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Liban - En dents de scie

Être et (ne pas) avoir été

Quarante-troisième semaine de 2009.
Il y a de la tragédie grecque comme de la farce médiévale dans le procès Clearstream. Il y a une rare outrance. Il y a dans ce combat titanesque une caricature tellement gross(i)e, tellement énorme, qu'elle finit par se confondre avec un manichéisme débilitant : l'élégance est à fleurets pas mouchetés avec le bling-bling, l'élitisme avec la démagogie, le panache avec la fougue, Alain Bashung avec Gilbert Montagné, la plume avec le sabre, la fleur de lys avec le croc de boucher, l'albatros avec le coq des bruyères, le périmé avec l'ultramoderne, ou alors Talleyrand avec Fouché, ces deux savoir-faire, ces deux visions/conceptions d'un pays, d'un État et d'une nation que tout, absolument tout oppose, mais qui n'en restent pas moins, finalement, quelque part, complémentaires, à la vie, à la mort.
Regardée avec plus ou moins d'intérêt aux quatre coins de la planète, cette lutte est scrutée, avidement scrutée ici, dans ce pays où, quoi qu'il arrive, quand la France est piquée par un moustique, le Liban est en sururticaire. Mais il y a, dans ce Clearstream soap, quelque chose en plus, quelque chose qui n'a naturellement rien à voir avec la présence, dans le box, d'un Libanais d'origine, rien à voir, non plus, avec le fait que le président de la République française est un des deux (trop) bouillonnants protagonistes. Si les tympans et les rétines des Libanais sont glués boulevard du Palais et/ou rue du Faubourg Saint-Honoré, c'est surtout par nostalgie, une lourde, une grave, une solennelle nostalgie. Une nostalgie parfois colérique et coléreuse.
Dominique de Villepin, tout dernier des sots soit-il pour ceux que l'idée de la dissolution de l'Assemblée nationale en cet an de disgrâce 1997 donne encore une coriace nausée, tout Néron soit-il aussi pour ceux qui, comme Bernadette Chirac, préféraient faire d'infinis détours pour ne pas le croiser dans les couloirs de cet Élysée dont il a été, bien avant Claude Guéant, l'über-secrétaire général, Dominique de Villepin donc, ex-Premier ministre et, surtout, ex-ministre des Affaires étrangères, reste, par sa filiation avec le prédécesseur de Nicolas Sarkozy, le symbole d'une France-douce mère, une France dont l'empathie avec le Liban était à son climax, une France qui réfléchissait aussi bien avec sa tête qu'avec ses tripes, une France-Chiraquie, une France, donc, à la flamboyante diplomatie. C'est pour cela, et uniquement pour cela, que les Libanais qui le chérissent le chérissent : ni pour son insensée prestance, ni pour son impressionnante culture, ni pour son côté arsenic et dentelles surannées, ni pour son style lorsqu'il fait hurler les gargouilles sur des centaines de pages.
Ce n'est pas qu'elle est désormais minable, la diplomatie made in France, ni même quelconque. Ni même dynamitée par l'élection de Barack Obama. Elle est juste usante : trop brouillonne, trop en surreprésentation, trop en conflit avec elle-même, trop en volonté de gommer jusqu'à son esquisse ce qui faisait la gloire, parfois, la déconfiture, parfois, de celle qui portait, avec une aisance impitoyable, la patte de Villepin. La patte Chirac, donc. C'est aujourd'hui Dallas, Dynastie et Desperate Housewives à la fois. Il y a de l'Eros et du Thanatos dans ce rapport sadomasochiste comme jamais entre le Quai d'Orsay et les alcôves élyséennes. Il y a du pathétique dans l'être-au-monde, désormais, de Bernard Kouchner, la caution d'ouverture ethnico-culturelle de Nicolas Sarkozy, qui gesticulait hier comme jamais à Beyrouth en brassant devant les micros et frénétiquement le peu d'air mis à sa disposition et en répétant, off the record, que le gouvernement Hariri pourrait absolument voir le jour dans les 48 heures à venir. Il y a du risible dans ces combats intestins, presque fratricides que se livrent, même doucement, ces deux condors au service de Sa Majesté que sont Jean-David Lévitte et Claude Guéant, et il y a, aussi, de l'ubuesque dans l'Assadophilie effrénée de ce dernier qui a fait de la Syrie, explique Le Nouvel Observateur, son absolu pré carré.
Loin de tout libanocentrisme stérile et stupide, la bipolarité légèrement schizophrénique de la nouvelle diplomatie française s'épanouit en particulier lorsqu'il s'agit du Liban. Les Libanais, tous ces Libanais dont la France se veut, et à raison, d'être l'amie, savent, scientifiquement et affectivement, combien ce pays tient à eux. Sauf qu'ils sont conscients aussi, chats échaudés, que parfois l'obligation de jeter bébé avec l'eau du bain est inévitable. Cela s'appelle la realpolitik - à l'aune, surtout, de l'attachement affiché de Nicolas Sarkozy à Israël et de sa détermination presque exaltée à être celui par qui le conflit israélo-arabe dans sa globalité et le poly-problème iranien seraient résolus.
Aussi maladroite soit-elle, la diplomatie française est bourrée jusqu'à la moelle de bonnes intentions. Il est un seul petit hic, une arête sur laquelle beaucoup d'autres se sont cassé les dents : la facilité, la rapidité avec lesquelles ces bonnes intentions peuvent devenir naïveté, ingénuité pures. Ou pire : insupportablement présomptueuses.
La diplomatie française au Liban, mais aussi dans l'ensemble de cet Orient, proche et moyen, se (re)trouve face à un défi, et il est herculéen : réussir à trouver et à imposer ce divin équilibre entre neutralité, influence et devoir d'ingérence.
Précédé par de très avantageuses rumeurs, Denis Pietton, aussi, a le sien : celui de continuer, à sa manière, comme il l'entend, l'œuvre au blanc de ses trois derniers prédécesseurs, André Parant, bien sûr, Philippe Lecourtier, et, surtout, Bernard Émié, que la majorité des Libanais aurait aimé garder à vie. Joli challenge - difficile, donc joli.

Quarante-troisième semaine de 2009.Il y a de la tragédie grecque comme de la farce médiévale dans le procès Clearstream. Il y a une rare outrance. Il y a dans ce combat titanesque une caricature tellement gross(i)e, tellement énorme, qu'elle finit par se confondre avec un manichéisme débilitant : l'élégance est à...
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