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Culture - Rencontre

Les trois vies parallèles de Jack Lang

Invité par son ami Adnan Kassar à passer quelques jours au Liban, l'ancien ministre français de la Culture Jack Lang s'exprime, de manière informelle, sur le sérieux et le futile.

Des vacances beyrouthines imprégnées d’art et de culture pour l’ex-ministre recordman français. (Michel Sayegh)

Jack Lang restera dans l'histoire. C'est sûr. Grâce à son record de la longévité ministérielle française en ayant exercé au total 12 ans d'activités partagées entre la Culture et l'Éducation. Grâce à la Fête de la musique, aussi, qu'il a instaurée en 1982. Grâce aux Journées nationales du patrimoine, lancées en 1984. Créateur, également, du Festival mondial de théâtre de Nancy en 1963, l'ancien ministre de la Culture (de 1981 à 1986, puis de 1988 à 1993) et l'ex-ministre de l'Éducation nationale est actuellement député (PS) de la 6e circonscription du Pas-de-Calais.
Phénomène Lang pour les médias français, qu'il soit taxé de personnage controversé, méconnu ou postmoderne, il n'apparaît pas, en tout cas, comme la personnalité à laquelle on se serait spontanément attendu. Une éternelle chemise rose, certes, mais ni «arrogant», ni «bling-bling», ni «beau parleur». Plutôt «ambiance vacances» et un brin «Lang de bois», sans pour autant occulter sa foi en l'art et la culture qui l'a toujours accompagné.
Sur ses diverses carrières prolixes menées de front, il ne souhaite pas s'y attarder. Il laisse donc un peu sur sa faim l'interlocuteur désireux de mieux cerner la personnalité et le parcours «entre culture et politique» de cet homme pourtant hautement médiatisé. Il distillera ses réponses de repères biographiques, de quelques histoires personnelles. C'est tout. «Me plonger dans les retours en arrière qui m'attristent. Non pas que le passé soit attristant, mais je n'ai pas le goût rétrospectif», s'excusera-t-il à maintes reprises.
Il est là pour une visite qui ne dure que cinq jours, regrette-t-il, mais il va en profiter pour se mettre au courant de la scène culturelle libanaise, rencontrer des artistes, visiter des sites et... assister à l'inauguration de la foire Menasart. «C'est un peu par hasard que j'ai compris ce qu'était cette manifestation, dit-il. C'était il y a quinze jours, à Shanghai, où j'ai rencontré Shan Sa, une écrivaine et peintre française d'origine chinoise. Elle m'a dit qu'elle était invitée à Beyrouth pour participer à cette exposition dont le concept m'a plu: il s'agit, pour chaque galerie, de choisir un artiste.»
Pour Jack (avec une orthographe à l'anglaise car ses parents étaient anglophiles), le théâtre est une passion. Jeune professeur de droit, il a créé un festival international de théâtre. «Toute l'avant-garde du théâtre mondial était venue à Nancy, devenue le haut lieu de la recherche théâtrale entre 1962 et 1977».
C'est par le biais du théâtre également que Jack Lang a effectué sa première visite au Liban. «J'avais 18 ou 19 ans, à l'époque, raconte-t-il. J'ai passé un mois et demi ici à rencontrer des metteurs en scène de théâtre. J'avais été invité, dans le cadre d'un festival des frères Basbous à Rachana, à donner une représentation d'un spectacle que j'avais créé, Les sept contre Thèbes, d'Eschylle et je jouais modestement le rôle du roi Créon. À cette occasion, j'ai fait la connaissance d'un journaliste à L'Orient, André Bercoff. Depuis lors, il est devenu un très grand ami. Mais mon souvenir est que sa critique n'était pas très bonne.»
Il poursuit sur sa lancée : «Ensuite j'ai dirigé le théâtre de Chaillot, puis s'arrête net. Je ne vais pas vous raconter ma vie, c'est trop long. Ça me donne le cafard.» L'on s'oriente alors vers sa carrière.
Jack Lang a toujours mené trois vies parallèles. Au moins. «Je suis ainsi construit», dit-il. «La vie d'homme de culture, la vie de citoyen engagé et la vie de professeur de droit», énumère-t-il en précisant que ces trois vies «se mélangent et forment un ensemble un peu particulier». Non, il n'a jamais essayé de les séparer. Et non, il refuse de choisir ou de préférer l'une sur l'autre. «Il y a des périodes où j'ai été beaucoup plus engagé dans l'action politique, d'autres dans l'action culturelle et d'autres dans
l'enseignement.»
Les conseils d'un ancien ministre de la Culture détenteur d'un record à son collègue libanais ? Il hésite. Puis se décide: «Au Liban, pas d'intervention extérieure. Laissons cette paix obtenue après tant d'années de souffrance.»
On insiste, après tout, le pays du Cèdre a bien hérité lui aussi de la Fête de la musique et des Journées du patrimoine. Lang n'a-t-il pas également contribué à la mise en avant du cirque, avec la création d'un Centre national des arts du cirque, de la photographie, avec l'ouverture d'une École nationale et de la musique autre que classique ? N'a-t-il pas développé des aides financières à l'écriture pour le cinéma et prévu des subventions pour soutenir les compagnies théâtrales ? N'est-il pas également à l'origine du concept de Zénith. Auréolé de modestie, il concède s'être inspiré « des réformes ou des situations les plus positives de différents pays, notamment européens. Mais il me faudrait rester ici un certain temps pour pouvoir vous dire des choses à peu près intelligentes à propos du Liban », sourire carnassier.
«Mais il est évident que, quel que soit le pays, il faut soutenir les artistes, les créateurs, leur créer des lieux de travail...» Il fait référence aux écrivains très brillants, aux cinéastes qui ont obtenu une reconnaissance internationale, aux peintres et aux sculpteurs célèbres... «Il faut surtout donner aux plus jeunes des occasions concrètes pour pouvoir développer leur travail», aime-t-il à répéter.
En 1988, Jack Lang a revendiqué un grand ministère de la Beauté et de l'Intelligence. «Oui, affirme-t-il, l'idée c'était de réunir, sous la même autorité politique, l'art et le savoir. En réalité, j'ai pendant un an conquis ce rêve. En 1992, j'étais à la fois ministre de la Culture et ministre de l'Éducation. C'était très dur. C'était fantastique. C'était passionnant.» Étoiles dans les yeux.
Lang avait également diffusé la notion de « démocratie du goût ». Prudent, il préfère tempérer ses propos d'hier. «L'expression peut paraître aujourd'hui ambiguë et dangereuse. Je dirais qu'il paraît important de pouvoir donner à chaque enfant, à chaque adolescent, la possibilité réelle et concrète d'accéder à une culture artistique et intellectuelle. C'est la raison pour laquelle je me suis toujours beaucoup battu pour que l'éducation artistique soit pleinement reconnue par l'école et par le ministère de l'Éducation. Quand j'étais pour la deuxième fois ministre de l'Éducation en 2002, j'ai mis un plan pour les arts et la culture à l'école. Aujourd'hui, plus que jamais, dans cette période où la culture commerciale est dominante, il me paraît important que ces jeunes puissent bénéficier d'une véritable alphabétisation intellectuelle dans tous les domaines artistiques. L'apprentissage d'un art est une voie excellente pour favoriser l'apprentissage dans les autres disciplines. La lecture, l'écriture, les mathématiques.»
Et Lang de citer «un très joli mot» de Picasso: «La peinture, c'est comme le chinois, cela s'apprend.» «Il y a le génie, bien sûr, concède l'ancien ministre. Mais il y a aussi l'apprentissage de base.»
Jack Lang persiste et signe. «La pratique d'un art est un des meilleurs remèdes antiviolence, une excellente thérapie contre diverses formes de barbarie», dit-il en lançant un nouveau slogan : «Imprégner, éduquer, préparer.» «Malheureusement, la plupart des pays ignorent ou méprisent la culture. En France, je regrette énormément que mon plan pour l'éducation artistique ait été marginalisé. Un plan pareil est capital pour former les enfants. Et créer, ainsi, un climat de dialogue, de compréhension par la culture. Cela vous aide à mieux connaître les êtres humains, les peuples.»
Le dialogue pour lui, «ce n'est pas du bla-bla-bla». Les considérations générales n'ont pas d'intérêt, pour lui. Il dit qu'il lui faut du concret.
Et cite à titre d'exemple l'intervention exemplaire de la Mission culturelle française au Liban. « Je peux vous dire franchement que ce qui est fait ici, au Liban, est remarquable.» À propos du pays du Cèdre, il enchaîne : «L'hospitalité, la sympathie, l'histoire, les traditions de ce pays en font un lieu particulier, un pays original, singulier. Qui a établi avec la France des relations très particulières, très fortes.»
L'homme politique est également un homme de lettres et il possède une bibliographie importante, entre ouvrages juridiques, historiques ou biographiques (Nelson Mandela, qu'il admire énormément). Il réfléchit actuellement sur un livre «plus politique». Et termine l'écriture d'un ouvrage intitulé Les grandes batailles du Louvre, aux éditions de la Réunion des musées de France.
Jack Lang s'apprête également à tenir les rênes d'une «mission internationale pour un sujet juridique assez complexe dans le cadre des Nations unies». Et puis «ce que la vie vous offre comme occasions d'action, de réflexion». Mais chut... N'en disons pas plus, l'homme désire rester discret sur son avenir en politique. Qui sait?
Jack Lang restera dans l'histoire. C'est sûr. Grâce à son record de la longévité ministérielle française en ayant exercé au total 12 ans d'activités partagées entre la Culture et l'Éducation. Grâce à la Fête de la musique, aussi, qu'il a instaurée en 1982. Grâce aux Journées...

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