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L’accès à l’information, un droit encore méconnu par la législation libanaise

L’accès à l’information, un droit encore méconnu par la législation libanaise

Une proposition de loi sur l'accès à l'information, rédigée par un groupe de parlementaires présidé par Ghassan Moukheiber, a été transférée au greffe du Parlement le 9 avril dernier. Depuis cette date, le texte attend patiemment d'être voté. Entre-temps, la société civile et les professionnels de l'information tentent d'en faire avancer le contenu à coups d'ateliers de travail et de propositions concrètes.
Accéder à l'information nécessaire pour entamer une démarche administrative, écrire un article, ou tout simplement s'informer en tant que citoyen et électeur du travail accompli par l'administration... Avoir accès à l'information sans avoir à donner de justifications... Au Liban, les journalistes le savent car ils sont confrontés à cette dure réalité tous les jours, tout cela est presque impossible. Même en tant que professionnels de l'information, ou peut-être parce qu'ils sont justement des professionnels, les journalistes sont souvent contraints de devenir « amis » à tel ou tel responsable politique pour pouvoir meubler leurs articles. Ainsi, il n'est pas exagéré de dire que la qualité et la quantité d'informations qu'il est possible d'obtenir sont largement tributaires du moindre changement qui surviendrait au sein de l'administration, du gouvernement ou du Parlement.
Les journalistes sont donc, quelque part, constamment condamnés à « entretenir » leurs réseaux, et ce par tous les moyens. Or au niveau des droits humains les plus élémentaires, l'accès à l'information est reconnu par la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont l'article 19 dispose que « tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».
Au Liban, il devenait urgent d'attirer l'attention des médias et de l'État sur cette carence. C'est ainsi qu'une proposition de loi en ce sens a vu le jour. Elle a été transférée au greffe du Parlement le 9 avril dernier par un nombre de députés membres du Lebanese Parliamentarians Against Corruption, présidé par le député Ghassan Moukheiber. La proposition de loi sur l'accès à l'information a été développée par un groupe d'experts légaux (Legal Working Group) en utilisant comme base de travail l'étude qui avait été faite par le ministre Ziyad Baroud (avant qu'il ne devienne ministre) et le texte de loi élaboré par Omsar depuis quelques années. Le groupe de travail a également bénéficié de l'apport de spécialistes internationaux par le biais de l'American Bar Association (ABA). Ces experts ont offert une approche comparative et ont répondu aux questions diverses soulevées par le groupe au cours de la rédaction de la proposition de loi.
Profitant de l'inévitable lenteur qui accompagne la procédure législative et le vote d'une loi - surtout lorsque celle-ci n'est pas vraiment pour plaire à ceux qui devront la valider - Nahar al-Chabab en coopération avec les associations NDI, Nahwa al-mouwatiniya, Adl et l'American Bar Association ont décidé de plancher sur le texte proposé afin d'en analyser les lignes principales et de proposer des améliorations, le cas échéant. C'est dans cette optique qu'a été organisé un atelier de travail réunissant des journalistes de tous bords (presse écrite, télévision, radio). Les participants ont voulu mettre en relief les obstacles qui se dressent quotidiennement face aux journalistes dans leur quête de l'information, mais ils ont voulu aussi définir « le droit d'accéder à l'information » et les principaux traits de la proposition de loi qui traîne désormais dans le labyrinthe des procédures parlementaires. En fin de journée, un exposé a été présenté sur la notion de whistle blower, le terme qui désigne en anglais la personne qui découvre une affaire de corruption.
Pour Ghassan Hajjar du quotidien an-Nahar, le tout est d'abord de se rendre compte que les informations que parviennent à recueillir les journalistes sont purement et simplement tributaires de leur réseau de connaissances personnelles. Dès que la personne avec laquelle le journaliste en question est devenu « ami » est mutée, c'est tout un pan de l'information qui redevient inaccessible. Ghassan Hajjar exhorte ainsi les professionnels de l'information à réfléchir eux-mêmes à des situations dans lesquelles ils se sont sentis « obligés » d'utiliser leurs contacts « personnels » dans les différents ministères ou administrations pour parvenir à obtenir ne serait-ce qu'une information partielle concernant un sujet donné. C'est alors que les témoignages ont fusé : il est apparu que les journalistes présents à cet atelier ont été confrontés dans leur travail à toutes sortes de difficultés lorsqu'il s'agissait de plancher sur le dossier des carrières, sur celui des aides financières et matérielles octroyées par les pays et organisations étrangers au lendemain de la guerre de juillet 2006, ou encore sur l'affaire de la vente de terrains en milieu rural.
Tous les journalistes ont dressé un même constat : pas d'archives  mises à leur disposition, et les informations, lorsqu'elles sont fournies, sont en général très partielles et ne couvrent qu'un seul angle - subjectif - de l'affaire. Impossible de vérifier, de recouper ces informations avec d'autres sources administratives. Cette introspection, bien qu'induite par les organisateurs de l'atelier, est en fait fondamentale pour les journalistes qui se rendent rapidement compte qu'ils perdent un temps précieux en vue d'entretenir certains contacts dans le but d'obtenir un accès à des informations... auxquelles ils n'accéderont en fait que très rarement.

Khabbrouna.net
Prenant la parole, Maya Najm, de l'American Bar Association (ABA), affirme que cette association est présente à Beyrouth depuis les années 1990. Elle planche depuis peu sur le dossier de l'accès à l'information et a mis sur pied, en coopération avec Nahwa al-mouwatiniya et Adl, un site Internet : www.khabbrouna.net. Ce site met en relief « le droit d'accéder à l'information » ainsi que le devoir d'assurer « une protection à celui qui découvre une affaire de corruption ». Certes, l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme garantit cet accès, mais il s'agit aujourd'hui de « consolider la protection de ce droit en votant une loi afin de ne plus miser sur les relations personnelles pour pouvoir accéder aux informations ». Il s'agit aussi de mettre en place une obligation d'archivage, souligne dans ce cadre Carmen Geha de la NDI, seul moyen d'assurer « la bonne gouvernance ».
Mme Geha a exposé alors les principaux articles compris dans le texte de loi, dont l'article premier expose les objectifs. « Il s'agit de mettre en place un mécanisme permettant de transformer le droit à l'expression en droit de savoir ». « Aux États-Unis, une association a intenté un procès au président George Bush car ce dernier n'avait pas ordonné l'archivage électronique des documents durant la période de la guerre en Irak », a indiqué Carmen Geha. Elle a indiqué à cet égard qu'il existe deux modes de diffusion de l'information : la publication d'office (active disclosure) et les rapports annuels (passive disclosure) qui, à terme, composent les archives nationales.

Une autorité administrative indépendante
Au Liban, il n'y a pas de véritable obstacle légal à l'instauration d'une telle loi car la liberté d'expression est garantie tant par la Constitution que par la loi elle-même. Ce droit doit désormais être consolidé par le « droit de savoir ». Plusieurs défis s'offrent aujourd'hui à la société civile dans ce domaine : le premier est d'ordre législatif, le deuxième se situe au niveau de l'application de la loi, et enfin le troisième consiste à veiller constamment à l'ouverture et la transparence, deux concepts qui ne sont pas encore vraiment ancrés dans la vie publique libanaise.
Pour veiller au respect de l'accès à l'information, la proposition de loi prévoit la création d'une autorité indépendante chargée d'assurer l'accès à l'information, d'une part, et de sanctionner, d'autre part, tout manquement à ce droit et de protéger enfin les whistle blower, c'est-à-dire tout citoyen qui aurait été directement ou indirectement témoin d'un acte de corruption.
Quelle serait la procédure à suivre par le journaliste ou le citoyen désireux de présenter une demande d'accès à certaines informations spécifiques ? La loi prévoit une demande « personnelle et écrite », censée être satisfaite dans un délai de 15 jours. Dans chaque administration, l'autorité indépendante serait représentée par un fonctionnaire.
Mais l'autorité administrative indépendante (AAI) est à l'origine de nombreuses complications juridiques car ce type d'institutions est d'origine anglo-saxonne. Le premier modèle de ce genre a été créé aux États-Unis et remonte - au plan fédéral - à 1889, date à laquelle la première Independent Regulatory Agency, l'Interstate Commerce Commission, créée en 1887 au sein du ministère de l'Intérieur, en fut séparée et rendue indépendante.
Or la nature de ces Independent Regulatory Agencies se rapproche de manière étonnante de celle des AAI. D'abord, leur fonction institutionnelle consiste à réguler un secteur donné. Ensuite, ces organismes sont indépendants par rapport au gouvernement mais aussi par rapport aux secteurs réglementés. Enfin, ils détiennent un « mélange de pouvoirs », qui consistent à la régulation d'un secteur (rulemaking), et à l'application (enforcement) de ces normes par l'exercice de pouvoirs administratifs et quasi juridictionnels (adjudication). Leur appellation respective diverge cependant et ce pour une raison bien précise : en France, la notion de régulation est souvent interprétée comme étant une version « allégée » du pouvoir réglementaire, et ce dans le but évident de rester fidèle à la tradition de droit romain, rigide et très attachée à l'écrit, donc à la Constitution et à la fameuse pyramide de Kelsen.
Avec leurs particularités, les AAI ont donc su trouver leur place dans la vie administrative française, et les formules nouvelles qu'elles apportent sont adaptées aux besoins d'aujourd'hui ; la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) - définie comme une autorité administrative indépendante française chargée de veiller à la protection des données personnelles et à la protection de la vie privée, et créée par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés - dispose, à l'instar d'autres AAI, d'un pouvoir réglementaire d'application de la loi, lequel est strictement encadré et limité.
Accéder à l'information nécessaire pour entamer une démarche administrative, écrire un article, ou tout simplement s'informer en tant que citoyen et électeur du travail accompli par l'administration... Avoir accès à l'information sans avoir à donner de justifications... Au Liban, les journalistes le savent car ils sont...