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Culture - Portrait

Mohammad Kanoo et les 99 noms d’Allah

Un homme d'affaires doublé d'un artiste, ce Mohammad Kanoo. Des portraits à la Andy Warhol aux voitures inspirées de Roy Lichtenstein, en passant par la finesse de la calligraphie arabe sur fond de couleur basique, la création picturale ici est éclatante, une affirmation à l'appartenance et l'identité arabes.

L’artiste devant une toile de Haïfa Wehbé exécutée à la manière de Warhol. (DR)

Le sens du « business », hérité de sa famille aux activités commerciales diversifiées, ne l'a pas empêché d'avoir aussi le sens artistique, celui de la création et de l'innovation. Le sens de trouver, à travers les richesses ancestrales, une formulation artistique nouvelle dans le monde arabe. Et contemporain.
Rencontre avec l'un des peintres les plus avant-gardistes et notoires des pays arabes et copropriétaire, en même temps, de la prestigieuse galerie d'art La GHAF, dans la mégalopole du gouverneur Khalifa ben Zayed el-Nahyan.
Une galerie qui a trois ans d'âge et à son actif plus de 40 expositions. Sur ses cimaises, on a pu admirer, entre autres, les œuvres de Dia Azzaoui, Hamzan Bou Noua, Abdeh el-Mouharakki, Ali Omar, Niza Mahdaoui... Et en préparation, actuellement pour la mi-avril, les recherches esthétiques de douze artistes arabes explorant les beautés et le mystère du désert pour un voyage visuel portant le titre de « Jalal Art Trip ».
Issu d'une des familles bahreïnis les plus influentes depuis 1890 dans la région, Mohammad Kanoo, de mère madrilène, arbore en toute tranquillité le costume blanc traditionnel avec « igal » et lunettes de myopie.
Maîtrisant l'anglais, le français, l'espagnol et, bien entendu, l'arabe, fervent admirateur de Picasso, Mondrian, mais aussi Anish Kapoor et Jeff Koon, Kanoo s'exprime en toute clarté pour évoquer son art et sa quête pour « un avenir bâti sur la civilisation du visuel et de l'écrit » (selon ses propres termes !).
L'influence des parents est vite soulignée. Une mère, portant le joli prénom de Maria Luz, accentue dès la plus tendre enfance le don d'aimer les couleurs et la magie de la palette, elle qui, à ses moments perdus, croque des portraits et dessine la beauté de la vie et de la nature. Du côté paternel, l'influence n'en est guère moindre. Un père fondateur à Bahreïn du Mathaf Beit al-Coran (Musée de la Maison du Coran) où calligraphie arabe et versets coraniques sont mis en évidence sous un éclairage neuf.
Combinaison et association de ces deux influences parentales pour marquer et renforcer l'aventure de l'art dans ses explorations les moins insoupçonnées, les plus inédites.
Après des études au Texas en économie et sciences politiques, et sans démordre aux obligations professionnelles héritées et sérieusement assumées, Mohammad Kanoo est touché droit au cœur par le frisson esthétique. Un frisson qui le secoue au Centre Beaubourg à Paris en regardant des peintures (et non des mobiles) de Calder. Exalté, il donne une de ces photos à un artiste coréen pour la reproduire. Pour diverses raisons, ce dernier tarde à s'exécuter. Alors Mohammad Kanoo, un peu impatient mais sachant parfaitement que nul n'est mieux servi que par soi-même, plonge dans une aventure - un vrai et charmant « maktoub » - qui le guettait depuis longtemps. Et c'est le déclic et l'étincelle.
Amoureux du pop art, du style Andy Warhol et des bandes dessinées de Roy Lichtenstein, voilà que ce fougueux autodidacte réduit ou agrandit les dimensions de sa création avec un complice contemporain qui n'est autre que l'ordinateur. D'abord des portraits. Éloquents et modernes. L'enthousiasme est général. Ensuite, c'est un cortège de voitures rutilantes (Mercedes, Austin et Porsh). Une autre clameur d'admiration.
Mais latent, péremptoire et sous-jacent, le travail poussait ses racines en profondeur. Et émergent les fioritures de l'Alhambra, les motifs récurrents des arabesques, les calligraphies des corniches aux fioritures fines (La Ghaleb illa Allah) sur fond d'or avec des couleurs vibrantes : rouge vermeil, bleu klein, vert tropique, jaune soleil.
Et comme par hasard, en fait une pure coïncidence, en prenant les mesures de sa toile (il y a déjà plus de vingt ans de cela !), Mohammad Kanoo réalise que son emprunt des citations écrites est de un pour cent de la superficie totale peinte. Un, moins cent, et nous voilà, comme un signe du ciel ou un talisman, aux portes des 99 noms d'Allah. Et depuis, la spiritualité a empreint toute l'œuvre de Mohammad Kanoo qui, par un subtil mélange de genre et de style, à la pointe de la modernité de par les couleurs et la narration picturale, réinvente la beauté des lettres arabes. En digne héritier des valeurs familiales, joignant ainsi l'esprit des richesses de la conquête arabe en Espagne et les superbes traditions calligraphiques coraniques.
De sa première présence à la Foire de Francfort à son exposition à Barcelone, en passant par Amsterdam, Zurich ou Abou Dhabi, l'œuvre de Mohammad Kanoo est une invitation sans fard, menée tambour battant , pour attirer le monde arabe dans une relecture de ses richesses impérissables. De même que c'est une invitation ouverte aux Européens pour découvrir et goûter à cette culture et cette civilisation millénaires.
En resituant les lettres arabes dans un cadre nouveau, l'artiste est mû par un besoin et un souci de reconnaissance et de dépassement.
L'important pour Mohammad Kanoo, en regardant ces toiles, c'est de ne jamais sortir indifférent d'une exposition. Mais toujours avec des émotions. Négatives ou positives.
Pour cet artiste qui aime autant la musique classique qu'Oum Kalsoum ou les chanteurs « khaliji », préfère les couleurs basiques, décrypte les architectures arabes les plus raffinées et qui savoure les livres de réflexions en anglais, il est temps que l'art arabe soit pris sérieusement dans sa créativité et son expansion. Il est temps que cet art trouve sa vraie place dans la création et la production mondiales.
Le sens du « business », hérité de sa famille aux activités commerciales diversifiées, ne l'a pas empêché d'avoir aussi le sens artistique, celui de la création et de l'innovation. Le sens de trouver, à travers les richesses ancestrales, une formulation artistique nouvelle dans le monde arabe. Et...

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