demandait au président syrien d'écouter attentivement ce que le roi d'Arabie devait lui dire, ont poussé le président syrien à saisir toute la gravité du moment et surtout l'ampleur du plan visant à ôter toute légitimité au Hezbollah en le transformant en organisation terroriste, pour ensuite faire passer en douce un compromis entre l'Autorité palestinienne et les Israéliens en principe inacceptable pour les premiers, comme, en 1978, la guerre civile au Liban a permis de faire passer l'accord de Camp David qui a modifié le monde arabe en neutralisant un de principaux piliers à savoir l'Égypte.
Au moment d'évoquer l'acte d'accusation du TSL, le roi Abdallah a envisagé, au début, la possibilité que des éléments du Hezbollah aient participé à l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. À ce propos, le monarque ne semblait pas prêt à vouloir chercher un compromis sur cette question. Selon la source proche de la Syrie, le président Bachar el-Assad aurait longuement expliqué comment, pendant cinq ans, la Syrie a été la principale accusée, bien que le dossier de l'accusation soit vide. Il s'agissait, a-t-il dit, d'exercer des pressions sur Damas pour pousser les Syriens à se détacher de l'Iran, à lâcher le Hezbollah et le Hamas, et à faciliter ainsi le fameux compromis recherché par les Américains dans l'intérêt d'Israël. En termes assez forts, Assad aurait expliqué à son interlocuteur qu'Israël ne veut pas de paix et qu'il veut simplement briser ses adversaires et pouvoir imposer ses conditions à tous les Arabes. Selon Assad, le Hezbollah n'aurait rien à voir avec l'assassinat de l'ancien Premier ministre, et son inculpation vise simplement à l'affaiblir, à le discréditer et à provoquer une discorde interne qui détournerait l'attention générale du compromis qui serait en train d'être conclu entre Mahmoud Abbas et les Israéliens.
La discussion entre les deux hommes se serait prolongée au-delà de minuit, et c'est en fonction de la gravité de cet entretien qu'Assad a décidé de se rendre à Beyrouth avec le roi. L'émir Abdel Aziz ben Abdallah, qui se trouvait à Damas ce soir-là, a pris aussitôt le chemin de Beyrouth pour informer le Premier ministre Saad Hariri qu'Assad accompagnerait le roi.
Les préparatifs se sont alors accélérés, mais, selon tous ceux qui ont participé à la préparation de cette visite, son organisation était étrange, comme si les deux dirigeants arabes étaient placés dans une bulle et qu'ils ne devaient pas avoir de contacts avec les personnalités libanaises. Toutefois, à l'aéroport, au moment de l'accueil de l'avion royal, le président de la Chambre Nabih Berry a appris que le programme du roi prévoit une visite au domicile de Saad Hariri dans le centre-ville. Il a exprimé son mécontentement, d'autant qu'il est officiellement le numéro 2 de la République, et en principe il passe avant le Premier ministre. C'est alors qu'un compromis a été trouvé à la hâte : alors que le roi se rendrait chez Saad Hariri, le président syrien recevrait Berry au palais de Baabda... Pendant le déjeuner donné au palais présidentiel, une grande partie des convives, pourtant triés sur le volet, n'ont pas pu saluer les deux dirigeants arabes, se contentant de faire des gestes de la main de loin...
En dépit de l'étrangeté de certains détails de la visite, celle-ci a quand même abouti à des résultats positifs : il y a eu ainsi une confirmation du fait que le Hezbollah ne rééditera pas le 7 mai 2008 (même si, en réalité, c'était un choix ultime pour lui et qu'il détient bien d'autres cartes avant d'arriver à cette solution extrême) et en même temps, le gouvernement d'union nationale ne sera pas mis en difficulté ou poussé au départ. En contrepartie, le roi aurait promis d'entreprendre des contacts pour tenter d'obtenir un report de la publication de l'acte d'accusation du TSL, sans intervenir au niveau de son contenu qui dépend des enquêteurs et des juges. Ce compromis ne satisfait certes pas le Hezbollah, qui recherche une solution plus radicale. Il compte donc poursuivre sa campagne, même si la tension interne a baissé d'un cran... En conclusion, on pourrait dire que le sommet historique a permis le début d'un dialogue constructif entre les dirigeants arabes qui ont joué, une fois n'est pas coutume, cartes sur table, mais il reste du chemin à faire avant que les nuages de la discorde quittent définitivement le ciel du Liban.