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Santé - Témoignage

Je vaincrai mon cancer avant la formation du gouvernement

La maladie n'est pas une contingence. Elle fait partie de la vie. Comme l'amour, comme la mort, faire plaisir à son gosier ou à son palais, prendre soin de son corps, sortir au soleil, profiter des splendeurs de l'environnement, ou de ce qu'il en reste, s'enivrer et grandir lors d'un voyage épanouissant. Un jour, il nous faut également tomber malade. Car la douleur nous grandit. « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort », écrivait ce génie précoce du nom de Nietzsche. Tomber malade ? Ahlan wa sahlan. J'accueille cette « moussiba » comme une bénédiction. C'est la baraka la plus totale. Je le dis sans affectation aucune. « Everything happens for a reason », diraient les anglophiles. Autrement dit, rien n'est fortuit. Tout a un sens. « Quand tu t'en sortiras, tu comprendras pourquoi cela t'est arrivé », m'a lancé le grand Jabbour Douaihy. Ceux qui ont la foi du charbonnier diraient : « Nous accueillons avec joie tout ce que le Bon Dieu nous envoie. » Je n'ai malheureusement pas cette foi. Mais j'en ai gardé les valeurs. L'espoir est un acte de foi. L'envie d'aller de l'avant, de laisser une trace dans ce monde, de pouvoir se dire à l'heure où partira mon train : « Je quitte un monde meilleur que celui que j'ai découvert à mon arrivée. »
« Tout homme ressemble à sa douleur », écrivait Malraux dans La condition humaine. « L'homme est un apprenti, la douleur est son maître. Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert », dirait Alfred de Musset. « Oublie tes douleurs, mais n'oublie pas leurs leçons », nous apprenait le poète mexicain d'origine libanaise Jaime Sabines. Tous ces mots ne sont pas de la rhétorique. Ils m'accompagnent, comme une prière, comme une vérité plus éclatante que le jour qui se lève sur mon lit blanc tous les matins. Qu'est-ce que quatre mois dans la vie d'un homme ? Une goutte d'eau dans un océan serein. La maladie m'a appris à rire, à mieux aimer la vie, à m'ouvrir aux autres, à laisser tomber tous mes masques ; elle m'a appris la joie du partage. La nuit, je dors mieux. Le jour, j'apprécie mieux les couleurs du ciel. Je comprends mieux le chant de la mer et, surtout, ce que les autres, notre plus grande crainte, ont à me raconter. Voyez mon crâne blanc Messieurs et dites-en ce que le cœur vous chante.
La mort, elle non plus, n'arrive pas qu'aux autres ; elle non plus n'est pas contingence. Mes cheveux sont partis, ma barbe noire est tombée en quelques jours, mes poils chutent comme par magie. Un ami me disait naguère que ma crinière noire est celle d'un lion de l'Anti-Liban. J'ai le crâne lisse d'un bébé. Je suis interdit de retrouver le soleil et d'aller à la rencontre de mon amie la mer. Je gémissais et criais « mout ya bahér », lorsque, enfant, jéddoh Béchara m'y emmenait. Lui, il pêchait, une cigarette roulée au coin des lèvres, un sourire bon au coin du cœur. Je pleurais et accompagnais mes cris d'un geste ample de la main, comme si ma casquette bleue et rouge gonflée par le vent allait calmer le grand bleu. Les années m'ont appris à aimer la mer, j'en suis amoureux. Le temps assainit les douleurs et embaume les blessures les moins bien cicatrisées. La mémoire du corps est courte. Les douleurs de l'âme perdurent. Nous ne faisons que passer. « Il faut que jeunesse se passe. » Encore faut-il que les douleurs se passent. Toute notre vie n'est qu'un montage de phases, à l'engrenage souvent invisible à l'œil nu. Pour mieux vivre la maladie, je cherche à l'intégrer à ma vie, comme la joie d'être en voyage, en compagnie d'une bonne amie, comme une déroute, comme un ratage, comme un succès, comme des tracas, comme des ivresses et des joies. L'homme à la crinière longue, c'est moi. L'homme à la barbe noire, c'est moi. Et l'homme gros interdit de sport, au crâne blanc, au visage de bébé, c'est moi. « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur, et quand il croit ouvrir ses bras, son ombre est celle d'une croix... » (N'est-ce pas M. Aragon ?)
Mes yeux ne sont pas tombés, ils narguent l'avenir et me donnent l'envie de continuer ma route vers de meilleurs horizons.
Trois médicaments-poisons différents sont injectés dans mes veines continuellement, du lundi au vendredi, pour tuer les cellules cancéreuses. À ces trois compagnons d'infortune (je dirais mieux : à ces trois compagnons de route), s'ajoutent quelques copains dont la charge est de me soulager des effets secondaires : asthénie (une fatigue poids-lourd ; la maladie m'a appris de nouveaux mots), nausées, vomissements, vertiges, sueurs froides, hoquet à longueur de journée, pour ne citer que les copains que je côtoie le plus souvent. Ceux-là me donnent un sentiment autrement plus douloureux, celui de la défaite psychologique. Mais que dis-je ? Hasta la victoria ! C'est un combat jusqu'à la victoire. Je suis heureux d'être en vie, de savoir que je m'en tirerais, grâce au progrès de la recherche scientifique (« Donnez riches, l'aumône est sœur de la prière »...) et, par-dessus tout, à l'amour de ceux qui m'entourent. Maman ma déesse, papa, mon amie Marie (dont l'anagramme fort connu est Aimer...), mes amis d'enfance, le père Antoine, le père Wehbé, qui n'est autre que l'oncle d'un ami, Miguel, que je chéris particulièrement et à qui j'ai envie de dire : « Courage, la vie est belle et n'attend que toi !... »
La maladie n'est pas une contingence. Elle fait partie de la vie. Comme l'amour, comme la mort, faire plaisir à son gosier ou à son palais, prendre soin de son corps, sortir au soleil, profiter des splendeurs de l'environnement, ou de ce qu'il en reste, s'enivrer et grandir lors d'un voyage épanouissant. Un jour, il nous faut également tomber malade. Car la douleur...
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